RÉALISATION

AGENCES ANTHONY BÉCHU & FRANÇOIS LECLERCQ

 

L’héritage postmoderne est-il trop lourd ? Anthony Béchu et François Leclercq lui apportent plus de transparence et de légèreté. La transformation d’un immeuble de bureaux, à Paris, place de Budapest dans le VIIIe arrondissement, montre combien l’art de la négociation permet de conserver l’esprit d’une époque sans renier toute forme de contemporanéité.

 

En marge de Saint-Lazare, l’ensemble immobilier libéré par la SNCF, place de Budapest, était l’opportunité rare de développer un projet audacieux et contemporain dans la capitale. Pour ce faire, la compagnie s’est tournée vers Anthony Béchu et François Leclercq. Si le programme était évident, son traitement l’était moins. Moderniser un patrimoine immobilier peut appeler diverses possibilités, de la démolition à la restructuration. L’impératif contemporain de développement durable exigeait de ne pas céder à la tentation de la tabula rasa. Il s’agissait donc d’adapter, sinon de transformer cet immeuble postmoderne, pour l’ouvrir sur la ville.

 

 

Imaginés par R. Humbertjean, architecte de la SNCF, et Pierre Colboc, auteur de la façade, ces bureaux incarnaient à eux seuls une époque encore trop souvent ignorée des livres d’histoire et autres guides d’architecture. Si la curiosité d’exégètes passionnés pouvait être chatouillée, une réalité économique appelait d’autres désirs que ceux motivés par une préservation en bonne et due forme. Les lignes imaginées étaient certes adaptées à la compagnie ferroviaire, propriétaire d’une grande partie de l’îlot, mais elles ne l’étaient plus dès lors que l’immeuble devait se détacher d’un ensemble introverti. En effet, le bâtiment de la place de Budapest faisait office de noble façade arrière d’un complexe plus vaste dont l’entrée, en grande pompe, se faisait depuis la rue Saint-Lazare.

 

Anthony Béchu et François Leclercq n’entendaient pas se dédouaner d’un travail en bonne intelligence avec les auteurs de la construction originale. Pierre Colboc fut donc invité à contribuer à la réflexion. S’il paraissait difficile de conserver l’intégralité de la façade, son esprit pouvait largement demeurer. Alors que l’immeuble occupe une vaste parcelle qui, face à la place de Budapest, se retourne le long de la rue de Londres, les deux architectes ont tenu, en ouvrant l’immeuble sur la ville, à penser une géométrie adéquate. Alors que la proximité de la gare appelait un gabarit d’immeuble haussmannien, les façades de la rue de Londres, héritées d’un parcellaire du XVIIIe siècle composé d’hôtels particuliers, impliquaient un changement d’échelle. Déjà, Pierre Colboc avait su saisir cette dichotomie qu’Anthony Béchu et François Leclercq se sont réappropriée pour mieux la réactualiser.

MOTS DE ANTHONY BECHU ET FRANCOIS LECLERC? ARCHITECTES

A. B. : Nous voulions créer un système urbain où tous les volumes s’emboîtent, dessiner des façades à même de montrer la force de cette construction, voire sa personnalité. Nous avons repris la courbe dessinée à l’angle par Pierre Colboc pour l’accentuer davantage et former un continuum.

F. L. : Nous avons cultivé la mémoire de l’existant et, à partir de là, surjoué le rapport avec l’extérieur. En outre, nous recherchons toujours à rendre domestiques nos immeubles de bureaux. En plus d’un travail volumétrique, nous avons souhaité créer des loggias, des terrasses et des balcons qui participent tous à la physionomie de ce nouvel ensemble.

 

La minéralité du parti d’origine a donc dû être abandonnée pour lui préférer plus de transparence. Le rapport de l’immeuble à la ville s’en est trouvé davantage théâtralisé. De grandes percées visuelles ont ainsi été imaginées en lieu et place d’une base opaque. Ce travail d’ouverture s’est accompagné de la volonté de densifier l’ensemble. Au dernier étage, un « boomerang » vient parachever une composition marquée par la douce courbure de l’angle, réminiscence de la rotonde imaginée par Pierre Colboc. À l’intérieur de l’îlot, un bâtiment-pont a été imaginé ; l’impossibilité de creuser le sous-sol pour y déployer des fondations obligeait à plus d’audace structurelle.

Outre une démonstration quant à la possibilité de transformer un immobilier devenu, avec les années, obsolète, ce projet illustre un art de la négociation, tant avec un passé qu’avec un contexte, mais aussi avec une ville physique et administrative. Pour ses concepteurs et ses commanditaires, ce travail porte les germes d’une démonstration, mais surtout d’une contribution exemplaire à la fabrique urbaine.

Fiche technique :
Maître d’ouvrage : SCOR Auber
Promoteur : Bouygues Immobilier
Maître d’oeuvre : Agence d’architecture A. Béchu, François Leclercq
Maître d’oeuvre d’exécution : Ingérop
Paysagiste : Nicolas Gilsoul
Entreprises et BET : Structure Géciba, Façades DVVD,
Fluides Ingérop, Acoustique Lasa,
Bureau de contrôle Qualiconsult, SPS
Batiprev, HQE/BREEAM Green Affair,
France énergie
Entreprise générale : Bouygues Bâtiment Île-de-France
Rénovation Privée
Surface : 21 300 m² SDP

À lire :
Intown
Agence d’architecture
A. Béchu & François & Leclercq Architecte
Jean-Philippe Hugron
Édition Archibooks,
2017

 

Texte :  Jean-Philippe Hugron
Visuels : ©
Fernando Javier Urquijo

 

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