DOSSIER SOCIÉTAL

LE MONDE D’APRÈS

Le 7 mai 2020, le Premier ministre, Édouard Philippe, prenait la parole pour annoncer une première vague de déconfinement. Alors que la période de mise en quarantaine avait été l’occasion de prises de parole multiples sur les forums en ligne, celles-ci ne se sont en rien taries avec la reprise des activités sur les chantiers et dans les agences. Bien au contraire, les acteurs de la construction sont invités, plus que jamais, à réfléchir au « monde d’après », ce qui n’est pas sans soulever un certain nombre de paradoxes.

« Et demain, on fait quoi ? »1, tel est le vaste programme auquel sont invités à réfléchir les protagonistes de la construction. Cette incitation à penser « le monde d’après »1 relève d’épineux paradoxes : si l’épidémie a été passée au second plan dans l’actualité, le virus n’en continue pas moins de circuler à bas bruit, tandis que le Conseil scientifique Covid-19 français estime qu’un retour en force de l’épidémie à l’automne est « extrêmement probable ». En parallèle, les informations recueillies par l’Union nationale des syndicats français d’architectes (Unsfa) sont telles que celle-ci annonce qu’à la crise sanitaire succédera une crise économique certaine pour l’architecture. Dès lors, comment penser « l’après », alors qu’il reste difficile d’intégrer le traumatisme présent et que nous sommes toujours fondamentalement dans un état de stupéfaction ?

Paris, rue de l’Ourcq, 30 logements + 98 logements étudiants = une maison d’accueil spécialisée 6 logements, maîtrise d’ouvrage : SIEMP, maîtrise d’oeuvre : Lacaton & Vassal © Philippe Ruault

Faire la lumière à l’aune de la crise

Les défis que doivent relever les architectes aujourd’hui — quant au logement, à l’écologie et à la densité en ville — sont loin d’être advenus avec la crise du coronavirus, mais le confinement a mis en lumière l’urgence à réenvisager ces questions à l’aune de la crise sanitaire. L’architecte Patrick Bouchain, récemment invité à s’exprimer sur la station de radio France Culture à propos des maux du logement, déplorait qu’une crise soit systématiquement nécessaire pour hisser ces problématiques récurrentes à l’ordre du jour. Son discours affûté nous rappelle donc une nouvelle fois qu’en matière de logements, ce sont bien les cadres législatifs et normatifs qu’il s’agit en premier lieu de transformer (des agences telles que Lacaton & Vassal, Bruther, Duncan Lewis, Hondelatte Laporte Architectes, Frédéric Druot Architecture, Bernard Bühler, Alexandre Chemetoff & Associés, pour n’en citer que quelques-unes, sont un brillant vivier pour le logement de qualité). Les schémas familiaux et les parcours professionnels n’étant plus linéaires, Patrick Bouchain plaide pour la réversibilité : « Faire une architecture qui n’a qu’une seule destination est un échec. Il faudrait rendre l’architecture réversible, nous l’avons constaté pour les hôpitaux. En effet, nous pourrions penser qu’il n’y a pas plus technique qu’un hôpital, et, pourtant, sans attendre les directives nationales ou administratives, les médecins ont su rendre réversible une architecture qui paraît irréversible : nous avons vu des services qui ont changé pour recevoir des patients en réanimation. Nous pourrions faire pareil pour le logement. » Il est vrai qu’avoir des volumes réversibles permettrait d’absorber non seulement les usages non prévisibles, mais aussi différentes configurations sur le temps long de la vie. « C’est pour cela qu’il ne faudrait pas de destination aux bâtiments », défend encore Patrick Bouchain, soulevant en filigrane la question suivante : comment obtenir un permis de construire sans destination ?

Ensemble immobilier 58-66 rue Mouzaïa, architecte CANAL, Paris, 2019 © CANAL

Réparer

Le discours brillamment porté par Patrick Rubin, de l’agence CANAL, est à cet égard éclairant. Dans la continuité de l’ouvrage Construire réversible — édité en 2017 et dans lequel l’architecte établissait des principes structurels et techniques visant à anticiper la mutation des activités dans un bâtiment —, le deuxième opus approfondit la réflexion. Transformation des situations construites regroupe un ensemble de sémillantes fictions sur le sujet et donne aussi la parole à un aréopage de personnalités issues de disciplines variées. La question se trouve ainsi enrichie en s’ouvrant aux savoirs connexes tels que le droit, l’économie, la géographie…

Dans l’introduction, Patrick Rubin rappelle l’importance du cadre législatif de la production de l’architecture. Il souligne par ailleurs que la récente expérimentation du « permis d’innover », conduite par le ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, ouvre déjà la perspective d’un permis de construire évolutif sans destination première. Parmi les nouveaux enjeux, il s’agit pour Patrick Rubin de réfléchir à ne plus réhabiliter lourdement, mais à envisager la réparation. (…)

Texte Sophie Trelcat
Visuel à la une Logement social individuel à Lormont par l’agence Construire © Construire

Retrouvez l’intégralité du Dossier Sociétal « Le monde d’après » par Sophie Trelcat, dans le daté Septembre-Octobre 2020 d’Archistorm