RÉALISATION

PATRICK SCHWEITZER & ASSOCIÉS ARCHITECTES

 

Il est des projets qui frappent par leur évidence, tout en imprimant dans l’esprit de l’observateur une image à fois forte et immédiatement familière. C’est le cas de la faculté d’architecture de Kigali, au Rwanda, signée Patrick Schweitzer & Associés Architectes, dont les volumes prismatiques et la couleur rouge terre prennent place comme naturellement dans le paysage verdoyant des collines qui dessinent la ville. Le béton brut et la pierre de parement de certains murs participent eux aussi de cette évidence, résultat d’un travail d’immersion dans le site et la culture du pays.

 

Rien ne prédestinait Patrick Schweitzer à réaliser un bâtiment au Rwanda. Solidement implanté à Strasbourg depuis les années 1980, il a réalisé l’essentiel de ses projets en Alsace : de nombreux équipements en association avec Pierre Knecht et, à partir des années 2000, une multitude d’opérations de logements, d’équipements médicaux et de restructurations de bâtiments industriels. L’agence s’est toutefois ouverte à d’autres défis en concevant des résidences universitaires au Maroc et en participant à un GIE (groupement d’intérêt économique) dont l’objectif était une solide implantation en Chine. Adhérente de l’AFEX (Architectes Français à l’Export), elle a répondu à l’appel d’offre international lancé, en mars 2012 par le gouvernement du Rwanda, pour la conception d’une nouvelle école d’architecture, non loin de l’école existante, devenue exigüe. Face à cinq autres agences (égyptienne, kényane, tunisienne, belge et canadienne), Patrick Schweitzer & Associés l’a emporté avec une réponse éminemment contextuelle et une architecture d’une parfaite lisibilité. L’un des représentants de la maîtrise d’ouvrage parlera même, au terme de la réalisation, d’un coup de foudre pour ce projet si intimement lié à l’histoire du pays, de ses traditions et de son paysage.

 

 

D’une capacité d’accueil de 600 étudiants, l’école est implantée sur une surface de 5 600 m², non loin de la Faculty of Architecture and Environmental Design existante. Elle fait partie d’un petit campus situé à l’ouest de Kigali, à l’extrémité méridionale du quartier de Kiyovu, plateau situé à mi-pente de la colline du KIST (Kigali Institute of Science Technology), entre des zones d’habitat populaire et les lacets qui redescendent vers le centre de la capitale. De nombreux édifices publics (banques, ambassades, hôpital, lieux de culte, écoles) ont pris place sur cet espace longiligne et découpé de façon quasi régulière. Les bâtiments avoisinants ne présentent pas de qualité particulière ; ils ont même tendance à dénaturer ce site, remarquable par les vues qu’il offre sur la ville et ses collines.

 

C’est donc moins un dialogue avec l’environnement immédiat qu’avec le grand paysage et la culture locale qu’a d’emblée engagé Patrick Schweitzer, suivant en cela la leçon de certains de ses maîtres du Tessin suisse. Le bâtiment est, de fait, « le fruit d’une réflexion où le site induit le projet architectural », note l’architecte, que l’observation du territoire, des formes et des couleurs locales a conduit à proposer un projet fondé sur les quatre éléments. La terre est représentée par la pierre de lave et la terre crue, le feu symbolisé par la couleur orange qui couvre une partie des parois de béton, l’air est présent à travers le système de circulation qui ventile naturellement le bâtiment, enfin l’eau irrigue les jardins intérieurs de l’école. Le travail en plan conduit, lui, à une division de l’école en deux bandes séparées par une allée centrale, d’une part, et d’autre part à la légère saille du bâtiment accueillant les ateliers de fabrication ainsi que la cour destinée à exposer les maquettes. Le programme est ensuite logé dans huit blocs, des trapèzes répondant chacun, en élévation, à une règle commune : une forme prismatique inspirée par les paysages rwandais. À partir de cette figure, l’agence Patrick Schweitzer & Associés a en effet « déstructuré les volumes, telle la tectonique déforme les masses, afin d’obtenir des espaces de tension, des failles, des canyons. Une faille centrale se crée, c’est l’espace de vie extérieur des étudiants s’ouvrant vers l’entrée du KIST, vers la vallée, vers la ville. »

 

 

Le programme est réparti sur deux niveaux. Au rez-de-chaussée la logistique et les équipements de l’école : administration, laboratoires, ateliers de fabrication, salles de séminaires et auditorium. À l’étage, les treize prismes irréguliers émergeant de la nappe du rez-de-chaussée accueillent studios, salles de classes et galerie d’exposition. Chaque salle offre une volumétrie, une perspective, une vue différente. Contrastant avec la matière brute des toitures de béton, les murs sont traités par une couleur différente dans chacune des salles. L’une d’elles fait l’objet d’un traitement spatial spécifique : destinée à l’exposition des projets des étudiants, elle est dotée de grilles d’accrochage autour desquelles se développe une rampe en zig-zag ; une promenade architecturale qui sert également à la correction par les professeurs.

 

 

L’espace extérieur est traité comme un espace à part entière : assises et gradins favorisent les échanges, la rencontre, l’occasion de représentations. Le traitement paysager des abords de l’école est ainsi l’une des composantes essentielles du projet ; aussi, davantage que les toitures, sculpturales et impraticables, c’est bien le sol et ses cheminements, bancs et plantations, qui forment la véritable cinquième façade de l’école. Des passerelles relient les deux corps de bâtiment de part et d’autre de la rue intérieure. Elles permettent l’articulation spatiale du programme et donnent une dynamique visuelle au projet. Le modernisme international cède ici la place à une modernité attentive, délibérément frugale dans ses moyens et expressive dans sa forme.

 

QUESTIONS À PATRICK SCHWEITZER 

Architecte, Patrick Schweitzer & Associés Architectes

 

L’école d’architecture de Kigali est votre première réalisation dans ce pays. Quel a été l’esprit de l’agence face à cette nouvelle donne ?

Nous avons voulu faire de ce projet un espace de transmission d’un savoir-faire architectural. La volonté de l’agence était de construire un bâtiment qui soit lui-même pédagogique, en montrant aux étudiants l’acte de construire, fondamental pour un futur architecte, en les incitant à utiliser les ressources de leur pays et en créant des espaces dissemblables offrant des perspectives et des volumétries multiples.

 

Le chantier a donc lui-même été un moment de pédagogie…

En effet, d’autant que la valorisation des savoirs faire locaux et traditionnels est un principe sur lequel le projet s’est voulu exemplaire. Des ateliers de serrurerie et de menuiserie se sont installés sur le site. Les faux-plafonds et menuiseries ont été réalisés en bois régional, les sols coulés sur place, la construction réalisée avec des coffrages traditionnels, favorisant ainsi le développement de filières locales. Couler les murs à 45° n’était pas évident, c’était une première pour beaucoup d’ouvriers ; c’est pourquoi nous avons été très présents sur le chantier. À titre personnel, je suis très attaché à cette présence de l’architecte sur le chantier : je sers la main à tout le monde (et à Kigali il a pu y avoir jusqu’à 400 personnes) et je cherche à mettre chacun dans les meilleures dispositions pour la réalisation de son travail.

 

Le projet repose également sur une certaine frugalité, qui fait sa force d’expression finalement. Quels sont les choix principaux dans le domaine écologique ?

La réduction de l’impact écologique du bâtiment s’appuie sur l’utilisation de ressources et de matériaux locaux : la pierre volcanique, la terre crue et le béton brut ou peint, le recours minimum aux importations et l’exclusion de solutions techniques difficiles à mettre en œuvre et à entretenir. Les solutions techniques simples à mettre en œuvre et à entretenir ont été privilégiées : pas d’ascenseur, mais une rampe d’accès ; pas de climatisation ni de chauffage, mais des systèmes de ventilation naturelle performants et des procédés architecturaux pour réguler les ambiances intérieures. L’éclairage artificiel est limité au profit d’ouvertures pensées pour un apport de lumière naturelle.  Les voiles béton sont isolés, étanchés et enduits par l’extérieur, afin d’éviter l’accumulation et la restitution de chaleur due à l’ensoleillement. Le sol est rythmé de « creux » pour la récupération des eaux de pluies.

 

Fiche technique : 

 

Maître d’ouvrage MINEDUC

Maître d’œuvre S&AA – Patrick Schweitzer et Associés Architectes

BET EGIS

PAYSAGISTE ACTE 2 Paysage

SURFACE 5 600 m2

COÛT 7 M€ HT

 

Texte : Simon Texier
Photos : Edwin Seda & Jules Toulet

 

Retrouvez l’intégralité de l’article sur la faculté d’architecture de Kigali au sein d’Archistorm daté mars- avril 2019