EXPÉRIENCE HOTELIÈRE

Grandeur d’âme

 

Texte : Lionel Blaisse

Photos : Courtesy PPA © Oskar Dariz, Martin Schgaguler

 

Trop longtemps partagée entre la néo-nostalgie vernaculaire et la tabula rasa conquérante des années 1980, l’hôtellerie alpine renoue, un peu partout, avec l’Architecture. La reconstruction de l’hôtel Schgaguler à Castelrotto – petite station suisse du Haut Adige – se veut, tout à la fois, contextuelle, éthique, humaine et contemporaine grâce au talent de son jeune maître d’œuvre, Peter Pichler.

 

 

Né à Bolzano en 1982, Peter Pichler fait ses études à l’université des arts appliqués de Vienne puis à UCLA (Californie) dont il sort diplômé en 2008. Etudiant, il travaille à l’agence londonienne de Zaha Hadid – dont il a suivi des master classes – pour sa station de funiculaire d’Innsbrück, puis dans celle de Rem Koolhaas à Rotterdam sur un projet de recherches et enfin chez Delugan Meissi à Vienne pour un projet en Jordanie. Son diplôme en poche, il intègre l’agence hambourgeoise de l’anglo-irakienne où il sera en charge de projets à Bratislava. Il la quitte en 2015 pour ouvrir, avec son épouse Silvana Ordinas, son propre atelier à Milan.

 

Renouvellement architectural  

Le développement des stations de sports d’hiver est tout particulièrement contraint par leur topographie. En effet, il faut simultanément disposer d’un terre-plein suffisamment vaste à proximité de pentes enneigées le plus longtemps possible, convenablement ensoleillé et orienté par rapport au paysage et enfin plutôt bien desservi par la route. C’est le cas de Castelrotto – petite commune du sud Tyrol à 26 km au nord est de Bolzano, sur les contreforts méridionaux des Alpes du Siusi et face au massif du Sciliar (2563m). Qui plus est la proximité de nombreux parcs naturels en fait une destination estivale des plus prisée. Bien qu’ayant été bâti en 1986, l’hôtel Schgaguler ne satisfaisait plus aux attentes actuelles d’une clientèle désormais plus aisée. Idéalement situé à moins de 100 m de l’église, ses propriétaires prirent la décision de le reconstruire. Pour ce faire, ils organisèrent un petit concours en 2015 que remporta haut la main la toute jeune agence de Peter Pichler dont ce sera l’une des toutes premières réalisations.

 

 

Contrairement à ce que son parcours professionnel aurait laissé penser, il s’y révèle tout particulièrement attentif au contexte qu’il soit naturel ou bâti. Le voilà qui reprend les gabarits des bâtiments démolis mais conformes aux architectures vernaculaires environnantes (toitures à deux pentes). Il accentue la différenciation visuelle des trois volumes en les faisant glisser en plan et en jouant sur l’altimétrie de leurs planchers respectifs. Inspiré des charpentes traditionnelles des chalets et de leurs balcons extérieurs, leur exosquelette enchâsse les façades entièrement vitrées dont seule diffère – selon l’orientation – la profondeur. Beaucoup plus généreuse au sud, elle apporte, avec bienveillance, aux vitrages l’ombre estivale nécessaire et de vastes loggias aux hôtes ; au nord côté village, son dimensionnement met en scène, en les cadrant avec justesse, l’ensemble des circulations – lobby, couloirs desservant les chambres et cage d’escaliers.

A l’est et engravé dans la pente, une construction en pierre du pays développe sur trois niveaux bureaux, services et cuisine à l’étage, restaurant à rez-de-chaussée, habitations en R-1, piscine et spa en R-2 qui se prolongent sous l’immense terrasse.

 

Luxe minimaliste

Le dépouillement du lobby donne le ton : la roche grise du Sciliar (photographie du massif au mur par le propriétaire) se fait dallage et habille la réception mais en version layée, comme sur le comptoir du bar panoramique en contrebas de l’accueil. Mis à part quelques refends peints en blanc, la grande majorité des murs et cloisons est revêtue de bois clairs indigènes (épicéa, mélèze, chêne ou châtaignier) qu’emprunte à son tour l’ensemble de l’agencement.

 

 

Les 42 habitations offrent ainsi une ambiance lumineuse mais feutrée que parachèvent des tissus écrus (coussins, dessus de lit, rideaux). Dans certaines de celles tout en profondeur, la baignoire investit souvent la chambre au devant de la cloison de la salle d’eau qu’ennoblit le lavabo Bjhon – dessiné par Angelo Mangiarotti pour Agape. Soigneusement sélectionné mais avec parcimonie, le mobilier retrace l’histoire du design moderne et contemporain international : Wishbone chair (1949) du danois Hans Wegner, fauteuil pliant outdoor Nychair (1970) du japonais Takeshi Nii, lampadaire TMM (1961), lampe à poser Sesta (1962) et lampe de table Basica (1987) des espagnols Miguel Mila (les 2 premières) et Santiago Roqueta.

Les suites – dont quelques unes en duplex – jouissent des belles hauteurs sous toiture, tandis que les chambres du R-1 bénéficient de vastes terrasses privatives.

 

 

Vitrée toute hauteur, la salle à manger vous immerge dans le grand paysage environnant ; ses boiseries, son parquet et son mobilier vous rappellent – s’il en était besoin – l’importance des espaces forestiers avoisinant. Leur blondeur est soulignée par la noirceur des chaises, des suspensions et des menuiseries extérieures. Le bar voisin réchauffe encore davantage l’ambiance grâce à sa grande cheminée et ses confortables fauteuils sombrement tapissés.

Pourvoyant à la détente après le ski ou la randonnée, le pôle bien-être met à la disposition de la clientèle sa piscine turquoise avec jacuzzi, son spa et son espace fitness. Y prédomine des tons taupe (dallage, parois et voilage) qui semble mettre le lieu comme en sourdine !

 

Bref, un boutique-hôtel des plus réussi, enfin débarrassé des tics de cette catégorie hôtelière !

 

Surface : 4452m2

Calendrier : 2015 concours, 12 mars / 15 juillet 2018 chantier

Maîtrise d’ouvrage : Hôtel Schgaguler

Architecture : Peter Pichler Architecture (PPA), chef de projet : Monica Alu’

Décoration : Peter Pichler et Martin Schgaguler

Economiste : Jens Kellner

Coordination chantier : HGV

Ingénieur structure : Baucon, ing. Simon Neulichedl

BET Fluides & incendie : Studio Contact

Acousticien : Solarraum

Eclairagiste : Lichtstudio Eisenkeil

Artiste-photographe : Martin Schgaguler

Mobiler : Carl Hansen & Son, Sa

 

Découvrez l’article consacré à l’hôtem Schgaguler, Castelrotto, Sud Tyrol (Italie) dans le numéro 95 du magazine Archistorm, daté mars-avril 2019 !