AIR DU TEMPS

Regard croisés sur une question clé

Par Christine Desmoulins

 

La Banque de France ayant franchi le périf pour dynamiser le territoire de la Courneuve, l’architecte Jean-Paul Viguier a créé un centre fiduciaire qui renferme 25 % du volume national de billets. Ce coffre-fort hors normes répond aux exigences d’infaillibilité du process de tri et de distribution des billets. Au pied des Apennins, en Italie, c’est encore d’excellence qu’il s’agit quand l’architecture d’Alfonso Femia scénographie la démarche du constructeur automobile Dallara .

 

La Banque de France à La Courneuve, par Jean-Paul Viguier

À la Courneuve, à proximité immédiate des archives nationales de Pierrefitte, construites par Massimiliano Fuksas, le nouveau site de la Banque de France rehausse à son tour l’image d’un paysage industriel reconquis, près de l’A 86 où un nouveau quartier du Grand Paris est en cours d’aménagement.

La patte de l’architecte Jean-Paul Viguier sert ici la stratégie d’une institution prestigieuse qui modernise son équipement. En réinvestissant la friche industrielle de 4,5 hectares des anciennes usines Babcock, il y a construit un ensemble de 16 000 mètres carrés où les fonctions tertiaires sont associées à un centre fiduciaire qui est désormais le deuxième centre européen de traitement des valeurs. Les impératifs d’ultra sécurité et de très forte automatisation du site sont des questions cruciales auxquelles s’ajoute le confort de travail à apporter à 120 salariés, dans un environnement où la lumière est un point clé du projet architectural.

 

A l’intérieur, la clarté et la lisibilité des espaces et des circulations

 

« Le centre névralgique du dispositif est un grand bâtiment revêtu de céramique blanche qui accueille le centre fiduciaire. Constitué de trois volumes cubiques, il s’apparente à un coffre-fort », précise Jean-Paul Viguier. « Le contrôle automatisé des billets à très haute cadence avec destruction des billets usagers et mise à l’écart des coupures douteuses est sa première fonction, la seconde consistant à stocker les valeurs dans une « serre » hermétique. Structurée par des poteaux de béton de 26 mètres de haut sans plancher intermédiaire, cet ouvrage a mobilisé des technologies de génie civil. Au cœur du bâtiment, un jardin intérieur est offert au personnel. »

 

À l’entrée du site, une aile en brique datant de 1923 et d’un édifice en béton des années 1980 qui appartenaient à l’usine ont été restructurées dans le respect de leurs écritures respectives. Désormais reliées, ces deux entités accueillent les bureaux de l’agence ouverte au public. Face au jardin, le restaurant d’entreprise est un lieu de quiétude baigné de lumière.

 

Sur ce site bien gardé où les sas et dispositifs de sécurité multiples dont un dispositif informatique isolé du monde extérieur règnent en maîtres, le paradigme des matériaux entre céramique, verre et terre cuite, la lumière et la dominante blanche orchestrent une harmonie entre l’architecture industrielle d’antan et l’intervention contemporaine. « Construire une usine hermétique en créant un lieu bien intégré dans la ville était tout l’enjeu », conclut Thierry Para, directeur des projets de nouveaux centres fiduciaires de la Banque de France, qui se félicite qu’un « dialogue constant avec un architecte toujours été à l’écoute de ses besoins » ait orienté ses choix.

 

Au premier plan, en rez-de-chaussée, le restaurant et ses pergolas triangulaires. Au fond, le coffre-fort du centre fiduciaire.

 

L’Academia Dallara, en Italie, par Alfonso Femia

« À Varano de’ Malegari, en Italie, dans la courbure d’une route de campagne, proche de Parme, l’architecture d’ Alfonso Femia a su traduire les ambitions de l’ingénieur Giampaolo Dallara, ancien directeur technique de Lamborghini et président fondateur de Dallara automobili.

 

 

À deux pas de l’usine où l’industriel développe les performances inédites de ses prestigieuses voitures, il s’agissait d’édifier un bâtiment neuf qui soit autant une vitrine pour ces bolides d’exception qu’un lieu de transmission des savoir-faire pour former les ingénieurs de demain au sein d’une « académie » ouverte à de jeunes talents du monde entier.

« Au cœur d’un paysage sillonné par les traces du fleuve Ceno en prise sur l’ambiance des villages ruraux des Apennins, où nous avons porté une attention particulière à un dialogue en phase avec la topographie et l’esprit des lieux, ce bâtiment témoigne de l’histoire humaine et industrielle d’une famille », raconte l’architecte. Dans un environnement collinaire, il s’est appuyé sur une certaine horizontalité afin d’installer les éléments distincts destinés aux salles de classes, aux laboratoires, à l’auditorium et à la rampe d’exposition semi-circulaire où les automobiles semblent prêtes à s’élancer au départ d’une course. La rencontre de ces volumes à la géométrie variée dessine un espace public qui ancrer l’architecture dans le site.

 

Le frôlement de matières d’une architecture sculpturale

 

La clarté du plan et la lisibilité de cet ensemble conçu comme un paysage dans le paysage a séduit l’ingénieur. Sous le couvert doré de la rampe où les bolides profitent d’une espace muséal approprié, tourné vers la route et la végétation, le visiteur gagne les trois chapelles coniques qui abritent les salles de formation, éclairées en leur sommet par un oculus, et l’auditorium.

En écho au process de conception industriel fonctionnel de Dallara, l’écriture du projet met en valeur les différents éléments du programme par des matériaux, des trames et des formes diverses. Au fil du parcours et de la découverte, le bâtiment s’anime quand les volumes se frôlent et que la lumière s’immisce jusqu’aux interstices, illuminant la peau de céramique des cônes. Derrière le vitrage d’un immense mur courbe, la polychromie des bolides anime la façade principale.

Pour la façade arrière tournée vers l’usine, le recours à des panneaux préfabriqués a permis de remettre en lumière la production de panneaux de qualité, en réactualisant une technique de préfabrication aujourd’hui par trop délaissée en Italie.

 

Retrouvez le décryptage de Christine Desmoulins dans le numéro 95 du magazine Archistorm, daté mars-avril 2019