RÉALISATION

 

Si la construction de ponts est toujours liée à la présence d’un ou plusieurs fleuves s’écoulant dans une ville, chaque site possède ses particularités géographiques et historiques propres. Préfecture du département du Bas-Rhin et chef lieu de la région Grand Est depuis 2016, Strasbourg est dominée par l’un des fleuves majeurs d’Europe, le Rhin.

Si le Rhin traverse la France, la Suisse, l’Autriche, l’Allemagne et les Pays-Bas, il marque une frontière entre la France et l’Allemagne qui a été à la source de conflits sanglants durant des décennies et trois guerres. Aujourd’hui la capitale alsacienne peut s’enorgueillir d’être devenue le symbole de la réconciliation franco-allemande et de la construction européenne. Une réconciliation qui s’est traduite de diverses manières, comme par la construction de ponts et de passerelles sur le Rhin, entre notamment Strasbourg, la métropole et la cité de Kehl, sa voisine allemande, située sur l’autre rive.

Un signal fort

En août 2012, le maître d’ouvrage la Compagnie des Transports Strasbourgeois (CTS) a lancé un marché de conception-réalisation, à l’issue duquel le groupement constitué de Bouygues Travaux Publics Régions France (Mandataire), Victor Buyck Steel Constructions, Lingenheld Travaux Publics, Früd Ingenieurbau, Arcadis et Marc Barani Architectes a été retenu pour la conception et la réalisation du pont sur le Rhin. Ce projet a été choisi par la commission franco-allemande réunissant notamment le maire de Strasbourg, Roland Ries et le maire de Kehl, Günter Pétry.

Questions à l’architecte Marc Barani

Quelles sont les caractéristiques de la technique constructive complexe mise en œuvre avec précision sur l’ouvrage ?

MB. : Sur le plan technique, c’est un ouvrage avec deux culées en béton en rive et une pile centrale. Nous aurions pu franchir le Rhin d’un seul tenant, mais cela aurait entraîné des efforts coûteux liés à la pose de structures très amples qui auraient pris trop de place dans le paysage. L’ossature complexe du pont a été entièrement réalisée en métal, avec juste une chape en béton coulée sur le tablier. Cet ouvrage structurel en acier permet d’acheminer les différents tronçons du pont par barge sur le fleuve navigable et d’éviter ainsi des transports routiers contraignants, le choix du métal répondant parfaitement à cette problématique. En utilisant le transport par voie fluviale avec des barges convoyant les tronçons métalliques, il suffit de réserver une place à quai pour assembler et monter l’ensemble, le plus près possible de l’emplacement prévu, puis de le positionner sur les piles, ce qui implique un minimum d’impact. Une technique performante et satisfaisante que nous avions déjà utilisée sur les ponts Renault à Boulogne-Billancourt (2009) et Éric-Tabarly à Nantes (2011).

La  structure métallique est-elle particulièrement complexe et est-elle innovante ?

MB. : Si cette structure est en effet complexe, elle n’est pas spécialement innovante. En tous les cas, elle utilise au maximum les savoirs actuels en matière de calculs des bureaux d’études et des entreprises les plus performantes, comme le bureau d’études Arcadis et l’entreprise belge de charpente métallique Victor Buyck Steel Constructions qui ont calculé et exécuté de façon exemplaire le projet, à l’aide d’aciers plus résistants, et en allant toujours au bout des possibilités technologiques connues à ce jour. Et ce sont des ouvrages qu’il n’était pas forcément possible de réaliser dans la même épure, il y a une vingtaine d’années. Pour revenir à cette question d’innovation, le projet apparaît innovant dans la mesure où il est unique. La création d’un pont doit en effet tenir compte de son contexte spécifique, du paysage alentour, de sa fonction propre, de son mode de fabrication, du terrain d’implantation, etc. Nous concevons des ouvrages d’art uniques et non reproductibles ailleurs.

Question à Denis Royer, Directeur de travaux adjoint, Bouygues Construction

Quelles sont les particularités de ce projet conçu par l’architecte Marc Barani, où se conjuguent avec talent architecture et technique ? Pourquoi vous a-t-il séduit ?

DR. :Cet ouvrage d’art peu courant s’avère être plutôt hors-norme, de par le Rhin à franchir sur 220 ml, ce qui a conduit à des portées de 130 ml, ses deux tabliers assemblés de 145 mètres de longueur prenant appui sur une pile centrale. Cet ouvrage m’a en effet plu, car il conjugue légèreté, élégance et sobriété, tout en dégageant une vraie force. Je trouve que les arcs mis en œuvre sont en proportion et en cohérence par rapport aux dimensions du pont. Et ce sont ces caractéristiques et ce cachet propre à l’ouvrage qui nous ont tous séduits. Pour moi, ce pont se démarque de ses congénères classiques, puisqu’il partage plusieurs fonctions et fait office à la fois de pont ferroviaire, et de pont voué aux piétons et aux vélos. Il prend place entre le pont de l’Europe (routier) et le pont ferroviaire de Kehl (à poutres treillis Warren), le troisième ouvrage de franchissement édifié en 2004 étant la fameuse passerelle des deux rives de Marc Mimram : le traitement architectural et technique de cette dernière et du pont sur le Rhin étant totalement différent.

Quels ont été les points forts de ce chantier atypique et d’envergure ?

Les raisons pour lesquelles ce chantier a très bien marché tient à ce que l’ensemble des intervenants, -du maître d’ouvrage, au maître d’œuvre en passant par le groupement d’entreprises- avait un objectif commun centré sur l’aboutissement et la réussite du projet. Et chacun s’est mis au service du projet. Les difficultés rencontrées sur ce projet ont parfois fait l’objet de beaucoup d’échanges, d’écoute et de transparence entre les divers intervenants, surtout lorsque nous devions concilier les normes allemandes et françaises, en matière de rail, qui s’appuient sur des us et coutumes divergents. Ces échanges fructueux ont ainsi permis de régler les points au fil de l’eau, les décisions étant toujours prises en temps et en heure. Sachant que le financement de l’ouvrage d’art a été assumé pour moitié-moitié par chacune des deux villes. À cause des singularités inhérentes à chacun des deux pays, il a fallu établir des conventions spécifiques et des documents administratifs assez complexes, pour chacun d’entre eux. Ainsi, pendant six à sept mois, le maître d’ouvrage a dû prendre l’avis d’un avocat pour vérifier et régler certains points administratifs. Et j’estime que cet ouvrage a été réalisé avec un très bon niveau de qualité et à la grande satisfaction de tout le monde.

Fiche technique :

Maître d’ouvrage : Compagnie des Transports Strasbourgeois (CTS)
Maître d’œuvre : Marc Barani Architectes, Arcadis (mandataire)
Groupement d’entreprises : Bouygues Travaux Publics Régions France (Mandataire, génie civil) / Victor Buyck Steel Constructions (co-traitant charpente métallique) / Lingenheld Travaux Publics (co-traitant terrassement et assainissement) / Früd Ingenieurbau (co-traitant fondations spéciales et travaux fluviaux)  / Arcadis (co-traitant BET conception, visa et suivi des travaux) / Marc Barani Architectes (co-traitant maître d’œuvre conception, visa architectural et suivi des travaux).

Coût : 24,3 M€

Calendrier : 2012 (concours), 2012-2014 (études), 2014-2017 (chantier), 28 avril 2017 (livraison)

 

Texte : Carol Maillard
Photos d’illustration : Didier Gruth

Retrouvez l’article au sein d’Archistorm 92