LES NOUVEAUX METIERS DE L’ARCHITECTURE

 

La grande évolution intervient quand la crise de l’énergie succède à celle du pétrole. Les procédés de traitement de la « peau » vis-à-vis du monde extérieur doivent présenter plus d’avantages pour les usagers des locaux. Réciproquement, les besoins des usagers se traduisent en performances calibrées, et celles-ci sont réinterprétées en matériaux suggérant de nouvelles images architecturales.

La façade énigme et objet de désirs

Peau, enveloppe, la façade n’est pas seulement un objet technique du point de vue de ceux qui en revendiquent la paternité, sans avoir nécessairement tenu le crayon : commanditaires, propriétaires, architectes, tous hommes de l’art à un degré ou un autre, avec un nouvel arrivant, le bureau d’études façades. Pour un maître d’ouvrage, investisseur, promoteur, la façade, ce sera « la sienne », puisque c’est un des aspects sensibles, pérennes – et techniques – de son matériau de travail, l’immobilier. Certes, les professionnels à l’œuvre sur des projets privés qualitativement privilégiés s’accordent pour céder sur un point : « On dit toujours du mal de l’argent, des financiers, mais il faut reconnaître que depuis vingt ans ce sont des gens qui ont acquis du métier qu’ils n’avaient pas avant. Certains ont une certaine sensibilité, et nous font confiance. » (Stefan Tuchila, architecte)

Dans la vision de Jean-Marc Besson (Beacon Capital, restructuration de la tour First à La Défense), un projet n’a de sens que dans l’échange continu indispensable à sa conduite, en adaptant à mesure équipes et objet : « Il est intelligent de travailler en amont avec l’architecte, pour que ce soit encore plus intelligent de travailler en amont avec la direction de l’urbanisme de la ville, pour une approche préliminaire ! Ce qui ne veut pas dire qu’on fasse ce que celle-ci préconise, ce n’est d’ailleurs pas sa tâche de nous le dire, et ce n’est pas la nôtre de le suivre, mais quand on travaille dans un tissu économique, un tissu social et un tissu sociétal en même temps, il est intéressant que ceux qui vont nous autoriser à faire notre bâtiment participent aussi en amont à la réflexion. »

Ce qui donne la liberté de choix des hommes et du traitement des objets. Sur l’immeuble 5 avenue Kléber à Paris (occupé par la SCOR) : « On a eu plusieurs architectes : un architecte a fait l’extérieur et l’intérieur de l’immeuble, l’extérieur n’a pas séduit (le client) ni d’ailleurs convaincu la ville de Paris. On a donc pris un autre architecte pour faire l’enveloppe – l’extérieur – en gardant les plans initiaux sur lesquels nous avions travaillé, et un troisième, architecte d’intérieur, pour l’agencement. »

Mais pour l’usager devenu maître d’ouvrage, que signifie l’appropriation ? La tour CMA-CGM a été réalisée par Zaha Hadid à Marseille (2011) comme le symbole de cette compagnie maritime de taille mondiale. Il se dit aussi de ses façades qu’elles ont subi une modification ponctuelle. Une fois l’ouvrage rentré en phase d’achèvement, la haute direction de la compagnie ne put se satisfaire, dans ses locaux propres, de la façade telle que partout ailleurs à l’intérieur de la tour. De fait, la nature des façades n’autorisant pas d’adaptation après coup, cette portion de façade dut être déposée et remplacée par une autre. Un juste sentiment a été touché, puis satisfait, comme par acupuncture.

Quai Ouest par Brénac et Gonzalez © Stefan Tuchila

Illusion d’une peau, 10 Grenelle

La mission impossible remplie par B.architecture sur l’immeuble « 10 Grenelle » aura pour conséquence de rendre « patrimoniale » une architecture que l’architecte Véra Matovic appelle, avec une délicatesse tout à son honneur, « le style des grands ensembles ».
Si la démolition et la reconstruction intégrales des deux ailes de bureaux construites au début des années 60, en partie IGH, n’avaient pas représenté de graves nuisances pour les résidents voisins, aucun avantage potentiel n’aurait justifié le maintien des bâtiments en réhabilitation, sauf le respect dû à l’architecte Pierre Dufau, leur auteur. Livré en juillet 2017, le « 10 Grenelle » loge les bureaux du Parisien et des Échos, entre autres, après une réhabilitation lourde.

En pratique, le reclassement de l’aspect général de l’immeuble joue sur les détails d’un habillage, une peau métallique. Les bâtiments ayant été réalisés en leur temps avec une trame d’ossature en façade rigide non modifiable, les clairs de jour sont élargis au centimètre près. L’aspect le plus innovant réside dans le confort visuel apporté par le contrôle solaire : en façade exposée, en partie courante, les « flaps », volets filtrants mécanisés, se projettent en protection directe pare-soleil, ou restent abaissés en stores filtrants. Les parties communes sont largement dotées de voiles métalliques filtrants, donnant l’illusion d’un remodelage des volumes.

Jouer sur façade : Quai Ouest

Dans ce domaine de contraintes relevant de différents domaines à la fois (performances techniques-thermiques notamment), les enveloppes de coûts sont également associées à des notions d’image, équations et ratios bien connues des maîtres d’ouvrage actuels. Où se situe l’obligation de résultats, comment peut-elle être considérée comme satisfaite ?

Dans le processus de la réhabilitation de l’immeuble Quai Ouest à Boulogne, le bureau d’architecture Brénac, Gonzalez et associés a travaillé sur une insertion volontiers remarquable du bâtiment dans le paysage en quai de Seine. Une géométrie quasi cristalline sur la façade courbe de 150 m opposerait à la vision une combinatoire illimitée d’effets optiques quels que soient le point de vue et l’ambiance lumineuse.

Chaque module de la façade regroupe trois trames standard de bureaux (405 cm), recevant chacun un caisson vitré en dièdre. Le maître d’ouvrage, le promoteur Emerige, s’est interdit tout procédé innovant par rapport à la réglementation pour ne pas rallonger études et chantier, facteur de délais et de coûts. Or il se révèle que la configuration du caisson a précisément ce défaut et imposerait une procédure d’Appréciation Technique d’Expérimentation : le panneau supérieur du dièdre verrier repose sur une pointe. Au bureau d’études de façades VS-A incombe, avec l’architecte, la recherche d’une alternative ayant le même effet architectural, et susceptible de validation sans formalités. Il faudra trouver l’industriel européen (allemand ou espagnol, par exemple) sachant « plier » le verre par cintrage pour créer une sorte d’arête – procédé courant validé – et le feuilleter en absorbant les différences dimensionnelles sur de grands volumes verriers. Éviter des tensions apparentes dans les feuilles de verre cintré est un autre sujet de mise au point des rayons de courbure.

Avec les vitrages pliés cintrés, l’épaisseur accrue du caisson vitré sous atmosphère ventilée sera motif d’études thermiques complémentaires pour une façade sud. L’aboutissement du projet repose sur la capacité de l’agence VS-A à faire le grand écart entre sa compréhension architecturale du projet d’une part, et sa capacité d’études tous azimuts concernés, en connaissance du tissu industriel européen.

Dans le même sens, Stefan Tuchila, architecte et directeur de projet chez Brénac- Gonzalez et associés, insiste sur les interactions entre la façade, structure, et acoustique : « Aujourd’hui, la façade a une complexité qu’on n’imaginait pas il y a vingt-cinq ans, faire un bâtiment sans BE façades n’est pas pensable… L’aspect du bâtiment dépendra beaucoup de la manière dont on travaillera avec eux : la façade est le résultat des échanges, nous ne sommes pas dans une logique de sous-traitance. Sans VS-A par exemple, la solution aurait sans doute été différente. »

Ainsi apparaît en négatif, à géométrie variable selon les situations, le bureau d’études « façade », détenteur d’un savoir architectural créatif et technique directement en prise avec le bâtiment du côté entreprise et industrie, comme en amont côté architectes, et susceptible de remonter en co-traitance.

La fin des fenêtres et des baies

Appuyant le « Projet pour une architecture de l’air » (Yves Klein et Werner Ruhnau, 1958), Claude Parent anticipait l’apparition d’une complexité économique et sociale, se cristallisant dans la façade. À supprimer les façades, et ne garder que les planchers avec le courant d’air approprié, on obtient le Jardin des Délices, où culmine la satisfaction heureuse des désirs. Ici et maintenant, le coût en l’état et le manque de confort de la plupart des enveloppes de bâtiments conçues avant les années 2000 justifient leur requalification : le champ d’action reste illimité.

Texte : Jean-Pierre Cousin
Visuel à la une : Quai Ouest par Brénac et Gonzalez, Déshabiller un potentiel, rhabiller le volume, trouver l’architecture © Stefan Tuchila

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