PORTRAIT D’AGENCE

PCA-STREAM

 

Texte : Adrien Pontet

Photos : Michel Slomka, Claire Curt, Salem Mostefaoui

 

Installée depuis quatre ans dans une ancienne imprimerie magnifiquement réaménagée en plein cœur du Marais, l’agence PCA-STREAM développe depuis l’an 2000 une approche singulière et transdisciplinaire de l’architecture, impulsée et soutenue par son fondateur Philippe Chiambaretta, l’ancien directeur des activités internationales du Taller de Arquitectura de Ricardo Bofill.

 

Un nom double pour une identité multiple. Fondée à l’aube des années 2000, l’agence parisienne PCA-STREAM est devenue en moins de deux décennies une référence mondiale dans le milieu de l’architecture. Le Centre de Création Contemporaine de Tours, #cloud.paris (qui accueille les bureaux français de Facebook, Instagram et Blablacar) et bientôt The Link, on ne compte plus les projets qui ont fait – ou s’apprêtent à faire – date dans le milieu, notamment dans le domaine de l’architecture de bureau. Et pour cause, au-delà de l’élégance et de la fonctionnalité de ses créations, l’agence propose pour chacun de ses projets de croiser les approches à la fois intellectuelles et pratiques, de mobiliser une gamme extrêmement large de profils et de connaissances dépassant parfois largement la question architecturale pour questionner et in fine réinventer notre rapport à l’espace et à nos pratiques quotidiennes. Si bien, d’ailleurs, qu’en quelques années, PCA-STREAM est devenue un peu plus qu’une simple agence d’architecture. Depuis 2008, PCA (pour Philippe Chiambaretta Architecture mais aussi et surtout Production Conception Architecture) compte en effet en son sein un laboratoire entièrement dédié à la recherche. L’idée est simple : mener tout au long de l’année un travail de recherche pluridisciplinaire sur les grands enjeux contemporains afin de mieux appréhender leurs conséquences pour l’ensemble des projets auxquels participe l’agence. Tous les deux ans, une revue aussi élégante que pointue intitulée Stream fait ainsi dialoguer philosophes, sociologues, artistes, ingénieurs, biologistes, économistes et architectes sur des thématiques variées, allant des nouveaux modes de travail à l’Anthropocène, en passant par la très large question du vivant. Une manière de continuer à nourrir la réflexion malgré un calendrier extrêmement chargé, de se donner les moyens de répondre aux concours avec le plus d’armes possibles et d’insuffler dans chaque nouveau projet une solide approche théorique des enjeux que ceux-ci questionnent. Mais au-delà de la force que peut donner un tel laboratoire à la vie de l’agence, l’ambition profonde de Stream est d’insuffler dans le monde entier (la revue est éditée en version bilingue français-anglais) une approche transdisciplinaire de la question architecturale et de contribuer à inventer ce que pourrait être l’architecture de demain. Une ambition extrêmement exigeante donc, qui n’est pas sans lien avec le parcours pour le moins singulier du fondateur et directeur de l’agence, Philippe Chiambaretta.

 

Connu pour avoir dirigé pendant dix ans les activités internationales du Taller de Arquitectura de Ricardo Bofill, Philippe Chiambaretta s’est en effet, selon ses propres mots, beaucoup perdu avant d’arriver à l’architecture. De formation scientifique et économique, diplômé des Ponts et Chaussées puis de la business school du M.I.T, il a travaillé dans le domaine du conseil et de la finance, notamment à New York, avant de s’intéresser de près à l’architecture et de rêver de peinture. Un parcours sinueux qui, dès lors qu’il fut décidé de devenir lui-même architecte à l’aube des années 2000, l’a très vite déterminé à vouloir faire autre chose que de simplement concevoir des bâtiments. « Au moment où j’ai fondé l’agence en 2000, explique-t-il, Rem Koolhaas faisait son exposition Mutations à Bordeaux, dans laquelle il expliquait que dans le monde actuel, il est désormais urgent que les architectes explorent les mutations que connaît notre monde. Il mettait là le doigt sur une chose qui me paraissait d’autant plus évidente que j’avais déjà fait plein d’autres métiers dans ma vie et que j’avais très bien compris qu’il était primordial, lorsque l’on a pour ambition de devenir architecte, d’explorer et de comprendre d’une part tout ce qu’il y a avant l’architecture, c’est-à-dire ce qui fait que l’architecture advient, et de l’autre tout ce qu’il y a à côté de l’architecture, c’est-à-dire toutes les disciplines qui entrent en action au moment où l’on conçoit un bâtiment. » En devenant architecte à 37 ans après des études à l’École Nationale de Paris-Belleville, P. Chiambaretta a donc immédiatement fait le choix de concevoir le métier comme un sport collectif où chacun se nourrit des approches des autres plutôt que comme une démarche individuelle et artistique. « S’il y a une analogie à faire, je préfère de loin voir l’architecte comme un explorateur, un stratège ou un penseur plutôt que comme un artiste ou un designer. Se dire artiste c’est prendre le risque de se comporter comme le grand Créateur qui se contente de dessiner et qui appelle ses disciples pour développer la pensée du Génie. Je me suis, à l’inverse, toujours considéré comme le chef d’une entreprise qui doit impérativement faire appel à l’intelligence collective. Les enjeux que l’on aborde en pratiquant l’architecture sont extrêmement complexes car ils ont à chaque fois des conséquences systémiques. De fait, on ne peut donc, selon moi, répondre à cette complexité que par une approche collective et, elle aussi, complexe. »

 

Si l’architecture a toujours impliqué de nombreux domaines de savoir, le changement de perspective que propose l’agence PCA-STREAM serait davantage un changement d’essence qu’un changement quantitatif. Il ne s’agit pas simplement d’inviter à sa table plus de champs de connaissance que l’on ne pouvait le faire auparavant, mais bien de changer de regard philosophique sur ce qu’est l’architecture, à savoir une discipline qui tente de répondre à des enjeux globaux en agissant localement. Avoir une équipe qui travaille à plein-temps hors projet opérationnel pour mener à bien des recherches d’ordre général sur les grandes questions que pose notre époque permet ainsi, à chaque publication d’un nouveau numéro de la revue Stream, d’établir un certain nombre d’axiomes et de les injecter dans les projets concrets. Lorsque le laboratoire de recherche de l’agence se donne par exemple pour mission d’explorer deux années durant la question de l’anthropocène, ce sont tous les outils conceptuels et méthodologiques qui doivent être repensés pour proposer une nouvelle approche de notre rapport à la nature, aux ressources de notre planète et à l’objet architectural lui-même. Idem pour la question de l’organisation du travail et de ses mutations. Et c’est bien là que se situe la spécificité du travail de l’agence : mettre en place une synergie de connaissances pour sans cesse réinventer ses propres outils de travail et problématiser de la manière la plus éclairée possible les sujets et les contextes qu’elle se donne à traiter.

 

 

Avec une vingtaine de projets menés simultanément tout au long de l’année et une équipe qui compte aujourd’hui quatre-vingt-cinq personnes, l’enjeu est donc de taille. Comment en effet ne pas se sentir dépassé par ses propres recherches philosophiques, anthropologiques ou sociologiques lorsque le métier consiste avant tout à répondre à un programme imposé ? Comment ne pas perdre en chemin ce que l’on met tant d’années à élaborer en termes théorique ? Impossible en effet pour Philippe Chiambaretta de nier le fossé qui peut exister entre les activités de recherche de l’agence et ses activités de conception et de production. Reconnaissant que le décalage théorique est de moins en moins grand avec le monde de la maîtrise d’ouvrages et des politiques, il craint néanmoins que l’approche d’exploration qui fait le sel de son agence soit vue par une partie des potentiels clients comme une simple plus-value lors des concours, et ne soit pas accompagnée par des choix profonds en termes de programme et de dynamique.

 

 

Pour éviter cet écueil, P. Chiambaretta a eu l’idée il y a deux ans de créer un laboratoire de recherche appliquée capable de faire le pont entre la partie purement théorique du STREAM et la partie agence. Un projet toujours en cours d’élaboration qui verra très certainement le jour en 2020, en même temps que le Stream Building, le projet lauréat de l’Appel à Projets Urbains Innovants « Réinventer Paris » lancé en 2015 par la mairie de Paris. Un bâtiment conçu en collaboration étroite avec les futurs exploitants et les contributeurs de la revue Stream, qui prendra la forme d’un manifeste pour le fondateur de l’agence, puisque le bâtiment intégrera de manière globale l’ensemble des résultats des recherches menées par la revue depuis 2008.

 

En attendant ce jour, Philippe Chiambaretta peut compter sur ses compétences managériales pour créer des liens entre les activités de recherche théorique et les projets concrets. Car avec un nombre aussi important de collaborateurs, son rôle au sein de l’agence est avant tout celui d’un chef d’orchestre, capable de créer des alchimies puissantes en constituant ses équipes. S’il travaille, dit-il, sur la plupart des étapes des projets, son rôle consiste en effet avant tout à mettre au service son bagage stratégique et son approche transdisciplinaire des sujets afin d’élaborer les grandes directions à suivre et de constituer les bonnes équipes. « Bien sûr qu’il m’arrive de trancher lorsque cela s’avère nécessaire, mais mon rôle, explique-t-il, consiste à orienter jusqu’à ce que, collectivement, il y ait une évidence qui s’impose. » Pourtant, c’est bien dans le travail de conceptualisation que P. Chiambaretta admet aujourd’hui prendre le plus de plaisir. « Passer du projet aux enjeux et essayer de les résoudre à la manière d’une équation mathématique, c’est une étape extrêmement forte dans un projet et c’est sûrement celle que je préfère », confesse-t-il.

 

Retrouvez l’intégralité de l’article sur l’agence d’architecture PCA-STREAM au sein d’archistorm daté mai – juin 2019