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LE BILLET D’HUMEUR DE PAUL ARDENNE

L’actualité, avec une constance désespérante, n’a de cesse de résonner du « malaise des prisons ». Surpopulation carcérale chronique et quasi universelle, saleté des lieux de détention, violence endémique, état dépressif des détenus comme du personnel pénitentiaire en charge d’encadrer ces derniers… Faisant elle aussi retour de façon chronique, la mutinerie, explosion de colère et de désespoir, est dès lors l’issue logique à cette crise des prisons vécue comme insoluble – et le signe d’un échec cuisant, aussi bien.

Non que les architectes se désintéressent de la question pénitentiaire, quelques-uns, avec détermination, se risquent à avancer cette solution, partielle certes mais concrète : l’architecture comme formule d’apaisement.

 

La maison d’arrêt de Roermond, aux Pays-Bas ©www.spuisers.nl

Architecturer une prison vivable

Les prisons, parfois, sont des lieux fort vivables. Sous certaines conditions toutefois. Lorsqu’on les transforme, par exemple, en résidences hôtelières, en passant l’éponge sur leur passé sombre. La maison d’arrêt de Roermond, aux Pays-Bas, a récemment connu une requalification des plus respectables lorsque ce vénérable établissement datant de 1863, sanglé dans ses roides murs de briques, s’est vu requalifié en hôtel par le groupe Van der Valk. Cent cinq prisonniers y gâchaient-ils jadis leur existence à rêver leur vie sans pouvoir la vivre ? Aujourd’hui, les voyageurs disposent ici de quarante chambres confortables, ils y passent à présent les sas sans avoir à montrer patte blanche. Même destin de métamorphose heureuse pour l’Université catholique de Lyon, logée depuis la rentrée 2015 dans la prison Saint-Paul de sinistre réputation. Le cabinet d’architecture Garbit et Blondeau, avec maestria, a tout gommé ici du passé. Le corps principal de la prison ? Conservé mais recouvert d’un immense auvent transparent faisant entrer la lumière à tout crin, et serti dorénavant derrière un mur-verrière de 2 000 m², il évoque à présent les parcours fluides de la lumière et des corps, à-rebours de toute symbolique de claustration.

 

S’il arrive que les anciennes prisons, à l’instar des usines désaffectées, puissent se changer aujourd’hui en lieux socialement enviables, ripolinés et où l’on peut aller, venir et revenir sans contrôle, reste que la prison-prison n’a pas fini d’exister. Le durcissement législatif des États, une culture coercitive croissant de manière globale tendraient plutôt, aujourd’hui, à rendre la prison-prison plus nécessaire que jamais, ne pourrait-on y faire loger tous ceux que la nemesis pénale entend y expédier (faute de cellule, ce sera alors l’assignation à résidence, les travaux d’intérêt général ou le bracelet électronique, pas forcément désavantageux). La pérennité de la prison-prison, assurée par le croît hyperbolique de la population carcérale enregistré de part en part de la Planète, n’est pas douteuse. Lurigancho (Pérou), une centrale construite pour 3 600 détenus, héberge plus de 10 000 prisonniers. Le croît hyperbolique de la population carcérale, surpeuplant la prison, rend celle-ci plus nécessaire que jamais – comment, au juste, s’en passer efficacement ? Même si tout y va à vau-l’eau, le système se désorganisant de concert. La prison de San Marta, à Mexico, est gérée par les gangs qu’elle abrite. L’apparition quasi universelle de mitards (« Quartiers de Haute Sécurité » en France, « Security Housing Units » aux États-Unis, « trous » un peu partout) n’est pas le seul fait de la nécessité d’isoler, entre les taulards, les plus dangereux ou les plus asociaux. Conjoncturellement, elle règle par défaut les problèmes de gestion en mettant entre parenthèses, un temps qui souvent s’éternise, les vrais problèmes de la prison. Un cache-misère.

Texte : Paul Ardenne
Image à la une :
 La maison d’arrêt de Roermond, aux Pays-Bas ©www.spuisers.nl

 

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