Le développement durable est une remise en cause heureuse de la pratique de notre métier. Il favorise la revalorisation de la conception et redonne une compétence spécifique à l’architecture, chargée d’arbitrer entre les contraintes. Nous devons développer notre capacité à être surpris, notre ouverture au monde, notre capacité d’écoute. L’avenir de l’architecture n’est pas seulement dans l’architecture.

Depuis 2010, AS.Architecture-Studio organise des concours et expositions à la CA’ASI, notre « maison commune » à Venise, créée pour promouvoir jeunes architectes, artistes et chercheurs du monde entier. Chaque Biennale internationale d’architecture de Venise est ainsi l’occasion d’exposer la jeune garde de la profession : la première exposition en 2010 présentait la jeune architecture chinoise, la seconde, en 2012, la jeune architecture arabe. En 2014, nous avions décidé de mettre en lumière la jeune architecture africaine, largement méconnue.
À l’issue d’un concours international, les trois équipes primées ont été : Architects of Justice (Kuba Granicki, Mike Rassman et Alessio Lacovig) d’Afrique du Sud avec le projet « Seed, blueprint for libraries » basé sur le détournement de containers permettant d’aménager une bibliothèque scolaire ; Andre Christensen et Mieke Droomer de Namibie avec « Dordabis Community Spine », projet basé sur la réinterprétation du mur en piliers de bois qui génère un espace public dans un village rural ; et Urko Sánchez du Kenya avec la « Red Pepper House », maison conçue en autoconstruction dans le respect de la topographie et de la végétation alentour.

Théâtre national de Bahreïn. photo Nicolas Buisson

La grande qualité des projets reçus – les trois lauréats, mais aussi les treize nominés et remarqués – a été corroborée par la capacité de questionnement ouverte par ces architectures. Ces projets sont tous réalisés avec des moyens limités, ils sont en cela l’expression architecturale des conditions nécessaires à la subsistance d’une communauté. Comment offrir à des enfants les moyens d’accéder au plaisir de la lecture et d’échapper aux « prisons à lire » que sont habituellement les bibliothèques des écoles primaires sud-africaines ? Comment protéger les villageois des agressions de la circulation automobile et offrir un nouveau lieu de vie à la communauté villageoise ? Comment construire un lieu de vacances sans dénaturer un lieu sublime en bord de mer et intégrer le savoir-faire des communautés locales ?

Ces projets ont l’immense mérite, par leur modestie et leur puissance esthétique, de remettre en cause notre rapport au monde. Chez AS.Architecture-Studio, nous revendiquons depuis quarante ans une approche singulière sur la question du développement durable, un savoir-ADAGPfaire et une attention à l’environnement et aux cultures vernaculaires. Cette approche se concrétise à travers les expositions de la CA’ASI, mais aussi les Mercredis d’AS, conférences mensuelles ouvrant la discussion à d’autres architectes au sein de l’agence, ou encore les ouvrages que nous publions, tel La Ville écologique1. Présentée début novembre à l’Institut français de Pékin, l’exposition « Habiter autrement le Monde » était l’occasion de porter un regard sur les quarante ans de développement de l’agence et d’étudier comment l’écologie s’est peu à peu imposée dans la conception et la construction des villes, pour devenir aujourd’hui le défi majeur des années à venir.

Auditorium de la Maison de la Radio. photo Luc Boegly

Ces actions sont l’occasion de participer à la réflexion et à la création de ce renouveau architectural que constitue le développement durable. Les projets de ces jeunes architectes africains sont un puissant contrepoint à une dérive de l’architecture aujourd’hui, une vision du progrès sans limites sur laquelle s’est construite la modernité occidentale. Au-delà de leurs qualités architecturales intrinsèques, ils nous rappellent que les ressources sont rares, chères et difficiles à transformer, et que nous devons adapter notre rapport au monde à cette rareté. Nous avons l’impérieuse nécessité d’habiter autrement le monde. Merci aux architectes africains pour cette leçon. (…)