Le problème technique
(mythologies et paradoxes)

Au-delà de la figure de l’« Ingénieur », c’est l’idée de progrès technique qui est interrogée.

Texte et photos : Claude Labbé
Visuel à la une
: Cyrus Smith, figure de l’Ingénieur dans l’imaginaire du xixe siècle 

Numéro d’avril – mai de la revue Esprit, «Le problème technique»

« C’était un de ces ingénieurs qui ont voulu commencer par manier le marteau et le pic, comme ces généraux qui ont voulu débuter simples soldats.(…) Véritablement homme d’action en même temps qu’homme de pensée (…) très instruit, très pratique (…) c’était un tempérament superbe, car, tout en restant maître de lui, quelles que fussent les circonstances, il remplissait au plus haut degré ces trois conditions dont l’ensemble détermine l’énergie humaine : activité d’esprit et de corps, impétuosité des désirs, puissance de la volonté. »

Cette description de Cyrus Smith, l’ingénieur démiurge de L’Île mystérieuse de Jules Verne, prête à sourire tant elle apparaît aujourd’hui éloignée des modèles susceptibles de galvaniser les foules. Au-delà de la figure elle-même de « l’Ingénieur », c’est aussi l’idée de progrès, et de progrès technique en particulier qu’elle interroge.

C’est précisément le thème du numéro d’avril-mai de la revue Esprit qui regroupe, sous le titre « Le problème technique », plusieurs contributions de philosophes et d’universitaires dont cette chronique se propose de faire l’écho.

Le train du progrès ? (Grand Train, rue Ordener. Anonyme)

Jean Vioulac, dans son texte « L’émancipation technologique », nous rappelle que « la technique ouvre à l’homme l’espace de sa liberté et celle du progrès », et qu’elle « définit la position fondamentale de l’humanité au sein de la nature ». C’est pourquoi, contrairement aux classifications sommaires courantes, « la question de la technique relève de la philosophie », écrit-il. Il en veut pour preuve Aristote, Descartes ou Freud qui se sont inspirés dans leurs théories des modèles techniques de leur époque. Mais ce qui caractérise la nôtre, pour Jean Vioulac, c’est que « l’invention technique est directement fondée sur l’élaboration théorique » et non plus sur la pratique. Ce qui a pour conséquence de diminuer la capacité de décision de l’homme du fait du « transfert dans la machine des capacités intellectuelles propres à l’être humain ». On pense ici au pouvoir des « fameux » algorithmes ou aux objets connectés, qui, de la sphère financière à celle de la consommation quotidienne, conditionnent ce qu’il faut bien nommer nos « pulsions » individuelles.

« Après tout, nous avons toujours tout trouvé. »

Papeteries de la Seine.

« Après tout, nous avons toujours tout trouvé », écrit Philippe Bihouix avec ironie dans les premières lignes du « Mythe de la technologie salvatrice ». L’ingénieur qu’il est s’interroge sur la capacité de notre monde, face aux dangers de tous ordres qui le menacent (réchauffement climatique, pollution, surpopulation, pénurie de matières…), à « sortir par le haut » via l’innovation technologique. Mais pour lui, il est illusoire de penser que la « croissance verte » et les promesses du numérique vont venir nous sauver car « le progrès dans sa version “techno-solutionniste” nécessite de puiser dans des ressources rares, dont la transformation est énergivore et le taux de recyclage extrêmement faible ». Il milite ainsi pour « une voie de transition post-croissance, vers un nouveau “contrat social et environnemental” ». Après le lien entre technique et philosophie, c’est celui entre technique et politique qui est mis ici en lumière. (…)

Retrouvez l’intégralité de cette chronique au sein d’archiSTORM #85 !