PATRIMOINE

Réflexions sur l’architecture moderne

 

Depuis l’incendie qui a ravagé la toiture et la flèche de Notre-Dame de Paris, le 15 avril dernier, le chevet de la cathédrale, à la poupe de l’île de la Cité, est l’un des sites les plus vus au monde. Du monument, on sait tout ou presque ; de ses abords, on connaît surtout le parvis, l’une des « œuvres » les plus contestables du xixe siècle. Qu’en est-il du chevet de Notre-Dame, ou plutôt de l’espace qui le sépare de la Seine ? Retour sur l’histoire singulière et fascinante du « terrain ». 

Notre-Dame et le Mémorial des Martyrs français de la Déportation, depuis la rive gauche (à droite, la figure de Sainte Geneviève sur le pont de la Tournelle)

 

« Nos lecteurs savent que le Terrain était une langue de terre enclose de murs du côté de la Cité, et appartenant au chapitre de Notre-Dame, qui terminait l’île à l’Orient derrière l’église. ». Cet enclos « parfaitement désert » décrit par Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris (1831) – et sur lequel Albert Laprade avait projeté de lui élever un monument – était en effet, au xve siècle, nommé « le Terrain », ou parfois « Terrain Notre Dame ». C’est ainsi qu’il figure sur les plus anciens plans de Paris. L’historien Piganiol de la Force, dans sa Description de Paris (1765), note que, dès 1258, le « Terrein » s’appelait Terrale ou Mota Papellardorum (la Mote aux Papelards). « On croit que c’était originairement un lieu où l’on portait les immondices du Cloître. C’est de ces immondices, et des décombres de l’ancienne église Notre-Dame, que s’est formé le Terrein. Lorsque le chapitre de Notre-Dame s’opposa en 1616 à la construction du pont Marie, de celui de la Tournelle et des maisons de l’Isle, il fit condamner Marie qui était l’entrepreneur à revêtir et entourer le Terrein de pierre de taille. » Sans affectation pendant des siècles, non-lieu sur une île saturée de constructions, le site accueille plus tard quelques arbres avant qu’un jardin soit tracé ; visible notamment sur le plan de Turgot (1739), il était destiné aux chanoines de Notre-Dame et limité au nord par la rue de l’Abreuvoir. Selon l’abbé Lebœuf (Histoire de la Ville de Paris, 1883), la pointe de l’île de la Cité se situait alors à peu près au niveau du Pont Louis-Philippe et le jardin du Terrein n’était qu’une « addition » à la partie orientale de l’île, certaines représentations y montrant des baigneurs puis, plus concrètement, une base nautique, posée sur pilotis. Espace libre, le Terrain n’intéressa guère les architectes des Lumières et de la période révolutionnaire : dans leurs projets d’aménagement du centre de Paris, Pierre-Alexis Delamair comme Jacques-Germain Soufflot et Jean-Charles Mangin le sacrifient à la réunion des îles Saint-Louis et de la Cité, tandis que Pierre-Louis Moreau l’ignore purement et simplement.

 

Texte : Simon Texier
Visuel à la une : Notre-Dame, 1881

Découvrez l’intégralité de « Au chevet de Notre-Dame: du « terrain » au mémorial » de Simon Texier dans le numéro 97 d’Archistorm, daté juillet-août 2019 !