Patrimoine | L’exposition de 1925 : un carrefour des modernités

Un siècle après, l’Exposition des arts décoratifs et industriels modernes de Paris continue de fasciner. Elle symbolise en effet la consécration d’une tendance, pourtant déjà largement amorcée autour de 1910. Longtemps perçue comme le théâtre d’un affrontement des modernités, elle apparaît désormais comme le lieu et le moment où toutes ont pu se montrer à grande échelle.

Imaginée dès 1906, prévue depuis 1912 par le ministère du Commerce et de l’Industrie, dans le but de prouver, à l’Allemagne notamment, la vitalité des arts appliqués français, l’Exposition de Paris se tient finalement en 1925, entre le Grand Palais et les Invalides. Son architecte en chef, Charles Plumet, en conçoit les quatre tours et la cour des Métiers ; la plupart des pavillons, comme les objets qu’ils accueillent, sont dominés par les formes géométriques d’inspiration classique qui feront le succès commercial de l’Art déco. Le poète Paul Géraldy se félicite alors, dans L’Illustration (25 avril 1925) : « L’époque est maintenant passée des recherches divergentes et indisciplinées. Un groupe d’artistes, rafraîchi par ce bain de nature, s’est mis d’accord avec lui-même, fait effort à présent dans une même direction, retrouve le sens de la vie, progresse vers sa perfection et atteint à une rigueur, à une unité, à un style dignes de nos plus grandes époques. Demain, nous posséderons un art qui nous exprimera tout entiers ».

Ces artistes, ce sont Louis Süe et André Mare, Michel Roux-Spitz, Joseph Marrast, Albert Laprade, Éric Bagge, Henri Rapin ou Pierre Selmersheim, tous architectes, mais tous partisans d’un art total intégrant mobilier, jardins, luminaires et tentures. Pierre Patout, auteur des dix pylônes formant l’entrée de l’Exposition, place de la Concorde, travaille, lui aussi, à cette nouvelle synthèse et livre avec le Pavillon du Collectionneur, aménagé par Jacques Ruhlmann – dans un esprit qui annonce le bureau de Lyautey au musée des Colonies (1931) –, le véritable manifeste d’une nouvelle architecture : sobre, claire et géométrique, dans la lignée des « folies » du XVIIIe siècle, tels l’hôtel de Salm et le pavillon de Bagatelle. Il s’agit en somme de retrouver l’équilibre, l’invention et le savoir-faire d’un art français que certains jugent menacé par le purisme ou l’ascèse dont Le Corbusier, André Lurçat et Raymond Fischer notamment font l’apologie.

Cette recherche s’exprime avec éloquence dans les pavillons des ateliers de création des grands magasins : le Bon Marché (Pomone), les Galeries Lafayette (La Maîtrise), les Magasins du Louvre (Studium) et le Printemps (Primavera). Respectivement conçus par Louis-Hippolyte Boileau, le trio Joseph Hiriart, Georges Tribout et Georges Beau, Albert Laprade et enfin Henri Sauvage avec Georges Wybo, chacun a fait l’objet d’un programme d’aménagement intérieur par un architecte-décorateur (Paul Follot, Maurice Dufrène, Djo-Bourgeois et Étienne Kohlmann, Alfred Levard). Situés aux quatre angles de la première moitié de l’esplanade des Invalides, les pavillons doivent respecter un gabarit préservant la perspective du site. Chaque architecte résoudra le problème de l’élévation différemment, Sauvage et Wybo se distinguant en adoptant le parti radical de la hutte, critiqué pour son caractère excessif mais de loin le plus expressif. Albert Laprade, qui a voulu construire au moindre prix, opte pour un pavillon à la manière de ceux du palais de Topkapi à Istanbul, sans ressauts, tandis que Boileau choisit une formule intermédiaire : des ressauts successifs exprimant plus clairement la disposition intérieure. Destinés à présenter des trésors de décoration intérieure, les pavillons des grands magasins ont été conçus comme des écrins, voire des objets, tout autant que comme des espaces, prêtant ainsi le flanc à une critique rationaliste hostile à l’indépendance de l’ornement. Là se situe précisément l’un des malentendus de 1925 ; on ne sera pas surpris, alors, que le pavillon des Galeries Lafayette, le plus apprécié du moment, soit aussi le moins connu. Signé par les plus décorateurs des architectes (Hiriart, Tribout et Beau), il est pourtant le seul dont la critique ait relevé les qualités spatiales.

Alors que l’Exposition de 1925 est l’une des premières qui ait été confiée à des artistes sans concours, l’adjudication de la maîtrise d’œuvre du pavillon des Galeries Lafayette est décidée après consultation de plusieurs architectes. Dominé par une façade-vitrail monumentale, conçue à la fois par les trois architectes, le décorateur Maurice Dufrène et le maître-verrier Jacques Gruber, le pavillon vaut surtout pour sa composition spatiale. Les architectes optent en l’occurrence pour une double circulation à sens unique. La première se fait en descendant, autour du hall central à l’italienne, éclairé par le vitrail, une galerie ouvrant sur les espaces d’exposition. L’escalier d’honneur, pour sa part, conduit au premier étage où une seconde galerie dessert salon de thé et terrasses fleuries. À travers un savant jeu de montées, descentes et repos, le visiteur parcours l’ensemble des créations – toutes luxueuses – du grand magasin, dominées par un plafond vert à pans coupés conçu par Dufrène. Oubliée au profit d’une lecture avant tout formelle des pavillons de 1925, cette complexité spatiale n’a pas échappé aux visiteurs de l’Exposition.

Pierre Patout, pavillon du Collectionneur

« L’art décoratif moderne n’a pas de décor. Mais on affirme que le décor est nécessaire à notre existence. Rectifions : l’art nous est nécessaire, c’est-à-dire une passion désintéressée qui nous élève. » Tel est l’un des arguments exposés par Le Corbusier dans son ouvrage L’Art décoratif d’aujourd’hui, qui paraît en 1925 en même temps que l’Exposition, où son Pavillon de l’Esprit nouveau, cellule en duplex grandeur nature d’un projet d’immeuble-villas, est installé en marge de la programmation officielle et dissimulé derrière une palissade le jour de l’inauguration. Considérée par la critique moderniste comme un échec, l’Exposition de 1925 aurait marqué la scission entre deux types de renouveaux et finalement consacré le triomphe d’un art conservateur : l’Art déco. Quelques pavillons placés sous le signe du scandale sont du même coup devenus des œuvres mythiques, tel le Pavillon soviétique de Konstantin Melnikov, brève incursion du constructivisme russe sur le sol parisien. À proximité du Grand Palais – réaménagé pour la circonstance par Charles Letrosne –, Robert Mallet-Stevens dresse pour sa part, à l’avant de son Pavillon des Renseignements et du Tourisme, un sobre beffroi de 36 mètres de haut, formé de deux voiles minces de béton disposés en croix, entrecoupés à la base et au sommet par des lamelles en porte à faux. Associé pour l’occasion à Jan et Joël Martel, avec lesquels il réalise les arbres en béton du jardin cubiste, aux maîtres-verriers Louis Barillet, Jacques Le Chevallier et Théodore Hanssen, ainsi qu’à Francis Jourdain (aménagement intérieur) et Pierre Chareau (éclairage), Mallet-Stevens produit son premier manifeste parisien d’une architecture abstraite, faite de plans et de lignes seulement, tout en donnant aux arts appliqués une place qu’ils n’ont pas chez Le Corbusier. Car c’est bien de cette union des arts que l’Exposition entend faire l’éloge et Mallet-Stevens est, parmi les modernistes, le plus proche de l’esprit W déco. Il suscite cependant la controverse en accueillant, dans le hall de l’Ambassade française, où se distingue le superbe bureau-bibliothèque dessiné par Pierre Chareau, des tableaux de Robert Delaunay et Fernand Léger ; des œuvres cubistes que le commissaire général de l’Exposition, Paul Léon, n’apprécia guère et qui furent provisoirement déplacées…

Paradoxalement, la porosité des frontières entre les diverses tendances, auxquelles il faut encore ajouter le rationalisme structurel d’Auguste Perret – auteur du très remarqué théâtre de l’Exposition – et de Tony Garnier, ou encore la tendance pittoresque incarnée par Louis Bonnier, apparaît plus évidente au grand public qu’aux spécialistes. Puissent ces derniers mettre de côté leurs préjugés et regarder chaque pavillon de 1925 pour ses qualités propres.

À lire : Simon Texier, Art déco, Rennes, Éditions Ouest France, 2023, 72 p.

Par Simon Texier
Visuel à la une : Robert Mallet-Stevens, pavillon des Renseignements et du Tourisme, Exposition des arts décoratifs de 1925

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Focus | Collège Angela Davis Coupe transversale sur patio, Bobigny — agence Engasser & associés et Roméo Architecture

Le nouveau collège de Bobigny se distingue par une composition architecturale volontairement claire et lisible. Dans ce projet, la fragmentation verticale traditionnelle a laissé place à une approche horizontale, plus adaptée aux contraintes du site. Deux volumes principaux sont posés l’un sur l’autre : un socle en brique à rez-de-chaussée et un étage supérieur organisé autour d’un vaste patio. Le socle, en forme de U ouvert sur le parc de la Bergère, accueille les espaces d’accueil, la restauration scolaire, la cuisine, un gymnase semi-enterré et l’ensemble des services nécessaires au bon fonctionnement de l’établissement. Ce volume minéral, ancré dans le sol, crée une continuité paysagère avec le parc, prolongeant ainsi l’espace naturel jusque dans la cour du collège.

Au-dessus, un volume carré parfaitement dessiné abrite les fonctions pédagogiques et administratives. Le premier étage est dédié aux espaces communs – CDI, salle polyvalente, zones d’exposition, administration et locaux enseignants – tandis que le second est entièrement réservé aux salles de classe. Sur le toit, des logements de fonction viennent compléter l’ensemble, sans relation visuelle directe avec le reste du collège afin de préserver l’intimité des habitants.

Inscrit dans un tissu urbain complexe, le collège joue un rôle de liaison entre la ville de Bobigny et le parc de la Bergère. Il génère un nouvel espace public qui connecte ces deux entités en créant une vaste cour végétalisée en continuité du parc. L’implantation du bâtiment respecte des alignements stricts sur les rues de la Bergère et des Coquetiers. Côté ville, il s’aligne en équerre face aux archives départementales, tandis que côté parc, sa forme en U vient envelopper la cour.

Le site, marqué par une topographie en pente et encadré par des infrastructures ferroviaires, présentait plusieurs contraintes. Le projet les a transformées en opportunités, en aménageant différentes plateformes qui structurent les espaces extérieurs : une cour oasis, un amphithéâtre à ciel ouvert, un patio central. Un espace sportif indépendant, accessible depuis la rue, complète l’offre d’équipements.

Pensé pour une mise en service à la rentrée 2024, le projet a été mené dans un calendrier contraint, grâce à une collaboration étroite et efficace entre le maître d’ouvrage et les architectes. Cette relation partenariale a permis de répondre aux exigences du programme tout en préservant une grande qualité architecturale.

L’ensemble se distingue par une géométrie compacte et une sélection de matériaux durables. Les noyaux structurels et les plateaux d’enseignement sont en béton armé. Les équipements sportifs, quant à eux, sont réalisés en bois, sous une couverture en toile tendue. Les façades en bardage acier sont rythmées par des ventelles jouant un double rôle de brise-soleil et de filtre visuel, garantissant confort et intimité aux usagers. Les éléments paysagers en serrurerie reprennent la teinte des briques, assurant une cohérence esthétique à l’ensemble.

Fiche technique :

Maîtrise d’ouvrage : Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis
Maîtrises d’œuvre : agence Engasser & associés et Roméo Architecture
Surface : 6 891 m2 SDP
Budget : 20,9 M€ HT
Programme : Collège pour 700 élèves, 4 logements de fonction, ERP espaces partagés et un plateau sportif extérieur

Par la rédaction
Photographie : © Luc Boegly

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Entrée en matière | Le revêtement extérieur se réinvente

Pour profiter des beaux jours en extérieur, il ne suffit pas de meubler sa terrasse avec les plus belles pièces de mobilier. La première étape pour un espace extérieur réussi réside dans la création d’un lieu protégé des éléments, tout en offrant des qualités esthétiques : le revêtement extérieur. De nombreuses alternatives sont possibles, offrant un éventail de matières et de rendus. Le choix de ce revêtement est guidé par deux lignes directrices : la résistance aux intempéries et l’esthétique, avec une attention croissante à la durabilité.

Kebony, le bois autrement

© DR

Alors que les bois exotiques sont aujourd’hui pointés du doigt pour leur impact sur les forêts menacées, certaines marques proposent des alternatives durables. C’est le cas de Kebony, qui a breveté la technologie Dually modified© à base de bois résineux. Adapté aux terrasses, bardages, toitures ou mobilier, ce bois transformé en Norvège résiste au temps. Sa teinte grisée aux reflets argentés apporte une identité contemporaine aux extérieurs.

[www.kebony.com]


Rairies Montrieux, le renouveau de la brique

© Tom Roe

Matière ancestrale, la brique connaît un regain d’intérêt pour sa durabilité et ses qualités thermiques face à la hausse des températures. Parmi les principaux acteurs français, la briqueterie Rairies Montrieux adapte son savoir-faire aux revêtements extérieurs. Plaquettes de façade, tomettes en terre cuite aux finitions variées : artisanales ou contemporaines, elles se déclinent en dix teintes. Idéale en terrasse, la brique absorbe la chaleur, rendant l’espace naturellement plus frais.

[www.rairies.com]


Fiberdeck, la nouvelle génération de bois composite

© DR

Autrefois réservées à l’intérieur, les matières recyclées investissent désormais les revêtements extérieurs. Fiberdeck propose le WEO®60, un bois composite coextrudé composé à 50 % de fibres de bois recyclées et 50 % de polyéthylène recyclé, 100 % recyclable. Grâce à un film étanche, il ne se dilate pas avec l’humidité et résiste aux intempéries. Autre atout : sa tenue dans le temps, avec une décoloration réduite pendant plus de 20 ans. Idéal pour les terrasses comme pour les façades.

[www.fiberdeck.fr]


Plastor, des solutions pour préserver le bois naturel

© DR

La problématique actuelle réside pour de nombreux particuliers dans l’adaptation d’un revêtement extérieur préexistant, souvent altéré par le temps. Les façades et terrasses en bois perdent leur couleur et leur efficacité face à l’humidité. Pour y remédier, la marque Plastor, du Groupe V33, a développé des produits de traitement du bois et des peintures extérieures pour préserver les revêtements en matière naturelle. Sa gamme inclut le PUR-T® WOOD, composé d’huiles végétales et de résines modifiées biosourcées, qui protège le bois des intempéries et des UV, tout en étant compatible avec toutes les essences de bois.

[www.plastor.com]


Maison Bahya, la tradition du bejmat

© DR

Le bejmat, né au Maroc, est un carrelage traditionnel proche du zellige, mais moulé plutôt que taillé, ce qui lui donne une forme régulière. Non émaillé, il est plus solide et adapté aux espaces extérieurs. La Maison Bahya, spécialisée dans ces artisanats, propose des finitions brutes ou lisses, nécessitant des protections contre la pluie et le gel. Disponible dans des teintes naturelles, le bejmat apporte un caractère artisanal aux espaces extérieurs, avec des poses possibles en chevrons ou à la verticale et horizontale, selon l’application au sol ou aux murs.

[www.maison-bahya.com]


Nakamoto Forestry, la technique du bois brûlé

© Johannes Zettel

La technique du bois brûlé, née dans le sud-ouest du Japon, a été introduite en Europe par Nakamoto Forestry. Cette méthode traditionnelle consiste à brûler du cèdre selon un processus secret, offrant une grande résistance aux intempéries et au temps. Utilisée pour la construction de maisons, elle est désormais adaptée à la fabrication de bardages et de terrasses. Résistant à l’humidité, aux insectes et au feu, le bois brûlé ne nécessite pas de traitement protecteur. Disponible en plusieurs finitions, il confère une esthétique unique, avec des teintes allant du gris au noir intense.

[www.nakamotoforestry.fr]

Par Aurore De Granier
Visuel à la une : © Tom Roe

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Réalisation | Lime, territoire & trajectoire, Limonest — SOHO Architecture

Troisième implantation de Newton Offices dans la Métropole de Lyon, Lime est situé à Limonest, sur le pôle tertiaire de l’Ouest lyonnais, Techlid. À la fois proche de la ville et ancré dans la nature, il déploie une architecture fluide et organique, en résonance avec son voisin et faux jumeau Linux dont il est l’écho solaire et lumineux. Dernier-né d’une longue histoire de confiance entre l’agence SOHO Architecture et le promoteur DCB International, inauguré en juillet 2024, Lime incarne la nouvelle génération d’immeubles de bureaux. Des lieux pensés comme des espaces de vie, où l’utilisateur final est pris en compte dans toutes les dimensions fonctionnelles, organisationnelles mais aussi sensorielles et émotionnelles. Un site tout en courbes dont le supplément d’âme se traduit dans le moindre détail et qui réinvente la notion de bien-être au travail.

Lime en un coup d’œil

L’inauguration officielle de Lime a eu lieu le 9 juillet 2024. Troisième implantation de Newton Offices dans la Métropole de Lyon, cet immeuble R+2 de 12 000 m² s’inscrit dans un historique de confiance : celle qui unit Tivoli Capital, maison mère de Newton Offices, et DCB International ; et celle qui existe entre le promoteur et l’agence SOHO Architecture depuis plusieurs décennies.

L’immeuble Lime se situe sur la commune de Limonest, sur le pôle tertiaire de l’Ouest lyonnais, Techlid. Voisin du bâtiment Linux, siège de Blédina et de Danone Africa également conçu par SOHO et livré par le groupe DCB International en 2016, il en reprend l’architecture organique dont il décline le bardage dans une teinte champagne épousant les différentes variations de lumière de la journée.

Dimensionné pour accueillir 1 800 résidents, Lime incarne cette nouvelle génération d’immeubles de bureaux où l’utilisateur final est pris en compte dans toutes les dimensions fonctionnelles, organisationnelles mais aussi sensorielles et émotionnelles. Un site tout en courbes dont le supplément d’âme se traduit dans le moindre détail et qui réinvente la notion de bien-être au travail.

« Lime est un lieu où il se passe quelque chose, où nous savons que nos clients potentiels auront un coup de cœur : c’est tout l’intérêt de faire du beau, d’apporter un supplément d’âme. »
— Guillaume Pellegrin, Fondateur et Président de Tivoli Capital et Newton Offices

Au commencement était Linux

La grande force de Linux est d’avoir su tirer un parti totalement radical et original de son environnement végétal. Les jurés du Grand Prix du SIMI 2017 (catégorie « Immeuble de bureaux neuf de plus de 5 000 m² ») et du Trophée lyonnais de l’Immobilier d’entreprise ne s’y sont pas trompés, qui ont récompensé une approche aussi étonnante que disruptive pour le nouveau siège social de Blédina et de Danone Africa.

Ce bâtiment à la conception si atypique s’ancre pourtant résolument dans l’air du temps. Il s’inscrit en effet complètement en phase avec des aspirations croissantes pour des lieux de travail mieux adaptés à leurs utilisateurs, plus agréables à vivre, plus doux au regard. En un mot : plus humains.

En rupture totale avec l’ère d’un tertiaire hérissant le ciel de formes géométriques aux arêtes vives, dessinant des skylines rigoureusement rectangulaires où seule la diversité de hauteurs et de façades apportait un semblant de respiration, Linux a été imaginé comme un campus de forme organique immergé dans un écrin de verdure.

Cette audace formelle ne s’affranchit pas des exigences rigoureuses imposées par les obligations de conformités réglementaires, techniques, thermiques, acoustiques et environnementales : Linux est certifié BREEAM Very Good autant par ses qualités intrinsèques que par sa valeur ajoutée, et répond à toutes les contraintes qu’impose cette catégorie de sites.

Lime, le faux jumeau de Linux

La genèse du projet Lime a débuté avec Linux, qui pose les jalons d’une nouvelle ère des bâtiments du tertiaire, avec sa forme courbe et organique venue s’ancrer dans le paysage de Limonest. Lorsque DCB propose à SOHO une nouvelle opération sur l’autre partie du tènement dont il est propriétaire, c’est naturellement que s’impose l’idée d’un « faux jumeau », doté lui aussi de fingers déployés vers la nature environnante.

Leurs formes similaires créent une harmonie d’ensemble qui fait ressortir le contraste de leur peau : Linux a l’éclat gris métal de la lune, Lime la lumière ambrée du soleil. Telle une main ouverte, Linux tend ses cinq fingers autour de son atrium, tandis que Lime en offre un de plus. Au-delà de leurs ressemblances et dissemblances, les deux bâtiments procèdent d’un même geste : une écriture courbe et sensuelle, dont les formes douces rompent avec des décennies d’immeubles tertiaires aux angles résolument droits. Un organisme vivant posé dans un écrin de verdure.

« Dans une vie d’architecte, quelques œuvres survolent les autres… Ce sont les usagers, les visiteurs et les professionnels du secteur qui en sont les meilleurs jurés. Unanimement apprécié, voire plébiscité, Lime détient une cote d’émotion et de sympathie de grande envergure. »
— Patrick Miton, Architecte-Urbaniste Associé, Président, SOHO Architecture

© Guillaume Perret

Tertiaire au vert

Après avoir examiné différents sites métropolitains proposés par DCB International, c’est finalement celui de Limonest que choisit Newton Offices pour sa nouvelle implantation, en 2021. Pour en réaliser l’acquisition, Tivoli Capital s’associe au fonds d’investissement américain KKR.

La structure originelle de l’immeuble est adaptée par SOHO au cahier des charges de Newton Offices, qui installe au rez-de-chaussée, comme
c’est toujours le cas pour les sites dont il est propriétaire, son propre espace de travail avec services : bureaux privatifs, salles de réunion, espaces de coworking…, accessibles à la journée ou au mois, pouvant accueillir de 1 à 30 personnes via des contrats flexibles avec ou sans engagement. Les étages supérieurs sont, quant à eux, organisés en plateaux de différentes surfaces, pouvant accueillir des entreprises de toute taille.

Lime comprend également des espaces accessibles aux résidents de l’immeuble comme aux entreprises extérieures : lieux de restauration, de détente et de bien-être, salle de sport avec vestiaires et douches, parking en sous-sol avec bornes de recharge pour véhicules électriques… Au-delà de ce descriptif, Lime offre une expérience d’utilisation unique, due à sa forme organique tout en rondeurs, à son organisation spatiale à taille humaine, à son ambiance intérieure fluide et lumineuse.

Accueillir et organiser les différents usages

Contrairement à Linux, Lime est un immeuble « multipreneurs », qui doit pouvoir être divisible et adaptable aux différentes entités qu’il accueille, des freelances venant s’installer pour une journée aux antennes de groupes, équipes de PME ou cabinets de professions libérales.

Par ailleurs, Lime donne corps à la philosophie de Newton Offices : proposer sur un site tertiaire tous les services visant à apporter au quotidien des occupants un bien-être allant au-delà du simple confort d’utilisation. L’enjeu des usages est donc double : offrir une grande flexibilité dans l’organisation et l’agencement des locaux ; faire en sorte qu’un lieu de travail devienne une véritable expérience émotionnelle. Les réponses apportées par SOHO se situent donc sur plusieurs champs : une ambiance intérieure qui fait la part belle à la douceur, à la lumière et à la transparence, des plateaux aménagés pour être facilement divisibles ou, au contraire, former des bureaux d’un seul tenant, des bâtiments qui s’enroulent autour d’un cœur central : l’atrium.

C’est cet endroit, baptisé « la Place du Pommier », qui marque l’une des vocations essentielles de Lime : fédérer toutes les personnes travaillant sur le site dans une communauté qui partage des espaces communs mais aussi des événements, animations… imaginés par Newton Offices. Lime propose ainsi au rez-de-chaussée les différents locaux mis à la disposition de tous les résidents : salles de sport, de détente, de réunion, kitchenette équipée…

« Nous avions adoré Linux mais nous sommes fous de Lime ! Nous avons l’impression d’avoir  sublimé la beauté du geste de Linux dans une typologie de rapport au travail encore plus simplifiée, encore plus belle. »
— Didier Caudard Breille, Président, Groupe DCB International

Les circulations : escaliers, couloirs, passerelles et coursives

Lime est un R+2 (rez-de-chaussée surmonté de deux étages). Larges et agréables, les escaliers ont été travaillés pour inciter les résidents à les emprunter régulièrement. Leur esthétique étudiée tout en légèreté – une forme hélicoïdale structurée par un barreaudage en serrurerie – permet de voir les résidents monter et descendre, comme une traduction visuelle de l’énergie qui irrigue le bâtiment. S’il est bien sûr équipé d’ascenseurs, dont les parois vitrées contribuent à la transparence globale des espaces, ceux-ci sont surtout destinés aux personnes à mobilité réduite et aux livraisons.

Transparence encore et toujours pour les coursives dont les garde-corps sont entièrement vitrés pour faire ressortir les volumes, accentuant ainsi une atmosphère intérieure à la fois douce et dynamique. Leur mode de fixation – un système de mâchoire en U fixé à la dalle béton et dont la hauteur est exactement celle du plancher technique de manière à être dissimulé par la moquette – témoigne du soin apporté dans les moindres détails à la qualité visuelle du bâtiment.

Au milieu de chaque étage au cœur de l’atrium, une passerelle permet de traverser directement au lieu de faire le tour, de manière à favoriser un accès plus rapide pour les équipes travaillant au même niveau.

L’atrium

Sous la grande verrière, le magnifique atrium se déploie sur 600 m² au sol et douze mètres de hauteur : le cœur de Lime est généreusement baigné d’une lumière douce et sereine qui enveloppe visiteurs et résidents sitôt qu’ils ont franchi le sas d’entrée. Dans ce noyau central sont regroupés les espaces partagés mis à disposition des résidents tels que le « coworking silencieux », la kitchenette, les sanitaires. C’est ici que sont accueillis les visiteurs, que passent tous les occupants des autres plateaux qui peuvent ainsi circuler d’un finger à l’autre sans avoir à ressortir du bâtiment.

Dès la conception, l’agencement de l’atrium – implantations des ascenseurs, de l’entrée et du sas – a été imaginé de manière à pouvoir faire passer une machine-araignée supportant une petite nacelle de 80 cm de largeur et qui peut s’élever jusqu’à la verrière pour en assurer l’entretien. Toutes les parties en sous-face peuvent ainsi être atteintes depuis le sol.

© Guillaume Perret

La verrière

Si la forme de la verrière de Lime, courbe et bombée, dessinant une sorte de vague, est identique à celle de Linux, là s’arrêtent les ressemblances. La réalisation a été confiée à une entreprise espagnole et procède d’un mode constructif complètement différent. 220 triangles de verre la composent, dont pas un seul n’est pareil aux autres, et dont le dessin projette un jeu d’ombres magique au sol.

En prévision des périodes estivales et des hausses de températures qui les accompagnent, et pour éviter l’installation d’un velum qui aurait eu un effet dissonant sur l’harmonie globale de l’atrium, le verre a été choisi selon des facteurs solaires, lumineux et thermiques précis. À l’extérieur, un procédé miroir empêche la chaleur d’entrer. Le choix de conception a porté sur des châssis fixes, les parties ouvrantes étant plus susceptibles d’engendrer des fuites. En cas d’incendie, deux points de désenfumage s’ouvrent automatiquement dans les parties nord et sud de l’atrium.

Les sous-sols

L’offre de transports en commun sur Techlid restant encore à développer, l’accès à Lime se fait essentiellement en voiture. Sur deux niveaux de sous-sol, 420 places ont été aménagées dont certaines sont réservées au co-voiturage – un mode très actif sur la zone. S’y ajoutent des bornes de recharge pour les véhicules électriques ainsi que des emplacements réservés aux motos. Les sous-sols abritent également les locaux techniques.

L’enveloppe du bâti

Constituée de dalles béton soutenues par des poteaux disposés tous les 5,40 m, la façade de Lime est composée de modules d’ossature bois remplis d’isolant en laine minérale avec pare-vapeur intérieur et pare-pluie extérieur. Si ces modules étaient cintrés sur Linux, la solution adoptée pour Lime est plus rationnelle : il s’agit d’éléments plus petits et rectilignes. L’habillage final extérieur de la façade est un dessin nervuré qui dynamise celle-ci en captant la lumière. Ces clins de métal sont produits par ArcelorMittal et ont été agrandis pour le projet au format 33 x 75.

La couleur de la façade de Lime a été imaginée comme un écho à celle de Linux : une teinte champagne chaude, lumineuse, joyeuse, qui compose avec le gris métallisé de son voisin un duo harmonieux, comme une lune et un soleil selon l’équilibre des principes fondamentaux du yin et du yang.

De la HQE à la certification breeam Very Good

Certifié B Corp, entreprise à mission, engagé en 2023 dans une Convention des Entreprises pour le Climat (CEC) avec la production d’une feuille de route, Newton Offices déploie une démarche RSE active, dont l’un des piliers est la transition énergétique. Dans ce cadre, il demande aux promoteurs de s’investir à ses côtés, notamment par la certification internationale BREEAM (Building Research Establishment Environmental Assessment Method) Good ou Very Good de ses immeubles. Le secteur tertiaire est un pôle d’expertise historique de SOHO Architecture, qui a intégré dans ses compétences la maîtrise des différentes normes et certifications qui encadrent la dimension environnementale au sens large depuis plusieurs décennies.

Avec l’appui d’un bureau d’études spécialisé HQE, SOHO a pris en compte l’ensemble des cibles visées par la certification BREEAM afin de s’assurer que chacune répondait à ses objectifs. Le volet énergétique a ainsi été travaillé sur plusieurs aspects, et notamment par une isolation importante apportée par la façade à ossature bois qui offre une étanchéité à l’air élevée ; de même que par des détecteurs fixés directement sur les luminaires qui captent la luminosité ambiante et s’auto-règlent au plus près des besoins réels. BREEAM accorde également une part déterminante au confort d’utilisation. À titre d’exemple, le bâtiment concerné doit comporter un local à vélos équipé de douches : c’est naturellement le cas de Lime, dont les résidents qui utilisent ce mode de déplacement peuvent ainsi se rafraîchir avant d’attaquer leur journée de travail.

Des terrasses à tous les étages

Élément important du « bien-vivre » attaché au lieu, chaque finger a sa terrasse, réalisée en platelage en bois pour renforcer l’immersion du site dans la nature. De 20 m² à 50 m², elles représentent au total plus de 800 m², accueillant des brainstormings, permettant de profiter de pauses pour prendre l’air, respirer, admirer la vue sur les paysages environnants… Elles peuvent aussi servir d’espaces réceptifs aux beaux jours, venant ainsi renforcer la qualité de l’offre proposée.

Les aménagements extérieurs

Travaillés par BDC Concept, paysagistes, les extérieurs de Lime affirment un parti pris de faire entrer la nature au plus haut des pétales que dessinent les fingers, avec des espaces verts qui convergent vers l’atrium. Arbres d’essences locales abritant pour certains des nichoirs à oiseaux, herbes aromatiques… enserrent ainsi le bâtiment dans un cadre végétal de qualité, avec une terrasse au sud imaginée comme un grand jardin accueillant les pauses des occupants.

Fiche technique :

Investisseur propriétaire : Tivoli Capital / KKR
Exploitant : Newton Offices
Maîtrise d’ouvrage : DCB International
Architecte : SOHO Architecture
Surface : 12 413 m2
Budget : 30 M€ HT
Entreprises (liste non exhaustive) : BOUYGUES BÂTIMENT SUD-EST (macro-lot clos couvert), THALMANN (menuiserie bois), HESTIA Finitions (sol souple), EQUANS (macro-lot technique), ESPACES VERTS DES MONTS D’OR (VRD / espaces verts), ESPACS (clôture)

Par Anne-Françoise Sarger
Visuel à la une © Guillaume Perret

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Entretien | Le Pont de la Palombe

Ouvrage d’art long de 200 mètres enjambant les 29 voies ferrées qui séparent les quartiers Amédée Saint-Germain et Armagnac, le pont de la Palombe est construit au sud de la gare Saint-Jean, à Bordeaux. Il s’érige au cœur d’un quartier empreint d’une histoire fortement liée à son activité ferroviaire. Le projet s’inscrit dans le cadre d’un concours ouvert à l’échelle de l’ensemble des secteurs de la ZAC aménagée par Bordeaux Euratlantique. Conçu par l’équipe Marc Mimram Architecture et Ingénierie et Artelia, réalisé par Bouygues Travaux Publics et le groupe belge Victor Buyck Steel Construction, le pont est inauguré à l’issue d’un chantier colossal. Ce viaduc faisant partie intégrante du programme d’aménagement de l’Opération d’Intérêt National Bordeaux Euratlantique atténue désormais la frontière physique créée par les voies ferrées.

Entretien Arnaud Boulinguez, Directeur des travaux, Bouygues Travaux Publics Régions France

Quelle a été la mission de Bouygues Travaux Publics Régions France dans le cadre de ce projet, et quelles sont les expertises  apportées ?

Dans le cadre de ce projet, Bouygues Travaux Publics Régions France (Bouygues TP RF) a opéré en tant que mandataire du groupement d’entreprises titulaire du marché.

En complément des missions de mandataire – incluant coordination et pilotage général de l’opération –, Bouygues TP RF avait également en charge la réalisation des études d’exécution des ouvrages en béton armé, la réalisation des travaux des ouvrages préparatoires pour les plateformes de lançage de la charpente métallique, des appuis de l’ouvrage de franchissement principal et des ouvr-
ages de la rampe d’accès. Et enfin, la réalisation des travaux d’équipements et de superstructures.

Quelles sont les lignes structurantes du projet ?

Il s’agit d’un ouvrage de franchissement principal avec des ouvrages d’accès latéraux. Le projet se compose ainsi de trois parties : la rampe courbe du côté du quartier Armagnac, le franchissement principal et la rampe du côté du quartier Amédée Saint-Germain. Il y a néanmoins eu deux marchés afin de permettre le raccordement d’une rive à l’autre. Tout d’abord, le marché du pont de la Palombe, comprenant la réalisation de l’ouvrage de franchissement principal et des ouvrages de la rampe d’accès côté Armagnac. Ensuite le marché dit « des ouvrages de raccordement au pont de la Palombe » comprenant la réalisation de plusieurs ouvrages dont la rampe d’accès côté Amédée Saint-Germain.

Techniquement, le franchissement se compose d’un caisson principal complété par deux poutres en treillis, d’un tablier avec arcs en superstructure et d’une passerelle piétonne soutenue par des consoles métalliques. La rampe courbe côté Armagnac se compose quant à elle de deux segments, avec une structure principale en béton armé, longue d’une centaine de mètres, puis se terminant par un remblai.

Quelles ont été les grandes phases du chantier ?

Ce chantier relativement long s’inscrit dans une opération globale d’aménagement pilotée par Bordeaux Euratlantique. Nous avons été adjudicataires en 2016, pour une livraison en 2021 puis une mise en service au printemps 2022.

Tout d’abord, le projet a débuté par une période de préparation, avec notamment la réalisation des études d’exécution et des études des ouvrages provisoires, la mise au point des formulations des bétons architectoniques, puis la réalisation des appuis de l’ouvrage de franchissement principal dans le domaine ferroviaire, selon le calendrier fixé par SNCF Réseau. Après l’acheminement des éléments, les premières étapes de construction ont été l’assemblage et la mise en place de l’ouvrage métallique du franchissement principal par lançages. Après l’achèvement des opérations de lançage, le montage des ouvrages de la première rampe d’accès a pu débuter. Enfin, les éléments de superstructures ont été réalisés et tous les équipements ont été installés.

Entretien Olivier Peyratou, Directeur de projets et Dominique Hallaert, Directeur de projets, Victor Buyck Steel Construction

Quels ont été les défis techniques relevés ?

Commençons par les chiffres clés : la longueur du pont est de 200 mètres pour une largeur de 18 mètres. Il franchit 500 mètres au-dessus des 23 voies ferroviaires de la gare de Bordeaux Saint-Jean. Le poids de l’ouvrage atteint environ 2 000 tonnes.

VBSC a fabriqué les éléments du pont au sein de ses ateliers à Eeklo, en Belgique. Les 50 tronçons du pont et les deux tronçons des arches ont ensuite été acheminés par convois exceptionnels routiers jusqu’à Bordeaux.

Les convois déchargés via des grues par phases de cinq tronçons ont ensuite été montés sur une rampe de lançage puis soudés entre eux. Après que les 25 premiers tronçons furent soudés, l’installation de l’avant-bec et de l’arrière-bec a commencé pour permettre le lançage, suivant un profil rigoureusement calculé par nos ingénieurs.

Pour des raisons techniques évidentes, ce pont ne pouvait être monté ni soudé directement au-dessus des voies ferroviaires. La mise en place d’une estacade et d’une rampe de lançage, nécessaires au montage, a rendu possible l’exécution du lançage suivant un profil permettant de franchir les voies de chemins de fer et leurs caténaires.

Sur une longueur totale de 100 mètres, comprenant l’avant-bec, l’arrière-bec et le système de lançage – composés notamment de câbles et d’un vérin à creux –, le premier lançage a eu lieu en décembre 2017 pendant une coupure de circulation des voies de chemins de fer.

À la suite de cette opération, l’espace libéré sur la plateforme de lançage et l’estacade permettait la construction de la seconde partie du pont. De nouveau, 25 tronçons ont été livrés puis soudés, de même que les deux arches. En mai 2018, le second lançage eut lieu, suivi au mois de juin par le dévérinage.

Quelles étaient les exigences auxquelles vous avez dû répondre ?

Les principales exigences ont été, en premier lieu, le soin apporté à l’architecture unique du pont impliquant une maîtrise de la géométrie tant en phase de soudage qu’en phases provisoire et finale. La géométrie du pont et des arches a finalement bien été respectée.

Ensuite, il a fallu tenir compte des délais stricts. Trois créneaux de coupures de circulations des voies pour les deux lançages puis le dévérinage ont été prévus longtemps à l’avance.

Enfin, l’une des exigences concernait l’entretien, qui se devait d’être minimisé afin de ne pas avoir à interrompre à l’avenir le trafic ferroviaire en dessous de l’ouvrage. Ainsi, le choix du matériau principal pour ce pont s’est porté sur l’acier autopatinable. Il s’agit d’un acier qui rouille immédiatement, mais dont le processus corrosif stoppe dans le temps, grâce à la formation d’une couche d’oxydation autoprotectrice. Ce type d’acier ne nécessite donc pas l’application d’une peinture anticorrosion et constitue pour cette raison un avantage vis-à-vis de son entretien sur le temps long.

Entretien Yann Henry, Chef de projet, Artelia

Quel a été le rôle d’Artelia au cours de ce projet ? Quelles expertises avez-vous apportées ?

L’équipe de Marc Mimram Architecture et Ingénierie, qui a conçu et réalisé les calculs des ouvrages, a fait appel à Artelia en ce qui concerne le suivi et la réalisation des travaux. Nous sommes intervenus à partir de l’étape de l’étude de projet, durant laquelle a été réalisée la gestion de l’interface SNCF et notamment l’organisation des différentes coupures de réseau. Ensuite, lors de la phase d’exécution, nous avons piloté cette interface en participant à toutes les procédures spécifiques liées à la sécurité ferroviaire, devant être rédigées par le mandataire et validées par la SNCF afin d’avoir les autorisations nécessaires aux travaux. Nous avons assuré la mission de préparation et de suivi des travaux du chantier en travaillant à partir des méthodes proposées par l’entreprise. Nous les avons validées ou au besoin amendées afin de nous assurer du bon déroulement des opérations.

Le pilotage des travaux en interface du domaine ferroviaire a été mené avec un sous-traitant spécialiste des représentants sécurité opérationnelle (RSO), l’entreprise ATIF. Je souhaite par ailleurs souligner la qualité du travail réalisé par les équipes travaux Bouygues TP RF, tant en termes d’études et méthodes qu’en termes de réalisation de travaux.

Quelles sont les spécificités de cet ouvrage d’art ?

Tout d’abord, un ouvrage classique subit une grande dilatation longitudinale et une faible
dilatation latérale, la dilatation dans les deux sens est très rare. Mais ici, à cause de la rampe placée en angle de 90 degrés, le tablier métallique qui possède une grande dilatation longitudinale doit se marier avec une rampe en béton qui subira des dilatations à la fois longitudinales et latérales. Il a donc fallu placer à cet endroit un joint spécifique qui résiste à la dilatation bilatérale tout en conservant son rôle d’étanchéité. Les avis techniques n’existant pas pour ce genre de produits très spécifiques, nous avons commandé un joint de chaussée conçu sur mesure par Robert Chartier Application.

Parmi les autres spécificités techniques, l’ouvrage possède deux arcs, ce qui en termes de mise en œuvre et de soudure donne lieu à d’importantes épaisseurs. En ce qui concerne l’étanchéité, comme la rampe est en béton, alors que la console est métallique, la jonction entre les deux matériaux est difficile à gérer. Les produits d’étanchéité de chacun de ces deux matériaux ne sont pas compatibles. La solution a consisté à créer de petites barrières d’une très faible épaisseur pour que les deux parties concomitantes ne se touchent pas.

Enfin, comme la semelle de la pile P1 est très proche de la voie SNCF, le fût de pile présentait un excentrement par rapport à la semelle. Celle-ci fondée sur pieux a nécessité la mise en œuvre de quelques pieux précontraints, le pont de la Palombe se voyant ainsi hissé au rang d’unique ouvrage d’art avec pieux précontraints en France.

Par Cléa Calderoni
Toutes les photographies sont de © Erieta Attali

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Structure | Réhabilitation de la Tour Sapporo, Les Olympiades, Paris 13e

La réhabilitation de la Tour Sapporo entreprise en 2022 répond à un objectif de conservation patrimoniale. Des désordres sanitaires liés à l’emploi du béton armé ont conduit la copropriété à engager une restauration complète des façades.

L’atelierpng a été retenu pour mener à bien ce projet visant à préserver l’apparence d’origine de cette tour, important témoin d’expérimentations à la fois urbaine et constructive. L’intervention visait ainsi à respecter les dispositifs techniques et plastiques originels afin de conserver la richesse des variations de matière qui font la singularité plastique de cette tour. Le chantier, engagé pour une durée de 18 mois, s’est achevé en décembre 2024.

Contexte de construction de la Tour Sapporo

La construction du quartier Olympiades synthétise les théories architecturales et urbaines de Raymond Lopez (1904-1966) et Michel Holley (1924-2022), qui aboutissent à l’élaboration du Plan d’urbanisme directeur de 1967 et conduisent à la construction d’immeubles de grande hauteur, notamment sur le Front de Seine et dans le 13e arrondissement. Inspiré du « plot area ratio » mis en place à New York, Michel Holley conçoit l’urbanigramme, un dispositif méthodologique qui précède et guide l’élaboration du plan-masse. Il dessine un ensemble d’immeubles de logements sur dalle, construit au-dessus de l’ancienne gare ferroviaire de marchandises des Gobelins, et qui comprend dix tours d’une hauteur avoisinant les 100 mètres. Seules huit d’entre elles ont été édifiées, dont les trois premières, les tours Sapporo, Mexico et Athènes, construites au nord de la dalle entre 1970 et 1972.

La Tour Sapporo, œuvre des architectes Michel Holley et Michel Proux (1935-2018), est ancrée dans la dalle et directement connectée à la rue de Tolbiac. L’entrée qui conduit aux logements se fait à l’ouest, face à un parvis partagé avec la Tour Athènes, et mène aux ascenseurs et escaliers installés en noyau. L’intérieur de la tour accueille 251 logements répartis sur 31 étages. Organisés en périphérie autour d’un noyau central, ces logements présentent une grande diversité typologique.

Système constructif et façades d’origine

La trame structurelle repose sur un module carré d’environ 6 m2, le principe constructif répond à une ossature constituée de murs de refends en béton armé banché d’une épaisseur de 20 à 30 cm, ensuite insérés dans les dalles en béton armé de chaque étage, coulées en place sur une même épaisseur. Il résulte de ce système de grandes façades libres, habillées par des panneaux de trois types (A, B et C) dont la déclinaison permet de distinguer les différentes parties de la tour. Les panneaux des baies (A) en forme de paraboloïde hyperbolique correspondent aux baies des appartements. Les panneaux des murs de refends (B) couvrant les parties aveugles des façades nord et sud sont constitués d’éléments verticaux rectilignes et saillants. Le soubassement est identifiable par de grands portiques (C) composés de deux pilastres rectangulaires et d’un linteau placé en biais. Le béton est recouvert d’un enduit décoratif composé de granulats de marbre.

Diagnostics et traitements

L’atelierpng a collaboré avec l’entreprise Lefèvre Rénovation afin d’établir un diagnostic précis de l’état des différents éléments de la structure et des façades. Cette phase a permis de définir une méthode précise d’intervention, à la fois adaptée aux spécificités d’un IGH et qui tient compte des différents types de béton présents en façade.

Les bétons non adhérents et les anciennes reprises ont été purgés afin de mieux comprendre la conception de la tour et les raisons des pathologies observées. Les diagnostics établis ont permis de confirmer que la carbonatation du béton des différents éléments de façade, dont la profondeur varie de 4 mm à 3 cm, a provoqué avec le temps la corrosion des armatures et des éclatements du béton en surface. Par ailleurs, cette étape a également révélé une importante variation de l’épaisseur des enrobages, oscillant entre 1 cm et 4,5 cm.

En amont des travaux de restauration, plusieurs échantillons de béton ont été réalisés afin
d’approcher au plus près la composition des bétons préexistants. Deux compositions ont ainsi été retenues, correspondant respectivement à celles des panneaux de type A et de type B.

Tous les panneaux ont subi un traitement par inhibiteurs de corrosion. Cette solution repose sur l’application, à la surface du béton, d’un gel qui pénètre par capillarité jusqu’aux armatures. Au contact de l’acier se forme une couche de minéraux protecteurs. Ce procédé permet de renforcer la durabilité des armatures sans intervention invasive. En revanche, les aciers les plus endommagés par la corrosion ont été remplacés. Par ailleurs, afin de garantir leur pérennité, la décision a été prise de protéger l’arase supérieure des panneaux jusque-là exposée par l’ajout d’un recouvrement en zinc réalisé sur mesure.

Par Cléa Calderoni
Toutes les photographies sont de © atelierpng

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