« La tradition n’est pas le culte des cendres, mais la préservation du feu. » Cette phrase, à l’attribution incertaine, résume la mission de la Fondazione Officine Saffi : inscrire la céramique dans une dynamique de transmission et d’innovation.
Créée en 2011, la fondation est devenue un acteur clé du renouveau de la céramique en Italie. L’an dernier, elle a inauguré un nouvel espace à Milan, affirmant son ambition d’en faire un véritable laboratoire de recherche et de création.
Une plateforme démocratique
C’est en collectionnant, en étudiant et en échangeant avec des artistes du monde entier que Laura Borghi s’est passionnée pour la céramique. À travers la Fondazione Officine Saffi, elle cherche à transmettre cette énergie en imaginant un lieu à l’image de la terre : un matériau universel, enraciné dans l’histoire de l’humanité, qui a servi de premiers supports aux idées et aux créations. Accessible à tous, il est vecteur de lien social et favorise une cohésion naturelle. « L’argile jette ainsi un pont entre différents domaines culturels et de production – art, design, artisanat, architecture – et a été la première à incarner un caractère véritablement pluridisciplinaire », souligne François Mellé, directeur exécutif de la fondation. La fondation se veut ainsi un espace démocratique, vivant, dédié à la recherche et à la transmission. Par une programmation riche
– expositions, activités éducatives, résidences d’artistes –, elle ne s’adresse pas uniquement aux créateurs, mais aussi aux curieux et aux amateurs, favorisant un dialogue entre tous les milieux.
Installée dans une ancienne verrerie du XIXe siècle, la fondation place la recherche au cœur de son action, convaincue que mieux comprendre le médium favorise sa réinvention et sa pérennité. Cette approche se reflète dans l’œuvre murale de Francesco Simeti, Questa stanza non ha più pareti. Située dans le bar et l’espace central, l’installation rend hommage aux savoir-faire et aux techniques avec des échantillons des décorations de pièces en céramique anciennes et modernes, extraites de manière numérique.
Avec cette démarche, la fondation soutient activement la création contemporaine et la renforce avec l’Officine Saffi Award. Organisé tous les deux ans, ce prix met en lumière des artistes émergents en leur offrant une visibilité précieuse et des opportunités de résidences internationales.
Un laboratoire créatif
« Il y a encore quelques années, la céramique artisanale était associée à la décoration, tandis que la céramique industrielle dominait le design. Aujourd’hui, elle s’affirme comme un véritable processus de design, intégrant enfin les « objets de collection » », explique la fondation. Dans cette dynamique, elle repousse les limites de la céramique et explore les croisements disciplinaires avec l’unité de production Officine Saffi Lab.
Conçu comme un terrain d’expérimentation, cet espace propose aux artistes résidents une ressource créative infinie. Il leur offre un atelier pour développer leurs projets tout en servant de plateforme de collaboration pour la fondation. Designers, architectes, artistes ou encore marques, qu’elles soient indépendantes ou de luxe, y trouvent un lieu d’échange et de fabrication sur mesure. Chaque projet y est pensé pour répondre à des visions singulières, contribuant ainsi à redéfinir les possibilités de la céramique.
Avec ce nouveau lieu, la Fondazione Officine Saffi affirme plus que jamais son rôle dans le renouveau de la céramique. Et cette année marque un tournant. Alors que l’espace inaugure sa première participation à la Milan Design Week, la fondation dévoile déjà son programme marqué par l’innovation durable. Chryssa Kotoula explore la réutilisation des déchets de production, tandis que Domenico Mangano développe un émail fabriqué à partir de matériaux naturels. En parallèle, la galerie accueillera une exposition d’Ann Beate Tempelhaug, illustrant la vitalité de la création contemporaine.
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Réalisation | Maestro, Saint-Denis — 163 Ateliers
Maestro ? Un coup de maître ! Le nouvel immeuble de grande hauteur érigé en marge de la tour Pleyel, à Saint-Denis, aux portes de Paris, constitue une prouesse architecturale et structurelle. Conçue par Sretchko Markovic pour le compte de FQR, la tour présente une exostructure originale. Défi technique, ce squelette entièrement réalisé en métal assure l’identité de l’adresse.
Introduction historique : architecture et exostructure
Le vocabulaire de l’architecture aime s’enrichir de termes nouveaux. Certains désignent avec brio l’invention de quelque génie. D’autres relèvent d’un joli jargon pour converser discrètement entre initiés. À quelle catégorie le mot « exosquelette » appartient-il ? Et celui d’« exostructure » ? Difficile à dire. Ces deux expressions usent d’abord de racines communes qui les rendent familières et compréhensibles : squelette et structure. Elles leur associent cependant un intelligent et sérieux préfixe grec « exo » pour littéralement lui accorder un dehors… extérieur ! Exosquelette et exostructure ne sont, ni plus, ni moins, que des squelettes et des structures… externes. S’agit-il de murs ? Non. Il en va de piliers, de poutres et de poutrelles dessinant un assemblage… structurant sinon… porteur. La tour Eiffel serait-elle dès lors une exostructure ? Il en va après tout d’une structure laissée à l’air libre !
En réalité, une exostructure porte autre chose qu’elle-même. Imaginons l’inverse. Que serait, au risque du néologisme, une… endostructure ? Une structure de l’intérieur ? L’architecture se compose généralement autour d’éléments porteurs : des murs de refend, des voiles de béton… des poutres en bois ou de quelques piliers métalliques. Ces éléments sont habituellement cachés comme des parties honteuses. Elles sont aussi, à bien des égards, de lourdes entraves. Qui, voulant ouvrir sa cuisine sur son séjour, s’est aperçu de l’impossibilité d’une telle manœuvre parce que la cloison entre les deux pièces de vie est en réalité… un mur porteur ? Patatras, les rêves les plus simples deviennent les plus fous. Et certains architectes ont pu s’interroger sur ces éléments contraignants espérant ainsi « libérer » l’espace de leur présence encombrante. L’architecture sacrée d’abord puis l’architecture industrielle ont été l’opportunité de recherches savantes. Dieu autant que les machines ne tolèrent ni la fraction, ni la division de l’espace. L’espoir est, pour l’Un, comme pour les autres, dans l’unité du tout. Bien loin de visées ésotériques, les ogives de pierre ont été un remède efficace mais coûteux pour créer les plus larges et hautes nefs. Les arches de métal ont signé, quant à elles, l’espoir de solutions plus économiques. Les grandes halles de l’industrie au XIXe siècle ont, à bien des égards, démocratisé l’espace continu. Pour autant, ces squelettes de fer ou d’acier n’ont rien d’exo… alors que les arcs-boutants des cathédrales, eux… l’étaient bel et bien. Maîtres et Compagnons ne se sont néanmoins pas encombrés d’un autre vocable pour désigner leur bel ouvrage et puis, il n’y a là, à vrai dire, que les prémices de l’exostructure.
« Il était important à nos yeux de ne pas cacher les points de soudure. Il nous paraissait même intéressant de conserver cet aspect. Ce côté rustre ou brut dialogue parfaitement avec l’aspect lisse de la façade. »
— Sretchko Markovic, Architecte fondateur, 163 Ateliers
Saint-Denis : étape 1
La reconstruction, en France, a tôt orienté les majors de la construction vers le béton. Le centre Georges Pompidou est un épiphénomène manifeste autant que la Maison de l’Iran, conçue par deux architectes iraniens Mohsen Foroughi et Haydar Ghiai ainsi qu’une équipe composée de Claude Parent, André Bloc et René Sarger, à la Cité Universitaire. Le quartier d’affaires de La Défense voit se dresser des colosses de béton, à l’exception de la tour CB21 conçue par l’agence américaine Harrison & Abramovitz avec Saubot et Jullien. Les entreprises de charpente métallique veulent défendre leurs solutions ; La Société de la Construction Métallique fait ériger à Puteaux selon les plans de Jacques Binoux, Jean Fayeton et Michel Folliasson une tour spectaculaire exhibant sur ces quatre façades son parti structurel innovant.
Siemens, souhaitant établir son siège français à Saint-Denis, confie à l’architecte alors en vue Bernard Zehrfuss – coauteur du siège de l’Unesco – la conception d’un immeuble résolument efficace, mais aussi démonstratif. L’entreprise allemande reçoit un premier projet, puis une proposition alternative et enfin une tourelle de sept étages. Cette dernière affiche un parti structurel étonnant composé de planchers métalliques suspendus et libres de tout point d’appui. « Il y a un projet auquel je tiens : le siège de Siemens. Il m’a passionné à cause de sa structure […] Ce sont des planchers qui sont entièrement suspendus et tenus par de tout petits câbles, ce qui permet une grande liberté parce que c’est toujours la question actuelle, la liberté du sol, la possibilité d’aménager selon les besoins », explique l’architecte.
Christine Desmoulins, dans l’étude pointue du bâtiment qu’elle livre au lendemain de sa désastreuse transformation, note que « dans un savant jeu d’équilibre, l’art de l’architecte, celui des ingénieurs et le savoir-faire des entreprises se conjuguent ». En réalité, Bernard Zehrfuss assortit son choix structurel d’une démonstration quant à son efficacité, jusque dans sa réalisation. L’historienne réputée note : « suspension, compression, tension et reprises de charges représentent les principes essentiels de ce chantier qui a duré dix-huit mois ». La structure métallique est posée du haut vers le bas en 120 jours seulement.
« Ce secteur de Saint-Denis va devenir un véritable lieu de vie doté de nombreux équipements publics. Cet environnement, désormais séduisant, contribuera, à n’en point douter, au succès de notre opération. »
— Boris Litty, Associé fondateur, Financière des Quatre Rives
Pleyel, une histoire sans fausse note
Pleyel. Un nom associé à des pianos, à une salle de spectacle mythique du 8e arrondissement de la capitale et… à une tour de Seine-Saint-Denis. Le gratte-ciel de 143 mètres de haut est situé, à Saint-Denis, dans un quartier éponyme. Et pour cause, la manufacture de pianos fondée en 1807 par Ignace Joseph Pleyel y était installée depuis 1865 jusqu’à sa fermeture en 2013.
Alors que l’avenir de cette marque – la préférée de Chopin, écrit-on – était engagé dès les années 1930 puis tout au long de la seconde moitié du XXe siècle, ses dirigeants ont cherché quelques solutions. L’un d’entre eux a tôt ambitionné, à la fin des années 1950, la valorisation des terrains par la création d’un projet immobilier sans précédent. Après tout, le site était promis à un bel avenir aux portes de Paris. Plus au nord, d’aucuns ignorent toutefois l’avènement de la plus grande aérogare du pays…
Le secteur est encore éminemment industriel et les autorités rejettent immédiatement l’idée de développer à cet endroit un programme résidentiel. Pleyel, à travers son propriétaire, M. Cozz, imagine dès lors fonder le contrepoint du quartier d’affaires de La Défense : le Centre Paris Pleyel. Pour mener à bien ce plan ambitieux, l’entreprise se rapproche de la Compagnie Générale Immobilière de France (future Cogifrance), filiale du groupe Edmond de Rotschild. Michel Folliasson et Jacques Binoux, architectes, proposent un premier projet : le plus grand gratte-ciel d’Europe. Ce record prend d’abord la forme d’une tour au plan cruciforme puis d’un immeuble superposant trois blocs monumentaux.
Ces modifications successives, l’imprécision du programme ou encore les atermoiements administratifs finissent par user l’équipe de maîtrise d’œuvre. Bernard Favatier et Pierre Hérault reprennent le flambeau. L’idée d’une « méga-tour » est abandonnée au profit d’un pôle tertiaire composé de quatre bâtiments identiques placés aux quatre points cardinaux de la parcelle. Le tout, pour reprendre l’idéal urbain incarné par La Défense ou encore par le Front de Seine à cette époque, est positionné sur une dalle permettant la séparation des circulations automobile et piétonne mais aussi la création aisée de parkings ou encore d’infrastructures marchandes dont un centre commercial. La ligne 13 du métro parisien permet depuis quelques années alors de relier le carrefour Pleyel au centre de la capitale en une vingtaine de minutes.
Cogifrance dépose en 1969 le permis de construire d’une première tour. L’échec est cuisant ; le promoteur ne commercialise que 35 000 m² de planchers répartis sur les 37 étages de l’immeuble. Les 140 000 m² imaginés semblent sérieusement compromis par cette première déconvenue ; le choc pétrolier, cinq ans plus tard, met un terme à l’euphorie immobilière des Trente Glorieuses, plus encore à ses formes grandiloquentes, tours et barres en tête, unanimement critiquées. Pour autant, l’immeuble livré par Cogifrance selon les plans de Bernard Favatier et Pierre Hérault est élégant. De plan carré – 35 mètres de côté –, le gratte-ciel présente une silhouette singulière qui s’affine à mesure qu’il s’élève. La verticalité de l’ensemble est accentuée par des épines métalliques en acier Corten autopatiné. Si aujourd’hui ce matériau est recherché et apprécié, son utilisation était alors des plus rares. Le public a pu se montrer peu enclin à apprécier cette matérialité étrange, proche de l’aspérité de la rouille. La tour est pourtant, aux premières heures, particulièrement sombre ; elle rappelle volontiers la figure énigmatique constituée par la tour Fiat érigée à la même époque à La Défense. Pour autant, son aspérité rebute ; la vêture rencontre aussi des problèmes techniques. Douze ans après l’inauguration du seul immeuble finalement construit au sein du Centre Paris Pleyel, des travaux de rénovation sont engagés. La tour est entièrement rhabillée à cette occasion d’un bardage en aluminium blanc et d’allèges couleur terre de Sienne. Cette proposition évoque, à bien des égards, les tours du World Trade Center, conçues par Minoru Yamasaki à New York. Pour signifier le renouveau de cette opération – et pour assurer une rente financière nouvelle –, une enseigne géante est positionnée au sommet de l’immeuble de grande hauteur qui mesure désormais 143 mètres.
Depuis 2012, dans le cadre des projets de développement métropolitain du quartier Pleyel, le principal propriétaire de la tour, la société Financière des Quatre Rives (FQR), ambitionne de réhabiliter le bâtiment. L’obtention par Paris des Jeux olympiques 2024 et la perspective d’accueillir l’événement en Seine-Saint-Denis dynamisent le secteur. Aussi, dès 2017, les plans conçus par Sretchko Markovic pour le Centre Paris Pleyel prennent une forme nouvelle : la tour doit devenir un hôtel. Mieux, elle ne sera plus isolée mais accompagnée d’un nouvel IGH : la tour Maestro.
Maestro, la maîtrise structurelle
Alors que la tour Pleyel est transformée en hôtel de 700 chambres dans le respect de ses lignes originelles, Sretchko Markovic, architecte, fondateur de l’agence 163 Ateliers, imagine, à proximité directe, un ensemble de bureaux dominé notamment par une nouvelle tour de 25 niveaux tota-
lisant 18 735 m² afin de conserver la vocation tertiaire du site. La Plaine Saint-Denis est, après tout, devenue en quelques décennies le troisième pôle économique d’Île-de-France. L’avènement du Village Olympique et le renforcement des infrastructures de transports publics – notamment le prolongement de la ligne 14 et la création du Grand Paris Express – confèrent à ce territoire une dynamique sans précédent qui confirme son attractivité.
Pour rendre ce site complet, FQR a par ailleurs souhaité renforcer cette offre immobilière d’un centre de conférences de 8 400 m² proposant notam-
ment une salle multifonctionnelle de plus 2 900 m². Cette richesse programmatique face à l’exiguïté de la parcelle a conduit Sretchko Markovic à faire preuve de la plus grande inventivité. La superposition de la tour et du centre de conférences nécessite en effet la mise en œuvre de systèmes de constructions particulièrement complexes.
Étant donné son goût pour l’architecture high-tech, notamment celle portée par Richard Rogers, Sretchko Markovic a fait le choix de s’orienter vers des solutions métalliques inhabituelles en France. Pour répondre au défi technique posé par ce programme complexe, il conçoit une véritable prouesse structurelle : un exosquelette.
Cette proposition permet de répondre efficacement aux enjeux techniques, mais aussi financiers, de l’opération. Le métal vient, qui plus est, répondre à un objectif sain d’économie de matière. La structure pensée par l’architecte reprend le principe d’un pantographe. Son dessin relève à la fois d’un désir esthétique et de questions pratiques et techniques. Autostable et porteuse, cette charpente spectaculaire doit parfaitement reprendre une part conséquente – 70 % – des charges du bâtiment pour les transférer sur les quatre poteaux angulaires. Cette structure patiemment étudiée pèse 3 000 tonnes. Elle est composée de caissons métalliques formant deux types de diagonales de 7 ou 15 mètres de long – toutes de sections carrées de 80 centimètres de côté – et de « nœuds » de 3 à 4,5 mètres d’envergure. Ces derniers éléments sont reliés entre eux par des poutres de 25 tonnes qui traversent le bâtiment sur sa largeur.
L’ensemble de ce dispositif structurel a été calculé pour reposer sur des fondations spéciales dimensionnées pour être solidaires de la charpente. Sous terre, entre 23 et 30 mètres de profondeur, 108 pieux dont le diamètre varie de 80 à 120 centimètres viennent parfaire la stabilité de l’ensemble.
Cette structure de 117 mètres de haut constitue, à bien des égards, une prouesse en France. Plus encore par sa mixité puisqu’elle est associée à un noyau en béton, placé côté sud, le long de la façade dans l’objectif de libérer les plateaux de bureaux. Dans ces circonstances, une attention particulière a été accordée aux dilatations différentielles entre ce noyau et l’exosquelette métallique afin d’éviter les complications liées aux variations de température. Pour ce faire, la charpente extérieure est désolidarisée du noyau. Toutefois, pour assurer le transfert des charges de l’une à l’autre, des poutres treillis fixées au béton par des appuis à pot ont été créées sur trois niveaux différenciés. L’exosquelette divise ainsi l’ensemble en quatre blocs distincts de six niveaux chacun et tous suspendus à la structure.
Ce parti pris, au-delà de son intelligence technique, vient assurer l’identité d’un lieu. L’exosquelette forme l’image de la tour qui rejoint ainsi les rares immeubles de grande hauteur pensés en métal. Parmi eux, la tour D2 à La Défense ou encore la tour Silex2 à Lyon. Cet immeuble vient toutefois davantage rivaliser avec des opérations plus spectaculaires encore réalisées ailleurs dans le monde, à l’image de la Broadgate Tower à Londres.
Fiche technique :
Maîtrise d’ouvrage : Pleyel Investissement Assistant à maîtrise d’ouvrage (AMO) : Financière des Quatre Rives Maîtrise d’œuvre d’exécution : Pangéa Design & Ingénierie Maîtrise d’œuvre : 163 Ateliers Programme : immeuble de bureaux comportant 27 niveaux de superstructure sur rez-de-chaussée, dont 1 PCS au R+1, des locaux techniques et un accès jardin au R+2, un niveau technique au R+3, 22 plateaux de bureaux du R+4 au R+25, un niveau technique au R+26 et une terrasse au R+27
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Blockbuster | Liu Jiakun Pritzker Prize 2025 : une prime donnée à l’architecture « moyenne » ?
Le 4 mars dernier, à Chicago, était décerné le Pritzker Prize 2025, attribué à l’architecte chinois Liu Jiakun. Cette nomination, la seconde pour un artiste chinois (après Wang Shu en 2012), célèbre un créateur local n’ayant pas pratiqué à l’international et dont les réalisations principales sont liées à sa ville, Chengdu, depuis l’ouverture de son agence, Jiakun Architects, en 1999. En une trentaine de réalisations, cet architecte passionné de littérature, ayant envisagé d’abord une carrière d’écrivain, s’est attaché depuis un quart de siècle à sortir du cadre normé de l’architecture maoïste et post-maoïste.
D’une façon non particulièrement singulière, au demeurant, favorisant l’éclectisme, ce qui interroge en retour quant à son élection par le jury du Pritzker, la question est posée : n’existe-t-il pas, à ce jour, d’expressions architecturales plus intenses que celle-ci, plus notoires, plus expérimentales aussi, qui mériteraient, celles-là, d’être consacrées au plus haut niveau ?
Le Pritzker Prize, en 2012, consacrait Wang Shu, premier architecte de l’Empire du Milieu à bénéficier de l’attention du camp occidental (le Pritzker Prize, jusqu’aux années 2010, avait surtout favorisé la starchitecture et ses représentants, le plus souvent siglés « Occident »). Cet hommage « Noccident », bénéficiant à un concepteur non-occidental, pouvait alors paraître légitime. Wang Shu et sa femme Lu Wenyu, insistons sur ce point, injustement non primée, à la tête de l’Amateur Architecture Studio, fondé en 1997, n’incarnaient-ils pas le souci nouveau d’une nécessaire et radicale réforme de l’architecture chinoise doublée d’une attention aux problématiques posées, déjà, par le réchauffement climatique et l’épuisement graduel des ressources ? Réemploi, remise en selle des procédés de construction traditionnels (le Wa Pan), conception composite (pierre et bambou), faveur allant à l’échelle réduite contre le gigantisme ou l’esbroufe…, la méthode Wang Shu et Lu Wenyu, à son heure, a pu faire figure de modèle pour une bonne architecture du futur, comprendre, à la fois anxieuse, sage, contextuelle et prudente. En va-t-il de même des créations architecturales du Pritzker Prize 2025, Liu Jiakun ?
Corriger le tir
Les connaisseurs de la Chine contemporaine n’ignorent pas le désastre architectural ayant accompagné l’ouverture à la globalisation du Zhongguo (中国), l’Empire du Milieu, dans la foulée des décisives Quatre Modernisations de Deng Xiao Ping. Le virage libéral-communiste de la Chine, consommé avec les années 1980-1990, son statut bientôt consacré d’atelier du monde puis, à une vitesse supersonique, de nouvelle superpuissance capable de damer le pion aux États-Unis d’Amérique dans maints domaines (spatial, armement, intelligence artificielle…) consacrent une redistribution zonale rapide de l’habitat générant l’expansion de villes déjà souvent tentaculaires. Résultat : des « condos » érigés par milliers à une vitesse insensée, et qui dupliquent, identiques d’un bout à l’autre du territoire, la forme stéréotypée et répétitive de blocs d’immeubles de grande hauteur de type copié-collé. Cela, sur fond de laminage industriel de l’habitat traditionnel chinois, hutongs et autres lilongs ayant favorisé jusqu’alors une vie conviviale (modèle de l’habitat établi autour d’une cour carrée), rasés sans autre forme de procès.
Cette réalité et ce passif, mal compensés en parallèle par l’érection ponctuelle, à des fins de prestige et d’intégration dans le mouvement de la mondialisation, de bâtiments stylés commandés à des architectes « globaux » très en vue (voir le bâtiment du CCTV de Pékin par Rem Koolhaas, à titre d’emblème symbolique), n’ont évidemment pas échappé aux architectes chinois conscients du marasme. C’est là, sans doute, le fondement de l’architecture telle que la conçoit Liu Jiakun au rythme des bâtiments qu’il va égrener à Chengdu et ses environs à partir du début des années 2000. Avant de se lancer dans la carrière, l’étudiant épris de littérature classique qu’il est alors intègre le Chengdu Architectural Design and Research Institute tout en s’intéressant bientôt à la culture tibétaine, qu’il fréquente de près en formant le sentiment aigu des impasses inhérentes à l’architecture ainsi qu’à l’urbanisme de la Chine « nouvelle ».
Trop brutaux, trop peu corrélés à l’attente de leurs usagers, s’imposant comme une formule rigide ne permettant que trop rarement l’appropriation, ceux-ci se doivent d’être amendés, corrigés dans le sens de ce que l’on pourrait appeler la « sous-mesure » – un dimensionnement allant vers le modeste, privilégiant l’organisation spatiale resserrée, et si possible plus d’ouverture à l’intimité, au repli. La création la plus synthétique de Liu Jiakun, à cet égard, est son exemplaire Hu Huishan Memorial Museum dédié aux victimes du tremblement de terre ayant dévasté le Sichuan en 2008, particulièrement meurtrier (près de 90 000 morts, des centaines de milliers de blessés). Prenant la forme d’un simple cabanon à peine fini où a été sobrement reconstitué l’intérieur d’une étudiante morte lors du cataclysme, cet édicule aux airs de tempietto bâclé ou d’abri de jardin, d’une discrétion parfaite, exprime un sens aigu du recul, du respect, de la compassion et de l’hommage intériorisé. Parfois, il importe que l’architecture, serait-elle vouée à célébrer, se fasse mineure et ne prenne pas toute la place. Ce coup de maître vient à la suite de la sobre Maison de thé, érigée quelques années plus tôt, qu’a dressée Liu Jiakun en 2002 dans le parc d’architecture de Jinhua. Cette plate-forme ouverte sur deux côtés, surélevée, un podium de structure cubique et de taille tout ce qu’il y a de plus modeste, est juste couverte d’un toit de plastique transparent des plus sommaires. Un parangon de minimalisme.
La question, cependant, reste l’échelle des bâtiments, qui tend en Chine vers l’expansion spatiale voire le maximalisme, pour ces raisons, d’abord, une population nombreuse, un exode rural massif, une élévation moyenne du niveau de vie suscitant l’attente de bâtiments généreux en gabarit, en confort et en qualité, sans oublier si possible, en termes d’image, un potentiel appréciable au registre de la représentation.
Liu Jiakun, en 2015, est choisi pour réaliser à Chengdu le « West Village », un centre commercial de 15 500 m² inséré dans un tissu habité dense, l’occasion pour lui de développer une conception sinon originale, du moins en rupture avec le style et l’ordonnancement conventionnel des grands espaces commerciaux chinois, calqués sur le modèle occidental du grand magasin à étages dilaté avec atrium. Comment se distinguer ? Comment créer en plein cœur d’un habitat sans qualité un bâtiment ou un ensemble de bâtiments de nature à ne pas cloner platement l’existant ? Le parti pris de l’architecte chinois – avec une proposition qui n’est pas sans rappeler le Pavillon France de l’Exposition universelle de Shanghai de 2010, conçu par Jacques Ferrier – va consister à insérer une agora, des espaces libres et quelques terrains de sport au centre d’une structure bâtie rectangulaire qui accueille les espaces commerciaux à la manière d’un stade, avec ses gradins disposés autour d’un espace central vide. Une promenade aérienne pour piétons et joggers, posée sur la circonférence du bâtiment, est aussi créée, plutôt spectaculaire, accessible par une ample succession de rampes ouvertes au grand air. Celle-ci permet de faire le tour du bâtiment en le surplombant, avec étapes possibles sur plusieurs rooftops, le tout conférant à cette proposition urbaine une identité localement contrastante. Concession à la vogue « verte », des bambous, aussi, sont abondamment plantés, çà et là. Constatons que le bâtiment, sur le plan social, offre cette indéniable qualité, plutôt inattendue s’agissant de ce genre de proposition architecturale, la variété de ses flux humains, des flux dissociés donc de nature à créer une dynamique. Consommateurs, sportifs, personnes en quête d’un moment de détente, curieux venus profiter d’événements culturels ponctuels s’y croisent et s’y rencontrent, la socialisation par l’architecture s’avérant ici plus poussée, plus ouverte surtout, que dans les centres commerciaux conventionnels.
Le plus intéressant, dans la carrière de Liu Jiakun, est sans nul doute sa versatilité. On pourrait juger ce terme infamant dans la mesure où l’opportunisme, autre nom de la sujétion au goût du jour, en est un proche parent, et non vraiment gratifiant, mais ne soyons pas insultants. Ce qui guide chez Liu Jiakun la conception semble d’abord être la recherche de l’adaptation mais alors, mâtinée d’originalité, en quête du supplément d’âme. Il s’agit en somme de n’être ni absolument contextuel (marier l’architecture créée avec l’architecture existante, la mailler à cette dernière), ni absolument décontextualisé (proposer des bâtiments OVNI, sans relation aucune avec l’habitus local). Inutile de se tenir sur une ligne de crête risquée, inutile encore de se montrer agressif, plutôt quêter la formule de nature à ne pas choquer mais propice cependant à surprendre. Cela, tout en tenant compte de la commandite, avec un souci des commodités, chez Liu Jiakun, toujours signalé comme de rigueur. Divergence oui mais limitée ; errance et gratuité, sûrement pas. Style et responsabilité, en une même mouture.
Un style propre ou emprunté ?
Ce positionnement, dès 2002, avait conditionné la conception, par Liu Jiakun, du Luyeyuan Stone Sculpture Art Museum, dans le Sichuan. Établi dans une zone boisée parcourue par un cours d’eau, ce musée voué à accueillir une collection de sculptures bouddhistes se répartit sur plusieurs sites contigus que joignent des passerelles externes et internes, où le bambou abonde, en proximité d’un étang couvert de fleurs de lotus intégré au site. La structure en est cubique, post-brutaliste, l’air de ce château fort orthogonal aux roides murailles contrastant avec le milieu ambiant, béton et brique y prenant le dessus sur l’environnement naturel. Non forcément novatrice sur le plan esthétique, cette réalisation a cependant pour qualité la distribution bien pensée des salles d’exposition, la qualité des parcours, son ouverture à la lumière, sa maîtrise structurale surtout, signe d’une rigueur pensive et d’une conception méditée.
Plus radicale – mais sans l’être tout à fait : une radicalité pondérée – est sans conteste la conception du Suzhou Imperial Kiln Ruins Park & Museum, situé dans le district de Xiangcheng à Suzhou, un musée gigantesque que Liu Jiakun construit en appui des ruines de fours historiques de l’ère impériale, voué à célébrer la culture chinoise de la brique. Si béton et style orthogonal l’emportent côté infrastructure du bâtiment, ce dernier n’en multiplie pas moins en son sein les inserts de brique, de façon tout aussi déclarative. Il en résulte une composition en lisière d’hybridité où l’architecte semble ne pas avoir voulu choisir entre l’ancien et le moderne, entre le traditionnel et l’actuel. Comment interpréter cette « manière » ? Certains plaideront l’absence d’audace et l’incapacité à mener jusqu’à ses limites conceptuelles un projet que l’ambition pourrait voir poussé à son maximum. D’autres y verront une certaine tempérance, un bel exercice de style montrant de la part de l’architecte une double révérence, à la modernité qui est son « moment » et à la tradition qui reste sa culture. Sauf à y voir peut-être un signe de constante hésitation, une incapacité à trancher, l’indice d’une mentalité pour finir plus consensuelle qu’il n’y paraît ? Quelle que soit la bonne réponse, cette donnée s’avère sans doute juste, Liu Jiakun, architecte de qualité, n’est pas un révolutionnaire.
De là, cette interrogation : pourquoi son élection par le jury du Pritzker Prize 2025 ? Il n’est en effet guère difficile, à l’échelle planétaire, de sélectionner des architectes autrement prospectifs, inventifs et, s’agissant de prodiguer le bien planétaire, plus « raccord » avec les enjeux contemporains de l’architecture et de l’urbanisme, dont au premier chef la question écologique et la décarbonation, ces déterminants du métier aujourd’hui rien moins qu’essentiels. D’aucuns argueront, pour défendre Liu Jiakun, qu’on lui doit aussi cette offre architecturale plus forte en goût et en ambition qu’est son Musée d’art contemporain-MOCA de Chengdu, livré en 2010. Sorte de vaisseau amiral typé Guerre des étoiles, cette structure sombre prend des airs de redoute dont l’intérieur multiplie à la limite du vrac styles, aménagements et végétalisation, de quoi valoriser la capacité de l’architecte à innover plus radicalement, en jouant une partition libérée. Mais est-ce assez ? Liu Jiakun, tout compte fait, n’est-il pas surtout le représentant d’une position « moyenne », un esprit calculant prompt à adopter tout ce qui passe à portée, à commencer par l’effet de mode et ce qu’il réclame d’adhésion aux canons du moment, non forcément illégitimes d’ailleurs ? À chacun son opinion, comme il se doit en terrain démocratique, étant entendu que tous les goûts, toujours, sont dans la nature et que quiconque, en matière de choix, a ses raisons.
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Focus | Centre culturel, Bourg-la-Reine — Dominique Coulon & associé
Implanté au cœur de Bourg-la-Reine, le nouveau centre culturel s’inscrit dans un site contraignant mais porteur d’opportunités
architecturales. Niché sur une parcelle étroite en forme de « L », adossée à un talus végétalisé où circule le RER, cet édifice public a dû relever plusieurs défis pour s’intégrer harmonieusement à son contexte urbain et paysager.
L’un des enjeux majeurs du projet a été de favoriser la connexion entre des espaces aux fonctions variées. Le programme riche et ambitieux comprend une salle de spectacle de 250 places avec ses loges, deux salles de danse, des espaces dédiés aux langues et à la musique, une galerie d’exposition, des locaux pour les adolescents et les activités parents/enfants, ainsi que des ateliers de lutherie et d’arts plastiques. À cela s’ajoutent une cuisine pédagogique, un bar et un pôle administratif. Un tel foisonnement fonctionnel nécessitait une approche spatiale capable d’unifier ces espaces tout en leur conférant une identité propre. L’implantation du bâtiment a ainsi été pensée pour maximiser les interactions et offrir une fluidité de circulation entre les différents pôles d’activités.
Pour marquer son statut d’édifice public et s’intégrer à la ville, l’entrée du bâtiment a été positionnée dans la courbure de la rue. Ce choix stratégique permet aux volumes du bâtiment de s’articuler autour d’un vide central, conçu comme un espace d’accueil et de rencontre. Cet agencement favorise les transparences visuelles vers la végétation environnante, créant un lien fort entre intérieur et extérieur. La forme singulière de la parcelle a inspiré un langage architectural basé sur un jeu d’obliques et de plis, qui structure les volumes et renforce la dynamique du projet. Les espaces s’imbriquent les uns dans les autres, tandis que les façades traduisent cette complexité par un dialogue entre pleins et vides.
Au cœur du bâtiment, un grand volume vide s’élève sur plusieurs niveaux, multipliant les doubles hauteurs, les points de vue et les circulations en coursives. Ce vide central joue le rôle de repère spatial, facilitant l’orientation des usagers tout en valorisant les interactions. La triple hauteur du hall principal permet de capter généreusement la lumière naturelle, malgré la proximité du talus ferroviaire.
Depuis les espaces de circulation et les coursives, les visiteurs profitent ainsi d’un cadrage privilégié sur le ciel et la canopée urbaine. L’échelle et la disposition des ouvertures en façade confèrent au bâtiment son identité institutionnelle. Ces larges percées dans le volume minéral en pierre calcaire révèlent la diversité des espaces intérieurs et la richesse du programme. Elles offrent également une perception changeante du bâtiment selon les heures de la journée et les points de vue.
Conçu comme un véritable lieu de vie, ce centre culturel reflète la diversité de ses usages et l’ouverture à la ville. La générosité des volumes, l’alternance entre espaces ouverts et plus intimes, ainsi que l’omniprésence de la lumière et de la nature, participent à la création d’une ambiance propice à l’épanouissement culturel et social. À travers cette réalisation, l’architecture se met au service de la rencontre et de la créativité, affirmant la vocation du centre culturel comme un moteur du dynamisme local.
Fiche technique :
Maîtrise d’ouvrage : Ville de Bourg-la-Reine Maîtrise d’œuvre : Dominique Coulon & associés Surface : 2 550 m2 SHON / 1 667 m2 SU / 2 149 m2 SDP Budget : 6 M€ HT Programme : Salle polyvalente avec tribunes, salles d’arts créatifs, atelier de lutherie, salle de sciences et techniques, salles d’artisanat, salle multimédia, salle de langues, salles de danse, studios de musique, espace d’exposition, hall d’accueil, cuisine pédagogique et bureaux d’administration
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Territoire | (Re)Construire, la ville sur la banlieue au Plessis-Robinson
Le choix de la centralité et le pari de la densité.
« L’urbanisme que nous avons imposé est un urbanisme de rues, avec des voies partagées entre automobilistes et piétons, des places et des squares, des façades au-dessus des trottoirs, avec des hauteurs de quatre à cinq étages au plus qui restent à l’échelle humaine de repères, à l’urbanisation en goutte d’huile. »
— Philippe Pemezec, Maire du Plessis-Robinson
« Quand j’ai été élu pour la première fois au Plessis-Robinson, en 1989, j’ai compris tout de suite que je n’étais pas devenu Maire d’une commune de banlieue ordinaire. Le Plessis-Robinson souffrait de plusieurs maux propres à la banlieue parisienne dans la seconde moitié du XXe siècle : multiplication des grands ensembles, disparition du commerce de proximité, décor urbain digne de Berlin-Est ou de Varsovie, paupérisation et ghettoïsation progressives. Mais en même temps, cette commune gardait une âme singulière, un écrin de verdure exceptionnel à moins de 8 km du périphérique. Face à l’ampleur de la tâche, j’ai choisi l’angle qui me tenait le plus à cœur : le Beau pour tous.
À partir de ce constat, j’ai décidé de m’appuyer sur des architectes sachant dessiner de belles villes et j’ai eu la chance de rencontrer François Spoerry qui m’a dessiné le Cœur de Ville dont je rêvais. Derrière lui, Xavier Bohl, Marc et Nada Breitman, Maurice Culot, Jean-Christophe Paul, Marc Farcy, tous prêts à transformer ce morceau de banlieue en véritable ville » déclare Philippe Pemezec, Maire du Plessis-Robinson.
La mixité urbaine
Les préoccupations autour de la mobilité et du développement durable rendent indispensable la mixité fonctionnelle : la renaissance du commerce de proximité, les circuits courts, le rapprochement domicile/travail, le retour de la ville compacte contre le développement en goutte d’huile.
Quartier par quartier
La commune du Plessis-Robinson s’organise autour de dix-huit grands quartiers, sur 341 hectares. En 30 ans, si la partie basse, essentiellement pavillonnaire et résidentielle, a relativement peu changé, la plupart des quartiers de la partie haute et du centre-ville ont été largement remodelés et modernisés.
Le Cœur de Ville s’articule autour d’une Grand’Place commerçante avec un parking public souterrain et d’une Grande rue également dotée de nombreux commerces. La circulation est mixte, les voies desservant les parkings sont pour l’essentiel en souterrain.
Le Cœur de Ville compte environ 2 500 habitants, dont 10 % résident dans des immeubles de logement social, totalement intégrés dans la trame urbaine et architecturale. Tous les bâtiments, peu élevés, allant du classique haussmannien au normand à colombages, utilisent des matériaux
régionaux que sont la pierre et l’ardoise. Avec ses voies étroites et sinueuses, permettant de s’y déplacer totalement à pied, le Cœur de Ville fonctionne comme un grand village.
Le Bois des Vallées
Ce quartier a été dessiné sur une friche et sur le terrain de l’ancien collège Pailleron, par les architectes Marc et Nada Breitman. D’inspiration totalement néo-classique, Le Bois des Vallées renoue avec l’urbanisme de rues et de places. Il a reçu en 1998 la palme d’or de l’Art Urbain du Séminaire Robert-Auzelle.
Cet ensemble de 217 logements dont le bâti, avec une écriture teintée d’Art déco, est pittoresque et varié, applique les préceptes énoncés à la fin du XIXe siècle par le concepteur des Cités-jardins, l’Anglais Ebenezer Howard : des immeubles de petite taille disposant de tout le confort moderne de l’époque, associés à des jardins familiaux, et reliés entre eux par des voies sinueuses épousant le relief du terrain.
La nouvelle Cité-jardins
L’aménagement vise à créer une harmonie forte entre nature et bâti, avec une recherche paysagère très poussée : des rues pavées, des ponts, des passerelles, entourés de maisons et d’immeubles dont aucun ne se ressemble et qui pourtant s’harmonisent parfaitement. Quatorze architectes, quatorze promoteurs et un office HLM ont travaillé ensemble pour créer ce quartier qui ne ressemble à aucun autre, tout en étant enraciné dans l’architecture d’Île-de-France.
La rivière, qui traverse le quartier, est entièrement artificielle. La morphologie du cours d’eau a été soigneusement étudiée afin de créer un écosystème proche de la nature. 1 700 logements, à caractère privé ou social, assortis de jardins familiaux, ont été construits sur ce site de 21 hectares.
Dans le secteur dit « Les Bleus » se dressaient la tour Ledoux, la seule du Plessis-Robinson, et la principale barre, « le Grand S ». Situé dans le prolongement direct de la nouvelle Cité-jardins, ce secteur a été choisi pour l’opération de requalification urbaine du quartier des Architectes, signée en 2016 entre la Ville, l’État et Hauts-de-Seine Habitat.
Les 286 logements sociaux détruits seront reconstruits sur le modèle de l’architecture douce, dans le cadre d’un programme résidentiel de mixité urbaine, agrémentée d’une trame verte et bleue.
Cette rivière, alimentée par les eaux pluviales, deviendra un refuge de la biodiversité. Avec cette trame bleue, seront créées des trames vertes, des continuums végétaux ou « corridors écologiques », permettant de relier entre eux les espaces arborés, les bosquets, les haies vertes et les plans d’eau.
De nombreuses constructions seront bioclimatiques, utilisant les énergies renouvelables tout en restant respectueuses de l’identité du territoire.
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Réalisation | Le Palais Rameau réinventé, Lille — Atelier 9.81 et Perrot & Richard Architectes
Le Palais Rameau, œuvre architecturale lilloise du XIXe siècle, connaît un nouveau souffle grâce au projet de réhabilitation mené par l’Atelier 9.81 et Perrot & Richard Architectes pour l’école d’ingénieurs Junia. Cette transformation audacieuse allie respect du patrimoine et écoconception en bois, le projet créant un nouvel espace dédié à l’agriculture urbaine et à l’alimentation de demain selon le concept « de la fourche à la fourchette ». Le monument historique devient ainsi un espace hybride d’apprentissage, d’observation et d’expérimentation pour les étudiants.
Un héritage architectural
Le Palais Rameau, édifié en 1878 grâce au legs de Charles Rameau, président de la société lilloise d’horticulture, est un témoin remarquable de l’architecture de la fin du XIXe siècle. Conçu par les architectes lillois Auguste Mourcou et Henri Contamine, ce bâtiment mêle influences classiques et néo-byzantines, s’inspirant du principe d’une serre horticole. Au fil des années, le Palais Rameau connaît diverses utilisations, s’éloignant parfois de sa vocation initiale d’espace dédié aux expositions florales et artistiques. La municipalité de Lille, propriétaire du bâtiment, détourne effectivement sa fonction première dès le début du XXe siècle pour en faire un lieu de manifestations diverses : salon régional de l’automobile en 1926, centre d’examens pour les étudiants dès 1930, représentations de cirque à partir de 1987, élection de Miss France et salon culinaire en 2019, etc. Classé monument historique en 2002, il est partiellement rénové à l’occasion du projet « Lille Capitale Européenne de la Culture » en 2004, mais il faudra attendre 2025 pour qu’il retrouve son caractère originel grâce à une véritable réhabilitation d’envergure. L’occasion également de l’adapter aux enjeux contemporains pour ouvrir un nouveau chapitre. Pour Cédric Michel, architecte associé de l’agence lilloise Atelier 9.81, le projet fait honneur au legs de Charles Rameau en se plaçant dans la continuité de ses usages horticoles et artistiques d’origine.
Une restauration ambitieuse
En 2021, la ville de Lille, propriétaire du bâtiment, et Junia signent un bail de 25 ans, confiant la gestion du Palais Rameau à l’école d’ingénieurs. Cette collaboration donne naissance à un projet ambitieux visant à transformer le monument en un lieu dédié à l’enseignement supérieur spécialisé en agriculture et alimentation durable. Le projet architectural de l’Atelier 9.81 s’articule autour de la restauration et de la mise aux normes de l’édifice classé dans un premier temps, puis de l’intégration d’espaces neufs de recherche et d’expérimentation dans un second temps. L’objectif des architectes est alors de « remettre le bâtiment dans un état antérieur, le plus proche de son état d’origine fin XIXe siècle ». En effet, au cours de son utilisation, le Palais a été « dégradé » : lors d’une grande campagne de travaux de réfection en 1954, les deux bulbes surmontant les tourelles avaient été remplacés par des pyramidions, les verrières en toiture et la grande serre recouvertes de zinc. Les travaux ont permis à la rotonde de retrouver son lanterneau, la façade principale sa coiffe d’origine avec la pose des bulbes de 1 800 kg chacun, et une partie des douze verrières ont désormais un vitrage inondant la nef de lumière naturelle. La moitié du budget global a ainsi permis de restaurer partiellement l’édifice, quelques arbitrages laissant la possibilité de travaux ultérieurs si nécessaire.
Un projet en contact
En 2019, Junia lance une consultation sans programme défini et les architectes sélectionnés de l’Atelier 9.81 accompagnent l’école dans la définition des usages. Pour s’adapter à plusieurs cas de figure, trois axes stratégiques sont développés : la réversibilité, la modularité et la sobriété. En tenant compte des enjeux patrimoniaux du site, les architectes proposent un projet réversible pour anticiper l’avenir. « Ce qui nous a importé, c’est d’être toujours dans une forme de distance respectueuse face à l’existant, d’aller chercher le contact mais avec délicatesse » dévoile Cédric Michel. Une solution d’aménagements intérieurs détachés de l’enveloppe du monument historique est conçue dans l’idée de pouvoir la démonter entièrement et restituer le Palais Rameau dans son état d’origine. Un système de structure poteaux-poutres et de cloisonnements composés de modules démontables prend place sur un plancher technique posé lui-même sur maillage de micropieux de part et d’autre de la nef. La modularité de cette structure accompagne le programme avec deux travées en rez-de-chaussée comprenant l’accueil, le restaurant, des laboratoires, des fablabs de production, etc. Au centre, l’espace libre peut accueillir des expositions, conférences et autres événements publics. Le premier étage regroupe notamment les salles de classe et de réunion ainsi que d’autres laboratoires. Tout en haut, une mezzanine offre un espace polyvalent supplémentaire aux étudiants. Pour chaque usage, les cloisons modulaires peuvent être vitrées ou pleines en bois. Et pour que les fonctions puissent évoluer facilement, tout a été dimensionné à 450 kg/m2 – alors que les salles de classe et bureaux peuvent se contenter de 250 kg/m2 : un surcoût que Junia est prêt à assumer pour plus de flexibilité à long terme. Enfin, la sobriété, elle, passe une « exemplarité environnementale » selon Cédric Michel, à l’aide d’une approche circulaire « cradle-to-cradle » (du berceau au berceau) et du développement des filières locales durables.
Une approche circulaire
L’Atelier 9.81 a adopté une approche « cradle-to-cradle » en collaboration avec le bureau d’étude et de conseil Lateral Thinking Factory : il s’agit d’une approche d’écoconception qui vise à créer des produits et des systèmes dont les matériaux circulent en boucles fermées ou ouvertes, maintenant leur qualité et leur valeur à travers des cycles de vie successifs, tout en optimisant les bénéfices économiques, sociaux et environnementaux. Les architectes ont donc privilégié des matériaux durables et recyclables comme la fibre de bois, la laine de bois ou encore le Fermacell® (panneaux de fibres-gypse facilement recyclables). La structure en bois, réalisée par la scierie Alglave et l’entreprise Edwood, se veut biosourcée et décarbonée. Quand l’ossature est réalisée en peuplier lamellé-collé issu de la filière régionale des Hauts-de-France, les planchers sont constitués de panneaux CLT fabriqués à partir d’épicéa, capables de résister à de fortes charges d’exploitation. Les modules, qui suivent une trame de 4,10 mètres par 7 mètres, optimisent l’utilisation du bois et minimisent les chutes en atelier. À l’extérieur, un parc de 6 000 m², accessible au public en journée, sert à la fois de lieu d’expérimentation pour les étudiants et de vitrine pédagogique sur la biodiversité urbaine.
Le Palais Rameau, réhabilité par l’Atelier 9.81 et et Perrot & Richard Architectes pour Junia et dont l’inauguration a eu lieu début février 2025, se transforme en un centre d’innovation et de recherche en agriculture urbaine, alliant patrimoine historique et enjeux contemporains à destination des futurs ingénieurs.
Entretien avec Cédric Michel, Architecte urbaniste, Cofondateur avec Geoffrey Galand en 2004, Atelier 9.81
Quels ont été les principaux défis techniques et patrimoniaux de la réhabilitation du Palais Rameau ?
Le principal enjeu a été d’insérer un programme contemporain dans un bâtiment classé, tout en respectant son intégrité. Cela a nécessité de nombreux échanges et négociations avec les architectes des bâtiments de France. Par exemple, pour intégrer les réseaux techniques sans endommager le bâtiment, nous avons créé un faux plancher de 60 cm au rez-de-chaussée. Cela a modifié les proportions d’origine, mais permet de préserver l’existant. La restauration des éléments patrimoniaux (vitrages, façades, etc.) a également été un chantier important. Nous avons dû faire des choix, comme la restitution des bulbes en toiture qui avaient disparu. Le défi était aussi thermique : le bâtiment est une passoire énergétique qu’on ne peut pas isoler. La solution a consisté à créer des « boîtes » en bois chauffées à l’intérieur.
Comment avez-vous intégré les enjeux de durabilité ?
Nous avons adopté une démarche globale sur le cycle de vie du bâtiment et des matériaux avec l’utilisation de matériaux biosourcés et locaux comme le peuplier. La Région (Fibois Hauts-de-France) a joué un rôle clé en finançant le delta de coût entre l’utilisation innovante de peuplier local et et celle de bois résineux standards, permettant ainsi ce choix architectural et le développement de la filière. Nous avons aussi privilégié le recyclage des éléments déposés quand c’était possible (vitrages envoyés à Saint-Gobain pour être recyclés). Et puis la conception modulaire et démontable permet l’évolution et le réemploi futur, ainsi que la sobriété dans les matériaux (pas de faux plafonds, réseaux apparents, etc.). Et enfin, le parc attenant sert aussi de zone d’expérimentation pour l’agriculture urbaine, avec des plantations comestibles.
Fiche technique :
Maîtrise d’ouvrage : JUNIA, Amexia (AMO) Maîtrise d’œuvre : Atelier 9.81 et Perrot & Richard Architectes, Verdi Ingénierie (BET TCE), P2L (BE VRD), Elan (BE environnement), Lateral Thinking Factory (consultant économie circulaire), Les Saprophytes (paysagiste), EOV Elyne Olivier (historienne), REFL-EXE (OPC), Socotec (Bureau de contrôle), Bureau Veritas (CSPS) Calendrier : 2019-2024 Surface : 3 950 m2 pour le Palais + 140 m2 pour la maison du gardien + 6 000 m2 de parc Budget : 15,2 M € HT Caractéristiques : démarche Cradle-to-Cradle. Classé au titre des monuments historiques. Développement de la filière bois locale (peuplier et épicéa)