Entrée en matière | Profiter et se protéger du soleil
En prévision de la montée des températures et du retour du soleil, les designers et éditeurs ont déjà imaginé les pièces de mobilier qui feront notre été. Des canapés confortables, mais aussi des solutions design pour se protéger des rayons du soleil, et des assises originales, se font les éléments de décor des terrasses, balcons et jardins de la belle saison. Devenus un espace à vivre à part entière, notamment depuis la crise sanitaire, ces espaces font l’objet de toute l’attention des créateurs. Mêlant protection UV, durabilité, adaptabilité et résistance aux intempéries, mais aussi silhouette sophistiquée faisant écho aux notions de bien-être et de luxe, les aménagements extérieurs font de l’ombre à nos intérieurs. Sélection de nos pièces favorites pour un été sans faute.
La marque sud-africaine Haldane, spécialisée dans le mobilier d’exté-
rieur, a emmené le lit de repos tel qu’on le connaissait dans une nouvelle dimension. Véritable objet architectural, ce daybed comble la création d’un espace dédié au confort tout en abritant ses occupants des rayons du soleil. Constitué d’un épais matelas rehaussé d’un dossier composé de deux pièces cylindriques, il est installé dans une structure circulaire faite d’acier inoxydable. Cette pièce de mobilier d’extérieur est complétée par un toit plat bâti dans le même matériau, tandis que le tissu de l’assise a été réalisé par la marque espagnole Crevin spécialisée dans les tissus d’ameublement extérieur, à la fois résistants aux rayons UV et faciles d’entretien.
L’ensemble de mobilier de jardin Arena, imaginé par Søren Rose pour GANDIABLASCO, reprend à la fois les courbes et coloris des grandes étendues de sable désertiques. Réalisée en aluminium, la collection Arena tend à allier durabilité et sophistication en proposant du mobilier capable de résister au temps et aux intempéries, tout en conservant une haute valeur esthétique. Faits de lattes d’aluminium, les fauteuils, tables basses, tables à manger, banquette et chaise suspendue, reprennent tous la même identité. Pour répondre à la notion de confort, le métal est complété par des coussins réalisés dans un tissu adapté à l’extérieur, reprenant les nuances du sable.
Ses matières et couleurs naturelles se fondent avec aisance dans la nature environnante. Le lit de repos Hut signé Marco Lavit pour Ethimo comporte toutes les caractéristiques du cocon idéal où s’évader pour un moment de repos en toute tranquillité. Fait de lattes de bois, il prend la forme d’une pyramide sans sommet dont l’avant est refermé par un rideau de tissu pour protéger ses occupants du soleil. « Hut est un nid unique à l’échelle humaine, un lieu de pause et de régénération. Un habitat où le rythme alterné des lamelles crée des interstices qui filtrent la perception de cet espace, dans un dialogue naturel entre l’intérieur et l’extérieur » explique le designer.
Inspiré du Rubik’s Cube, le canapé Erno se présente comme un objet aux multiples facettes. Ludique mais sophistiqué, il se caractérise avant tout par son effet « puzzle » rendant possible d’adapter sa configuration au gré de ses envies et de ses besoins. Une identité modulable qui le rend tout particulièrement versatile. Installé autour d’une table basse pour recevoir, il peut aussi être « éclaté », permettant de créer des îlots distincts. Revêtues d’un tissu technique, les structures des assises sont quant à elles faites de liège et de polyéthylène 100 % recyclé.
Le soleil n’est pas le seul impératif duquel nous cherchons à nous protéger en extérieur. Le Pavillon Cosmo, imaginé par AMDL CIRCLE pour Ethimo, tend à répondre à cette problématique en proposant un abri préservant ses utilisateurs du soleil, de la pluie, mais leur permettant également de profiter de l’extérieur une fois la nuit tombée. En effet, la structure se voit équipée de LED éclairant la zone d’une lumière chaude. En journée, le Pavillon Cosmo, fait de piliers en bois de teck et d’une structure en aluminium, protège des rayons du soleil et de la pluie par son tissu tendu et venant créer un toit.
Pour ses collections de mobilier extérieur, la marque Kave Home a décidé de mettre l’accent sur les matériaux inspirés par la nature. Chaises, chaises longues, tables à manger et tables basses se déclinent ainsi dans différents matériaux, notamment le micro-ciment ainsi qu’une série de matériaux naturels, tels que le bois de teck, la pierre, la céramique et les textiles naturels. Parmi les pièces phares, la chaise longue Sonsaura dont la structure est faite de bois d’eucalyptus, et complétée, dans un désir d’augmenter le confort, d’accoudoirs et de coussins d’assise rembourrés pour un été passé à lézarder.
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Focus | Tour Wood Up, Paris — LAN
Située au 3-7 boulevard du Général d’Armée Jean Simon, dans le 13e arrondissement de Paris, la tour Wood Up incarne une nouvelle approche de la construction en hauteur à faible impact environnemental. Avec ses 50 mètres de hauteur, elle est l’un des premiers exemples de bâtiment vertical en structure bois en Europe. Ce projet innovant conjugue trois programmes distincts : un socle commercial, 132 logements et une série d’espaces communs, connectés par un parcours extérieur. L’ensemble s’inscrit dans une logique de construction durable, certifié par le label BBCA (Bâtiment Bas Carbone), visant à minimiser l’empreinte écologique tout en réinventant l’expérience de l’habitat collectif.
Wood Up joue un rôle clé dans le vaste plan d’aménagement de Paris Rive Gauche, qui vise à établir de nouvelles continuités entre les quartiers du 13e arrondissement et la Seine, ainsi qu’entre Paris et Ivry. Son implantation et son traitement volumétrique permettent de redéfinir le front de Seine et d’assurer une transition fluide entre les niveaux altimétriques du boulevard du Général d’Armée Jean Simon. En s’éloignant des constructions voisines et en sculptant ses volumes selon des axes est-ouest, la tour s’inscrit à la fois dans son environnement immédiat et dans le paysage urbain plus lointain, où elle dialogue avec les ponts de la Seine et le périphérique.
Conçue pour concilier habitat individuel et vie en communauté, Wood Up offre à chaque logement un accès privilégié à des espaces extérieurs, qu’il s’agisse de terrasses privatives, de balcons ou de jardins collectifs. Cette organisation garantit une mixité sociale et une flexibilité d’usage à long terme. Les habitants bénéficient de plus de 1 700 m² d’espaces extérieurs, dont une terrasse collective de 300 m² au huitième étage, pensée comme un lieu de rencontre et de partage. Cet espace, aux dimensions généreuses, accueille aussi bien des événements ponctuels que des usages quotidiens plus informels.
L’un des aspects les plus remarquables du projet réside dans son mode constructif. Le choix du bois comme matériau principal permet de répondre aux enjeux environnementaux tout en favorisant une préfabrication importante des éléments structurels, accélérant ainsi le chantier et limitant les nuisances. La structure repose sur un mélange optimisé de matériaux : un socle et un contreventement en béton, combinés à une ossature principale en poteaux et poutres de bois lamellé-collé. Chaque essence de bois a été sélectionnée selon ses qualités : le hêtre pour sa résistance à la compression, l’épicéa pour sa flexibilité et le Douglas pour sa robustesse face à l’humidité. Le bois, issu de forêts françaises, a été acheminé par voie fluviale pour réduire l’empreinte carbone du projet.
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Focus | Fleur de Loire, Blois — Caroline Tissier
Au bord de la Loire, face au centre historique de Blois, Fleur de Loire s’impose comme un projet architectural d’exception, alliant respect du patrimoine et engagement écologique. Cet ancien hospice du XVIIe siècle, imaginé par Gaston d’Orléans, a été repensé par le chef Christophe Hay pour devenir un lieu de vie où gastronomie et hospitalité se rencontrent dans un cadre raffiné et durable.
L’architecture de Fleur de Loire est un hommage à son histoire. Le bâtiment en forme
de U conserve son caractère monumental tout en étant réhabilité avec soin. Les façades ont été restaurées dans le respect des matériaux d’origine, la pierre de tuffeau dominant l’ensemble. La décoration intérieure, signée Caroline
Tissier, marie subtilement les références classiques et des touches contemporaines, créant une atmosphère à la fois élégante et chaleureuse. Chaque espace, des chambres aux restaurants, invite à une immersion dans l’esprit ligérien, avec des tons naturels et des matières authentiques.
Le projet ne se contente pas d’être esthétiquement réussi : il répond aussi à une ambition écoresponsable. Dès sa conception, l’objectif a été de minimiser l’impact environnemental. Un système de climatisation à circuit fermé permet de limiter la consommation énergétique, tandis que l’arrosage des jardins repose sur la récupération des eaux de pluie. L’énergie utilisée est issue de sources renouvelables, et chaque détail, du mobilier aux produits d’accueil dans les chambres, privilégie des circuits courts et des matériaux durables.
Dans cet écrin architectural, la gastronomie occupe une place centrale. Le restaurant Christophe Hay, situé au premier étage du bâtiment principal, s’ouvre sur une vue imprenable : d’un côté, la Loire majestueuse, de l’autre, les vitraux de l’église voisine. La cuisine ouverte permet aux convives d’observer le travail minutieux du chef et de son équipe, qui mettent en avant les produits locaux dans une approche durable et respectueuse du terroir.
À quelques pas du bâtiment historique, un pavillon de verre et de pierre accueille le restaurant Amour Blanc. Plus contemporain, il s’intègre harmonieusement à l’ensemble et offre un autre regard sur la Loire. La même attention aux matériaux et à la lumière guide son aménagement, assurant une continuité entre tradition et modernité.
Fleur de Loire est bien plus qu’un hôtel ou un restaurant : c’est une expérience où l’architecture, l’histoire et la nature se répondent. En valorisant le patrimoine tout en intégrant des solutions innovantes pour un avenir plus durable, Christophe Hay propose un lieu unique, ancré dans son territoire et ouvert sur le monde.
Fiche technique :
Maîtrise d’ouvrage : Christophe Hay Maîtrise d’œuvre : Caroline Tissier Surface :5 000 m2 Budget : NC Programme : Deux restaurants, un hôtel de 44 chambres, un bar lounge, un kiosque à pâtisserie, une épicerie, un spa, une salle de fitness et une salle de séminaire
Si l’aspect de l’ancienne école Télécom ParisTech depuis la rue n’a guère changé, ce que l’on trouve à l’intérieur n’a pas grand chose à voir avec l’établissement déménagé de Saclay.
La morphologie complexe de cet ensemble hétéroclite a récemment fait l’objet d’une reconversion lourde pour accueillir un nouvel institut technologique, des résidences étudiantes et des logements sociaux. Pour ajouter à la complexité, les différents lots ont été gérés par trois agences distinctes. Le projet s’attache à tirer parti de l’hétérogénéité de l’ensemble pour en faire le support et l’expression de la pluralité programmatique de ses nouvelles fonctions. Les architectes ont dû découper ce qui avait été maintenu par la cohésion de la fonction d’origine, et articuler les nouvelles missions dans ces nouvelles entités issues du découpage.
Une reconversion exemplaire
De la Bièvre, dont les nombreux bras et biefs alimentaient plusieurs tanneries, il ne reste rien, si ce n’est l’indice qu’un des bâtiments de l’ensemble aménagé devait être une maroquinerie, comme en témoignent les armoiries sur les ferronneries des ouvertures du rez-de-chaussée.
On connaît également peu de choses sur le passé récent du complexe, lorsqu’il abritait l’une des plus prestigieuses écoles dédiées aux télécommunications. L’école qui accueillait 1600 étudiants, dont une majorité d’étrangers, était installée dans un ensemble hétéroclite de bâtiments : une ancienne ganterie Neyret, un bâtiment moderniste des années 1950 (allure Art déco, Prix de Rome) et plusieurs bâtiments moins expressifs construits à différentes époques de la seconde moitié du XXe siècle.
Cet ensemble hétérogène à la morphologie complexe a récemment fait l’objet d’une reconversion lourde pour accueillir un institut, des résidences étudiantes et des logements sociaux. Les différents lots à reconvertir ont été traités par trois agences distinctes, qui ont travaillé avec le sentiment de participer à un projet global, mais sans pour autant établir un protocole de coopération et de co-conception.
La diversité typologique des composantes de l’ancienne haute école crée un environnement riche et visuellement diversifié, sans avoir recours à des gesticulations formelles et des effets décoratifs surjoués.
De plus, le choix de respecter la structure existante demande beaucoup d’inventivité et un certain sens de l’adaptation pour accueillir un programme de logements sociaux.
« Pour nous, la clé, c’est la mixité. Trop souvent, nous avons vu des quartiers s’enfermer dans des formes d’entre-soi mortifères, synonyme d’inégalités, de ressentiments et de tensions. Or conserver au sein d’un même quartier des gens différents, des fonctions différentes, qui cohabitent et se lient, est une condition d’une ville vivante. »
— David Belliard, Président, RIVP
Logements sociaux sur deux sites, de part et d’autre de la Villa Daviel, par PHILÉAS Architecture
Les logements sociaux occupent un immeuble austère de la rue Vergniaud ainsi que l’ancienne ganterie surélevée de la rue Barrault. Ces deux corps de bâtiment sont séparés par une série de maisons embourgeoisées qu’il ne fallait surtout pas déranger. C’est le point de départ d’une reconversion audacieuse qui a transformé deux bâtiments aux caractéristiques très différentes en logements sociaux et intermédiaires pour le compte de la ville de Paris.
Le bailleur social (RIVP) a dû faire preuve de persuasion et surtout donner des gages pour rassurer les habitants inquiets. Cela va des efforts pour réduire les surplombs à toute une série d’aménagements acoustiques pour diminuer l’empreinte sonore des parties communes.
Dans l’ensemble, le projet a dû porter une attention particulière à l’orientation des appartements, en s’efforçant de réduire leurs ouvertures du côté des maisons de la Villa Daviel. Globalement, le projet est qualitatif et réussit à transformer des bâtiments destinés à l’enseignement en lieux d’habitation. C’est probablement l’aspect le plus intéressant du travail de PHILÉAS Architecture sur ce projet. En effet, lorsque l’on intègre des loge-ments sociaux dans les dimensions atypiques d’une école, il faut parfois faire des choix. Dans ce cas précis, il s’agissait de choisir entre le maintien d’une double hauteur, au détriment du rendement, devenue possible par la possibilité d’y insérer deux niveaux.Force est de constater que les concepteurs du projet ont effectué les bons choix en optant tantôt pour l’un, tantôt pour l’autre. Ainsi, la double hauteur de l’ancienne ganterie est parfaitement exploitée dans ces appartements qui bénéficient de toute la hauteur côté rue, avec la création d’une mezzanine à l’arrière du logement.
La disposition a été aussi astucieuse lorsqu’il s’est agi d’insérer deux niveaux d’appartements dans la double hauteur de l’ancien volume indus-
triel. Les grandes fenêtres cintrées créent des ouvertures atypiques et surdimensionnées.
Plus important encore, il n’y a pas deux appartements identiques dans cet ensemble de logements. La variété typologique ajoutée à la diversité programmatique signifie que chaque unité d’habitation est différente, avec des variations dans l’orientation, la disposition et l’agencement des pièces. Cette conception sur mesure crée finalement un ensemble qualitatif dont l’attrait principal réside dans la capacité d’adaptation des unités qui le composent.Double hauteur et ouvertures atypiques pour le rez-de-chaussée, abondance d’espaces extérieurs pour l’ancienne surélévation qui a été rénovée. Au-dessus des ateliers, l’opération a consisté à remplacer deux plateaux industriels par trois plateaux de logements. Les ouvertures archées scindées par l’insertion des deux niveaux génèrent des intérieurs très différents.
« Le type de restructuration à entreprendre implique de nombreux travaux structurels, allant de travaux d’injection des carrières avec la proximité de pavillons et du lit de la Bièvre, à des surélévations et à la restructuration de certains planchers, notamment dans l’ancienne ganterie Neyret. »
— Colas Lévêque, Responsable Développement Commercial, GTM Bâtiment
Construit en 1960, le bâtiment D est typique de l’architecture fonctionnaliste de la seconde moitié du XXe siècle, avec sa structure répétitive, ses murs porteurs et sa compacité. La résidence étudiante, située au-dessus d’un bureau de poste, offrait 300 logements mal isolés à autant d’étudiants qui pouvaient déjà s’estimer heureux de disposer d’un espace de vie individuel dans Paris intramuros. Les travaux d’ITAR ont consisté à augmenter la capacité de logements de la résidence tout en améliorant ses performances énergétiques et son apparence quelque peu écaillée, en la remettant aux standards du jour pour qu’elle dure encore 60 ans. L’intensification s’est faite en premier lieu par le réaménagement de l’escalier monumental en surface habitable. En deuxième lieu, des balcons projetés ont été ajoutés sur les deux pignons aveugles du bâtiment, de part et d’autre du linéaire de 80 mètres de la façade sur la rue de Tolbiac. En troisième et dernier lieu, la cinquième façade autrefois technique est optimisée.
Les planchers des extensions en angle sont en béton tandis que leur façade est à ossature bois, isolée par l’extérieur et revêtue d’aluminium anodisé. En étant clos, ils transforment les cellules des extrémités en typologies pour colocation. Leurs pointes en quinconce fournissent même des espaces extérieurs double hauteur à leurs résidents. Les oriels des deux longues façades sur la rue de Tolbiac et sur la cour sont aussi habillés d’aluminium anodisé. Cette qualité partagée par toutes les modifications substantielles et visibles du bâtiment affirme son évolution et rompt par un jeu d’ombres et de reflets avec l’écrasante linéarité.
Derrière cette apparente planéité se cache une trame originelle subtile en façade que reprennent les quatorze oriels : balcons, baies toute hauteur, fenêtres simples ou doubles et organisation en travées tantôt simples, tantôt doubles. Ces bow-windows sont greffés sur la façade, ce que permet leur structure bois légère, et accentuent l’effet d’alternance. L’expression générale est complétée d’un travail de serrurerie et de garde-corps pour partie encapsulés. Les variations de lames de céramique parachèvent la vibrance. Peu visibles depuis la rue mais beaucoup plus depuis la cour de l’îlot, les extensions partielles en toiture reprennent ce même principe de structure bois et bardage aluminium. Elles sont implantées en retrait de la limite nord du bâtiment et s’adossent aux circulations existantes.
L’ensemble des espaces partagés et dédiés à la vie communautaire se situent sous le rez-de-chaussée. On y trouve une grande laverie et, surtout, plusieurs espaces de vie spacieux. Ils disposent de lumière naturelle sur tout leur linéaire côté jardin grâce à de grandes baies vitrées qui donnent sur des courettes : les cours anglaises qui permettent également de faire le tour, de passer par l’extérieur pour rejoindre la salle commune ou la laverie. Dans les longues circulations horizontales et fonctionnelles, programme oblige, les parois mettent à nu le béton brut d’antan en ménageant des cadres qui laissent voir sa rugosité. Les plafonds techniques ont par ailleurs été proscrits pour laisser visibles les poutres qui scindent le couloir de part et d’autre : une manière d’éviter tout recours trop ornemental en animant la distance à parcourir. La cage d’escalier centrale ajoutée est en façade, et amène jusque dans les couloirs de la lumière naturelle.
Si la réhabilitation du patrimoine de la seconde moitié du XXe siècle a ses évidentes vertus, elle peut également contraindre, notamment dans l’adaptation aux standards de notre époque. Le plan initial disposait de salles de bain communes, reliquats ou avant-gardes de nos « espaces partagés » qui fleurissent dans les résidences. Ces dernières ont été remplacées par des loge-ments, et chacun des 344 appartements ou chambres dispose maintenant de sa salle de bain privative. Pour trouver la cuisine collective et les espaces conviviaux, il faut désormais descendre de quelques étages, un compromis partagé des maîtrises d’œuvre et d’ouvrage, qui a par ailleurs permis de décupler la surface moyenne d’espace commun par chambre. La situation immobilière tendue de Paris et les difficultés à générer de nouveaux logements dans un contexte de saturation foncière justifient cette décision et la volonté d’intensifier « dans les murs » d’un 13e arrondissement très dense. L’avantage de cette situation, des communs en pied de bâtiment, est aussi leur masse critique : d’un seul tenant et visible de tous. Leur surface et leur aménagement en alcôves laissent la place autant à des rassemblements d’ampleur qu’à des petits comités, il ne s’agit dès lors que d’une question de choix.
Le centre de Inria de Paris par Savoir-Fair architecture
La partie consacrée à Inria est constituée de trois bâtiments réalisés à des époques différentes. L’empreinte stylistique la plus visible des trois bâtiments est celle du bâtiment moderniste du front de la rue Barrault. Il s’agit d’un ouvrage caractéristique du modernisme expressif des années 1950, avec un déploiement en bandeau et une inflexion de la paroi qui exacerbe l’angle de la rue à cet endroit.
La RIVP étant le bailleur, elle loue au Centre Inria de Paris les locaux qui ont été conçus pour elle. Le nouveau site comporte des espaces expérimentaux et de développement, une composante essentielle de l’institut. Il répond également à l’activité des équipes de recherche et des services administratifs (bureaux), ainsi qu’à l’activité de diffusion (amphithéâtre, espaces de réunion). La reconversion a permis de conserver la configuration du hall et de l’amphithéâtre principal historique du site, mais en transformant radicalement l’aménagement intérieur des plateaux composés de salles de classe, qu’elle a reconfigurées en bureaux. L’ensemble se compose aussi d’un bâtiment mur-rideau entièrement vitré, réalisé dans les années 1990, à la jonction de l’immeuble des années 1950 et de la résidence étudiante.
La juxtaposition des deux immeubles et la différence stylistique qu’ils présentent sont caractéristiques de l’éclectisme qui caractérise l’ensemble, ainsi que de la complexité de la tâche de constituer un ensemble cohérent.
L’agence Savoir-Fair, spécialisée dans la réhabilitation, a été désignée lauréate en 2017.
Les deux autres tranches du chantier, ayant été attribuées plus tard à ITAR et et à PHILÉAS Architecture, cela a permis aux architectes de
Savoir-Fair de disposer d’une certaine marge de manœuvre pour effectuer une évaluation détaillée de l’état existant qui a pris la forme d’un diagnostic détaillé pour estimer ce qui pouvait être conservé et ce qui devait être reconstruit. Ce fin travail d’ajustement est visible dans l’amphithéâtre, où des bancs anciens d’une belle facture ont été conservés et adaptés pour inté-
grer la connectique aujourd’hui jugée indispensable. Ailleurs, le choix a été fait de reconstruire de manière contemporaine, mais avec des solutions qui évoquent le style des années 1950. C’est le cas du parquet en tasseaux verticaux, ou des menuiseries de façade alignées en bandeau. La rénovation conserve le principe de larges allèges sous les ouvertures en bandeau, en prenant soin de les redimensionner pour en optimiser l’usage.
Le bâtiment ayant subi plusieurs transformations, la rénovation a réussi, à certains égards, à lui conférer un esprit d’ensemble qu’il n’a jamais eu. Le hall d’entrée traversant, offrant un dégagement sur le cœur de l’îlot, elle est indéniablement l’un des atouts qualitatifs de cette reconversion. Le principe du cas par cas n’obéit pas tant à des critères esthétiques qu’à des critères de durabilité et de coût. C’est ainsi que le mur-rideau d’une section ajoutée dans les années 1990 a été conservé dans son état d’origine, sa durée de vie et le principe de préserver tout ce qui pouvait l’être ayant prévalu sur son apparence datée et sa faible performance énergétique.
Toujours dans l’esprit de rester au plus près de l’existant, les mètres carrés des deux escaliers de secours menant à la cour de la résidence étudiante ont été utilisés pour construire six salles de réunion sur deux colonnes et trois niveaux.
Si la construction de deux nouvelles formes de la même taille que les cages d’escalier peut sembler une dépense de ressources par rapport aux mètres carrés obtenus, le caractère atypique de ces six salles entièrement vitrées les rend uniques et, en fin de compte, contribue au cachet global du projet.
Esprit d’ensemble et distinction des programmes
Le projet est caractéristique d’une approche éclectique appliquée à une configuration complexe. Si le principe d’un entrepreneur unique ainsi que celui d’un permis de construire ont été posés dès le départ pour garantir une meilleure cohérence au niveau de la maîtrise d’ouvrage, les trois projets injectent trois programmes distincts dans un ensemble qui, malgré son caractère hétéroclite, affichait une cohérence fonctionnelle articulée autour de l’enseignement supérieur.
Le projet dans sa globalité s’est donc efforcé de tirer parti de la nature variée de l’ensemble pour en faire le support et l’expression de la plura-
lité programmatique des nouvelles fonctions qui y trouvent leur place. Les architectes ont dû découper ce qui avait été maintenu ensemble par la cohé-
sion de la fonction d’origine et articuler les nouvelles missions dans ces nouvelles entités découlant du découpage.
En agissant ainsi, le projet parvient à retrouver de la cohérence, ne serait-
ce que du fait de la simultanéité des reconversions et de l’utilisation optimale de l’existant. Malgré les différences programmatiques, les trois projets ont en commun la même volonté d’optimiser le foncier parisien, non pas dans une visée spéculative, mais plutôt dans une perspective pédagogique et sociale. Chacun d’entre eux exploite ainsi au maximum son potentiel.
Maîtrise d’ouvrage : RIVP Assistant au maître d’ouvrage :AJR Conseils Entreprise générale : GTM Bâtiment Architectes : ITAR Architectures, PHILÉAS Architecture et Savoir-Fair architecture Partenaires et BET : Archetype BECT, Deltatec, CET Ingénierie Thermique, PLAN02, TERRELL, EPPY, AE75
Programme : Restructuration d’une résidence pour étudiants de 344 logements Surface : 9 200 m2 Budget : 17,7 M€ HT
Programme : Réhabilitation et transformation de deux immeubles d’enseignement en 25 logements familiaux intermédiaires, 95 logements sociaux (dont 10 ateliers d’artistes) et espaces verts en toiture Surfaces : Bâtiment A : 1 984 m2, 1 584 m2, Bâtiment C : 7 956 m2, 6 518 m2 Budget : 26,3 M€ HT
Programme : Réhabilitation et requalification d’équipements tertiaires pour accueillir Inria Surface : 11 300 m2 Budget : 36,5 M€
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Focus | Gymnase, Escalquens — V2S Architectes
Implanté à proximité du nouveau collège, le gymnase d’Escalquens, conçu par V2S Architectes, répond aux besoins croissants en infrastructures sportives de la commune. Son intégration semi-enterrée permet une insertion harmonieuse dans le paysage tout en réduisant son impact visuel. Cette approche architecturale assure également une connexion fluide entre l’espace public et l’équipement sportif, renforçant ainsi son rôle de lieu de rassemblement et de convivialité.
L’implantation du gymnase tire parti de la déclivité naturelle du terrain. Une entrée haute, située à mi-hauteur, confère à l’ensemble une façade urbaine ouverte sur la ville, facilitant l’accès depuis le collège. Côté sud, la façade la plus visible accueille un système pariétodynamique conçu pour optimiser l’apport solaire passif, améliorant ainsi la performance thermique du bâtiment. Cette grande paroi vitrée, couplée à un mur à ossature bois isolé, permet un chauffage naturel tout en garantissant un éclairage optimal sans éblouissement.
La relation entre le gymnase et son environnement est renforcée par des espaces largement ouverts sur le paysage. Le parvis d’entrée, entièrement piéton et sécurisé, offre un premier lien visuel avec la salle de sport grâce à une paroi vitrée. À l’intérieur, les espaces traversants maintiennent une connexion constante avec l’extérieur, offrant aux usagers un cadre lumineux et aéré. L’accès direct aux gradins végétalisés et aux terrains extérieurs prolonge cette interaction entre architecture et nature.
La simplicité constructive et la fonctionnalité guident la conception du gymnase. Trois faces en voiles de béton assurent la stabilité de l’édifice, tandis qu’une poutre de 33 mètres équilibre la structure. La charpente en bois massif local complète l’ensemble, associant robustesse et durabilité. Le choix du béton, matériau pérenne et sans entretien, répond aux exigences d’un bâtiment semi-enterré et destiné à un usage sportif intensif. De plus, l’encastrement partiel dans le terrain favorise une régulation thermique naturelle, améliorant le confort d’été sans dépense énergétique.
L’organisation intérieure suit une logique fonctionnelle claire : le public accède aux gradins en R+1, tandis que les sportifs évoluent au rez-de-chaussée. Les espaces communs, tels que les vestiaires et l’infirmerie, sont regroupés au centre du bâtiment. Le porte-à-faux des gradins fixes, positionnés en retrait, garantit une visibilité optimale tout en protégeant les spectateurs des intempéries. Cette disposition préserve la fluidité des circulations et crée un espace sécurisé, propice aux activités pédagogiques et sportives.
Le plateau sportif est conçu pour une utilisation polyvalente, accueillant aussi bien les collégiens que les associations locales et les compétitions départementales. Le revêtement en parquet bois offre une qualité de jeu supérieure, alliant confort, durabilité et acoustique maîtrisée. Résistant et facile d’entretien, il assure également une meilleure sécurité aux sportifs.
La façade pariétodynamique joue un rôle essentiel dans la régulation thermique du gymnase. En hiver, l’air extérieur se réchauffe en traversant la paroi et pénètre à l’intérieur via des ouvrants motorisés, conservant la chaleur accumulée durant la nuit. En été, la ventilation naturelle empêche toute surchauffe, évacuant l’air chaud accumulé dans la lame d’air. Ce dispositif bioclimatique, couplé à une conception architecturale pragmatique, illustre l’engagement du projet en faveur d’une construction durable et économe en énergie.
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Blockbuster | Architecture et végétaux, 2 — Végétaliser sans régresser
À l’idée de végétalisation de l’architecture s’associe inévitablement le sentiment que régresser va devoir s’imposer. Construire avec du bois, avec du mycélium, avec des briques issues du composteur du fond de notre jardin, voyant comprimées queues
de poireaux, pommes pourries et autres pelures de carottes ou de pommes de terre (mais disposerons-nous d’assez de ce matériau premier pour mouler les briques qu’il nous faut ?). Ces questions, qui peuvent prêter à sourire, en sont de vraies et de sérieuses, cependant.
À l’idée de végétalisation de l’architecture s’associe inévitablement le sentiment que régresser va devoir s’imposer. Construire avec du bois (mais lequel, s’il faut bannir les bois chimiquement traités et collés ?), avec du mycélium (mais peut-on faire un gratte-ciel en fils de champignons ?), avec des briques issues du composteur du fond de notre jardin, voyant comprimées queues de poireaux, pommes pourries et autres pelures de carottes ou de pommes de terre (mais disposerons-nous d’assez de ce matériau premier pour mouler les briques qu’il nous faut ?). Ces questions, qui peuvent prêter à sourire, en sont de vraies et de sérieuses, cependant. Jusqu’où nous faudra-t-il repartir en arrière ? Obligation de réflexion.
En notant bien cette donnée, correctrice en dépit du marasme écologique actuel : la technologie architecturo-végétale avance et d’autres solutions s’envisagent. Régresser, en conséquence, ne sera pas forcément nécessaire, en tout cas pas jusqu’à l’abri de branchages.
Le techno-solutionnisme, cette idole des contempteurs de l’écologie profonde, n’est pas forcément une hérésie. Si la technique ne peut pas tout, si elle n’a pas toutes les cartes en main pour nous sauver des actuels périls environnementaux qu’il nous faut affronter nos poumons pas loin de suffoquer dans le bain de carbone ambiant, il n’empêche qu’elle est au travail, et avec énergie. Des milliers d’ingénieurs valeureux – jamais assez célébrés – n’ont de cesse, de par le monde, de peaufiner de nouveaux produits, des matériaux renouvelés, des modes d’être et de faire à même de réduire la carbonation du monde (son empoisonnement donc et le nôtre, l’espèce humaine, par voie de conséquence). L’apparition récente à cette entrée de nouvelles filières académiques de formation, celle d’ingénieur écologue, celle d’ingénieur en génie de l’environnement, constitue de bonnes nouvelles, tandis que des regroupements d’experts toujours plus nombreux, œuvrant au service de l’écologie en tous domaines, dont la construction (10 % à 40 % du bilan carbone à l’échelle globale, selon les modes de calculs et les paramètres pris en compte), se sont mis sur les rangs, bien décidés à en découdre avec l’hydre de l’anthropocène. Ainsi en France, entre autres officines de cette eau claire, de l’AFITE, Association Française des Ingénieurs et Techniciens de l’Environnement, ou encore de l’AFIE, Association Française Interprofessionnelle des Écologues.
L’heure venue du matériau durable
« Le bambou, le liège, la paille, la terre crue et le bois comptent parmi les matériaux durables les plus utilisés de nos jours en architecture », relève Agata Toromanoff, autrice du récent volume 75 architectures pour un monde durable (éditions de La Martinière, décembre 2024), qui précise, côté avantages : « Leurs qualités isolantes permettent de réduire les déperditions de chaleur sans cependant restreindre la circulation de l’air ». Quoi de bon, encore ? Ces matériaux d’origine végétale « produisent peu de déchets ». Cerise sur le gâteau, « absorbant davantage de dioxyde de carbone que leur production n’en aura nécessité, ils participent également à la dynamique du réemploi ». Côté usage et mise en forme, relevons enfin, pas malvenue, l’habitude pluriséculaire que l’on a d’utiliser ces matériaux, qui crée un pont symbolique entre tradition et modernité, entre artisanat et high-tech, contre le tout-technocratique. « Partout dans le monde, continue Agata Toromanoff, des architectes puisent dans les techniques traditionnelles pour réaliser leurs projets et créer un pont entre le passé et le présent. »
S’en étonnerait-on ? Ce type de synthèse entre ancien et nouveau, fédérés et devenus complémentaires l’un de l’autre, irrigue aujourd’hui nombre d’éco-projets architecturaux, avec cette plus-value en prime, la bonne conscience (qui en voudrait à un architecte de construire à la fois le plus vert possible et dans le respect des contextes hérités de la sagesse d’hier ?). C’est, de fait, le parti pour lequel a opté Henning Larsen à Rønde, au Danemark, pour concevoir la modeste en apparence mais très efficace école Feldballe, bâtiment à l’esthétique simpliste en forme de deux pavillons mitoyens. Rien de révolutionnaire dans le look de ce bâtiment : on se coule dans le style local, plutôt quelconque, sans chercher à s’en distinguer. En revanche, on trouve ici une réalisation basée sur trois principes efficients et appliqués à la lettre : 1, décarbonation à objectif zéro ; 2, végétation et biodiversité intégrées au bâti ; 3, utilisation fondée sur l’économie circulaire et le recyclage des déchets. L’important, pour l’agence Henning Larsen ? S’en tenir à ce programme impérieux, non pas produire un bâtiment-signe. Un éco-bâtiment témoin exemplaire, voilà qui suffit, modestie plus rigueur environnementale à tous les niveaux. Cette école aux performances écologiques indéniables tourne le dos à l’effet d’appel. Elle émerge dans le paysage local comme un objet produit par la nécessité, cette nouvelle règle devenue essentielle de la conception architecturale – la nécessité, aujourd’hui jumelle de cette autre règle, la responsabilité.
L’architecte n’aurait-il donc plus rien à faire ?
Applaudissements nourris et unanimes ? Attention ! Le modèle conceptuel à l’origine de cette réalisation, pour respectable qu’il soit parce qu’éthique, pose cependant problème en termes de valorisation du métier d’architecte. Un tel modèle, certes, repose sur un postulat et un acquis respectables, le choix et la pratique raisonnée des techniques écologiques de construction. Mais autant, pour partie, sur un abandon de compétences. À quoi sert à présent à l’architecte d’apprendre au vu de l’imperium de la triplette
« Nécessité – Matériaux adaptés – Technique de construction verte » devenue de règle – de Règle avec majuscule, même ? Cette triplette, en priorité, impose au bâtiment sa nature ultime. Son diktat peut déplaire aux architectes et ce, légitimement. Inutile, sous sa férule, de savoir dessiner avec génie, de mettre en application, dans le bâti projeté, des théories personnelles, une ambition, un désir de révolution ou de subversion. On le sait : dans un monde à l’agonie qui s’occupe de se réparer, subvertir le cours des choses c’est contribuer à précipiter la survenue de la mort. Que doit admettre l’architecte ? L’ingénierie « verte », en amont, a pensé à tout pour lui, elle a tout préfiguré à sa place, avec efficacité forcément. Celle-ci s’aide dorénavant, en effet, de l’Intelligence artificielle, reine absolue du comparatisme, des synthèses et des solutions livrées le temps d’un clic de clavier d’ordinateur.
Au juste, sauf à se satisfaire d’un retour à l’archaïque ou presque, l’architecte de l’ère du marasme écologique voit sa marge de manœuvre diminuer comme peau de chagrin. Imiter une Yasmeen Lari, architecte pakistanaise dont les réalisations, depuis 2000, se cantonnent à décalquer l’architecture d’urgence, rudimentaire, en remettant en selle le modèle du shelter de bambou construit selon des méthodes ancestrales, triomphe du local sur le global ? Voilà mon destin tracé, dit l’architecte à la fin résigné au moins-disant conceptuel. Cette inflexion, à juste titre, certains la trouveront décalée, à l’heure du monde marchant en mode Web sémantique dit « 3.0 » (celui des échanges tous azimuts partagés et incrémentalement améliorés). Voici le présent et plus encore l’avenir écrasés par le passé élevé au rang de panacée du présent livré à la crise écologique. Créditer d’une valeur suprême le Zero Carbon Cultural Center de Makli, conçu par Yasmeen Lari, une gigantesque paillotte de bambou au toit de chaume aux airs d’étable à étages, c’est se demander forcément si la pendule du monde n’a pas raison de marcher à contresens.
Le végétal en appui
Une réponse à ces formes d’arriération (mais célébrées, précisons-le, comme des avancées par le camp écologiste) consiste, sans renoncer à ce que les végétaux peuvent apporter de bénéfique au bilan carbone, à se soutenir de ces derniers sans en faire forcément le matériau principal du bâti. On connaît à ce registre, tant et plus, les toitures végétalisées, qui sont le plus souvent des alibis et montrent vite leurs limites (« notre bâtiment accueille de façon bienveillante la biodiversité locale en lui offrant cadre de vie et expansion »), particulièrement en périmètre urbain pollué. On connaît aussi le principe de la sur-plantation d’arbres, cette obsession des écoquartiers, loin d’être une solution parfaite pour la captation du carbone. L’arbre consomme beaucoup d’eau, produit du déchet et de l’ombre non toujours souhaitée ; le planter jeune, comme le rappelle le spécialiste des forêts primaires Francis Hallé, n’a également que peu d’intérêt, et sûrement pas immédiat : mieux vaut conserver un arbre vénérable, qui a fixé dans sa matière et son environnement ses espèces commensales, que planter vingt arbres neufs dont le rendement à ce titre va se faire attendre longtemps. Bref, pas sûr que la technique de plus en plus courue à ce jour du « bain de forêt » soit invariablement la plus opportune.
Végétaliser autant que faire se peut, au vu de ces constats, mais sans faire de la végétalisation de l’architecture un credo intangible est dès lors une bonne solution, solution moyenne certes mais qualitative à sa mesure, ne revendiquant pas le superpouvoir ni la capacité à sauver le monde. L’agence danoise Cobe (créée en 2006 par Dan Stubbergaard) a ainsi livré en 2023, à Copenhague, un Parc de l’Opéra notoire par son recours au végétal, omniprésent mais pas déclaratif : on met du vert là où l’on peut, en surface, dans les accès à un parking souterrain, en canopant les promenades le plus possible mais sans verdir en tout. Cette végétalisation venue « à l’appui », non première dans la conception mais solidaire de celle-ci, c’est son principe encore qui définit la subtile maison de Bat Tràng aux façades perforées conçue par Vo Trong Nghia Architects (VTN), en un milieu tropical très exposé à la chaleur et aux pluies brutales. Les murs de briques de céramique en claire-voie de cette habitation voient chaque ouverture, ménagée dans ses flancs, occupée par des végétaux qui viennent gainer la demeure comme un lierre servant de tampon thermique et de régulateur d’humidité. Ni ingénierie complexe ni archaïsme. Juste de l’ingéniosité et une parfaite compréhension du contexte.
Végétaliser, pas forcément
Un rappel nécessaire : c’est entendu, on peut construire « vert » sans obligatoirement végétaliser. Deux exemples antinomiques. D’un côté, misant sur le végétal jusqu’à la saturation, citons la Touching Eden House que réalise à Singapour, en 2023, Wallflower Architecture + Design. Coincée dans un parc de bambous, cette luxueuse villa de larges dimensions exhibe sous l’espace d’un front vert ses murs tapissés de vignes et de plantes grimpantes, jusqu’à l’invasion. De l’autre côté, jouant le tout-technologique, matériaux high-tech et conception à faible empreinte carbone, jetons un œil sur le vaste Rob and Melani Walton Center for Planetary Health de l’université d’État de Tempe (Arizona) conçu par Grimshaw en collaboration avec Architekton et livré en 2022. Ce solide bâtiment en béton et fibre de verre aux airs fonctionnalistes, pour sa part, fait l’économie radicale du végétal et vise sur la ventilation (cour ouverte) et la gestion savante de la lumière (façonnage différentiel des panneaux de façade). Toutes les tactiques sont jouables, en l’occurrence militer pour le végétal de manière dogmatique ne signifie pas toujours être dans le coup.
Certains architectes, de la sorte, élargissent leur manière de voir les choses et de concevoir le bâti, s’extrayant en cela de cette culture du végétal si en phase avec les préoccupations écologiques actuelles. D’aucuns, par exemple, miseront sur le soleil, à l’instar d’un Koichi Takada avec sa Sunflower House (« Maison tournesol »), conçue pour l’Ombrie, en Italie : faible surface au sol, élévation sur plusieurs niveaux, forme circulaire, cerclage de disques orientables permettant la bonne gestion des flux solaires. En l’occurrence, l’on peut certes, comme s’y prend Hiroshi Nakamura avec l’agence NAP, enfoncer l’habitat dans le sol et renouer avec l’esprit du bunker souterrain invisible depuis la surface, ayant pris racine dans la terre comme de l’herbe et perclus dans une végétation généreuse. On peut aussi, en raison, demeurer plus mesuré. Le végétal pour bâtir « vert » ? Oui, mais alors sans obligation – parce que d’autres solutions existent et, parions-le, parce que bien d’autres encore sont à venir, alternatives.