Entretien | Franck Boutté réunir ce qui n’aurait jamais dû être séparé

Diplômé en ingénierie civile, Franck Boutté fait le choix de poursuivre ensuite des études d’architecture. À l’époque, ingénieurs et architectes ne parlent pas le même langage, à son plus grand regret. Il décide de mettre fin à l’hérésie des chocs de cultures et crée son atelier développant une approche holistique mêlant ingénierie, architecture et toute autre expertise pouvant permettre la genèse de projets cohérents et pertinents pour longtemps.

Il y a 20 ans, vous fondiez l’Atelier Franck Boutté, une agence de conception et d’ingénierie environnementale assurant également des missions de conseil en politique publique. Quel était votre objectif à ce moment ? 

Lorsque j’étais étudiant, il n’existait pas de culture, et encore moins de pratique de tous les sujets environnementaux. L’ingénierie et l’architecture relèvent de deux formations, deux univers, deux cultures et presque deux corps bien distincts.

Curieux de comprendre et de développer une approche holistique, synthèse des enjeux sociétaux, j’ai alors tenté de développer, il y a 20 ans, une culture qui mette fin à l’affrontement de deux domaines qui pour moi étaient indissociables pour concevoir des villes plus complètes, plus intelligentes, plus sensibles, plus rationnelles.

Finalement, cette proposition de réunion d’expertises passe de manière assez naturelle auprès des acteurs du secteur. L’Atelier Franck Boutté n’est ainsi pas né d’une idée ou d’un objectif mais s’est plutôt construit au fil de l’eau, au hasard des rencontres, des questions qui se posaient : carbone, énergie, nature en ville, puis biodiversité…

Nos grands partenaires dans le changement de paradigmes au long cours ont été les architectes puis les urbanistes.

Vous avez été récompensé par le Grand Prix de l’Urbanisme en 2022 pour votre « démarche pionnière sur l’ingénierie environnementale des projets architecturaux, urbains et territoriaux ». Comment avez-vous vécu cette distinction ?

C’était tout d’abord un étonnement d’apprendre ma pré-sélection ! Cela a réveillé des questions qui m’ont accompagné depuis longtemps : est-ce que je dois devenir urbaniste ou architecte ? Est-ce que finalement mon rôle est plutôt d’acculturer et de faire en sorte que les urbanistes soient encore plus urbanistes et les architectes encore plus architectes ?

Ce Grand Prix a bien entendu aussi représenté une petite satisfaction personnelle, une grande joie. Pour la première fois que le Grand Prix de l’Urbanisme était attribué à un ingénieur qui n’était pas passé par la maîtrise d’ouvrage !

Il s’agissait d’une véritable reconnaissance de la transdisciplinarité et de l’intérêt d’apports exogènes à une discipline pour enrichir une autre discipline. Il s’agissait également de la première fois que ce Grand Prix était décerné à une personne plaçant les enjeux de la transition écologique au premier plan !

Nos convictions et nos objectifs n’ont pas changé après cette distinction, si ce n’est qu’aujourd’hui les acteurs publics sont tous globalement assez acculturés en apparence. Nous avons moins à faire en termes de sensibilisation et d’engagement des acteurs, mais seulement en apparence. Pour les années à venir, mon objectif consistera à parvenir à engager les acteurs du privé qui restent tout de même beaucoup mus par l’intérêt économique, à essayer d’impulser une logique d’investissement à long terme, une forme de définanciarisation de la construction, de l’architecture et de l’urbanisme.

Quelle serait votre architecture idéale ?

Cette question n’est pas facile. Je défends une forme de primauté retrouvée du contexte et du milieu. Pour moi l’architecture idéale n’est pas purement une architecture, elle est celle qui fait corps avec son milieu. Je trouve extrêmement intéressante l’approche d’une écologie territoriale. Cette approche doit mettre en rapport le climat, l’histoire, la culture dans une projection dans le temps. Une architecture est là pour s’installer 50 ans, 100 ans, 200 ans…

Quelle personnalité aimeriez-vous saluer pour son rapprochement avec cette vision ?

J’aimerais saluer les initiatrices du Global Award for Sustainable Architecture. Créé en 2006 par Jana Revedin et porté avec Marie-Hélène Contal, ce prix a permis de repérer des architectes aux pratiques absolument singulières dans le monde. Ces architectes associent, je pense, toutes les dimensions que je viens d’évoquer : la singularité, la question des ressources, la dimension milieu physique-milieu humain, le rôle social-sociétal de l’architecture. Ce prix rend visibles ces démarches incroyables. Il s’agit d’une vraie belle démarche !

Par Annabelle Ledoux
Visuel à la une : Notre-Dame, vue aérienne du parvis © Studio Alma pour le Groupement BBS

Focus | La Fondation Avicenne, Paris — Béguin & Macchini

Fermée depuis 2007, la Fondation Avicenne de la Cité internationale universitaire de Paris a rouvert ses portes après une réhabilitation d’envergure. Cet édifice emblématique, conçu par l’architecte Claude Parent et inscrit aux Monuments historiques, retrouve aujourd’hui sa vocation première : accueillir des étudiants
et chercheurs internationaux, tout en préservant son héritage architectural unique.

La Fondation Avicenne, anciennement connue sous le nom de Maison de l’Iran, a été construite en 1969 à l’initiative du gouvernement iranien pour loger des étudiants de son pays. Suspendu à une structure métallique audacieuse, le bâtiment reflète l’avant-garde architecturale de son époque grâce à la collaboration de Claude Parent, André Bloc et des architectes iraniens Heydar Ghiai et Mossem Foroughi. Renommée en 1972 en hommage à Avicenne, médecin et philosophe persan du XIe siècle, cette œuvre unique s’impose comme un jalon de l’architecture métallique du XXe siècle.

Cependant, des décennies d’usure ont conduit à sa fermeture en 2007, faute d’entretien et de moyens pour sa rénovation. Ce n’est qu’en 2017, grâce à un partenariat entre la Ville de Paris, la Régie immobilière de la Ville de Paris (RIVP), l’État et l’Union européenne, que le projet de réhabilitation a pu voir le jour. Les travaux, réalisés entre 2021 et 2024 par le cabinet Béguin & Macchini SCP, ont permis de redonner vie à ce bâtiment tout en augmentant sa capacité d’accueil de 96 à 111 logements étudiants.

Le 27 novembre 2024, la Fondation Avicenne a été officiellement inaugurée en présence de nombreuses personnalités, dont Jean-Marc Sauvé, président de la Fondation nationale de la Cité internationale, et Marie-Christine Lemardeley, adjointe à la Maire de Paris. Tous ont salué la double réussite de ce projet : la préservation d’un patrimoine architectural remarquable et l’amélioration des conditions d’accueil pour les étudiants et chercheurs internationaux à Paris.

Avec ses 127 000 étudiants internationaux, Paris est une destination phare pour les mobilités étudiantes et scientifiques. La réhabilitation de la Fondation Avicenne s’inscrit dans une stratégie plus large de la Ville et de la Cité internationale pour améliorer l’accueil des talents étrangers. En augmentant la capacité d’hébergement de la Cité internationale et en offrant des logements sociaux de qualité, ce projet répond aux besoins croissants d’une communauté académique en constante évolution.

La réhabilitation de la Fondation Avicenne témoigne également d’un engagement fort pour le développement durable. En conformité avec le Plan climat énergie de la Ville de Paris, le bâtiment atteint une consommation énergétique maximale de 80 kWh/m² par an et a obtenu le label BBC Rénovation (Bâtiment basse consommation).

Les travaux ont nécessité un équilibre subtil entre le respect de l’esthétique originale du bâtiment et les exigences techniques contemporaines. Cette démarche s’inscrit dans l’objectif global de la Cité internationale de devenir un modèle en matière de construction et de rénovation écoresponsables.

Suspendue au-dessus du sol grâce à une macro structure métallique, la Fondation Avicenne est l’un des rares exemples d’architecture suspendue en France. Sa réhabilitation a permis de préserver ce témoignage unique de l’audace architecturale des années 1960. Dès son inauguration, le bâtiment avait suscité l’admiration des professionnels et reste aujourd’hui un repère visuel pour les automobilistes empruntant le périphérique sud de Paris.

Fiche technique

Maîtrise d’ouvrage : Béguin & Macchini
Maîtrise d’œuvre : Cité Internationale Universitaire de Paris, RIVP
Surface : 3 427 m2 logements + 296 bureaux m2 SDP
Budget : 16,6 M € HT
Programme : Restructuration patrimoniale lourde de 111 logements étudiantes

Par la rédaction
Visuel à la une : © Antoine Meyssonnier

— Retrouvez l’article dans Archistorm 130 daté janvier – février 2025

Dossier sociétal | Le bois : entre promesses et contradictions

Les résultats de l’enquête nationale sur la construction bois, publiés en juillet 2023 et portant sur l’année 2022, révèlent une dynamique impressionnante, malgré un contexte économique complexe. Avec un chiffre d’affaires dépassant les 4,6 milliards d’euros HT en 2022, le secteur affiche une croissance notable de 14,3 % en valeur par rapport à 2020 et une augmentation de 5 % en volume.

Le marché, historiquement porté par la construction neuve (qui représente encore 73 % du chiffre d’affaires total), connaît une évolution notable : commanditaires et maîtres d’œuvre adoptent désormais le bois avec enthousiasme, les formes et les modénatures en bois se diversifient, donnant lieu à des créations toujours plus innovantes. En résumé, la construction bois ne se contente pas de progresser : elle redéfinit les codes de l’architecture contemporaine, en s’imposant comme un acteur clé de la transition écologique. Dans un monde en quête de durabilité, il semble clair que le bois continuera de tracer sa route vers le sommet du secteur du bâtiment.

Tour Wood Up : une icône pionnière de la construction bas carbone en Europe

S’élevant à 50 mètres de hauteur, la tour Wood Up, conçue par LAN Architecture, incarne une véritable révolution dans la construction bas carbone. Cette tour figure parmi les premières réalisations emblématiques de bâtiments verticaux à structure bois en Europe. Inscrite dans le cadre du projet urbain Paris Rive Gauche, orchestré par Yves Lion, elle parachève l’urbanisation du secteur est du 13e arrondissement de Paris, tout contre les Maréchaux et le périphérique. La base de l’édifice, réalisée en béton, accueille des commerces et une salle d’escalade, permettant d’englober les dénivelés complexes d’un site aménagé sur dalle. Ce socle robuste supporte les quatorze étages supérieurs, construits autour d’une imposante structure en bois complétée par un noyau central et des refends en béton. Visible et porteuse, l’ossature principale, composée de poteaux et de poutres en lamellé-collé, est renforcée par une trame extérieure secondaire, qui participe à l’esthétique globale. Les défis techniques n’ont pas manqué : les changements réglementaires constants, par exemple, ceux imposant l’encapsulation des structures extérieures bois, ont complexifié le projet. Cependant, Wood Up reste l’exemple d’une optimisation logistique et d’un approvisionnement durable. Tous les bois utilisés, d’origine française, ont été acheminés par voie fluviale via la Seine tandis qu’une sélection minutieuse des essences a permis de tirer le meilleur parti des propriétés spécifiques de chacune : le hêtre, utilisé pour les poteaux verticaux, assure une excellente résistance à la compression ; l’épicéa, choisi pour les poutres, se distingue par sa flexibilité ; enfin le Douglas, connu pour sa robustesse face à l’humidité, a été employé pour les éléments extérieurs. Wood Up ne se limite pas à son expérimentation sur la construction bois, la tour place aussi l’habiter au cœur de sa conception. Les 132 logements, allant du T1 au T5, sont répartis de façon stratégique pour encourager la mixité sociale. Les étages avec les petits logements alternent avec ceux accueillant les grandes superficies. Ainsi les espaces peuvent-ils être combinés verticalement, répondant aux besoins évolutifs des occupants. L’interaction entre habitants est également au centre de la vision architecturale. Plusieurs espaces communs, tels qu’une terrasse traversante de 300 m² au huitième étage, une toiture aménagée, un hall semi-couvert généreux et des circulations lumineuses, invitent à la rencontre et au partage. En prime, les chutes de bois issues de la construction ont été recyclées pour fabriquer des meubles destinés à ces lieux partagés, renforçant ainsi l’engagement écologique du projet.

Ode à la simplicité

Lorsqu’il est inscrit dans une démarche locale et respectant une traçabilité rigoureuse, le bois n’a plus à démontrer ses vertus écologiques.
Cette approche est pleinement incarnée par l’architecte Emmanuelle Weiss, qui privilégie l’utilisation quasi exclusive du bois et de matériaux biosourcés. Récemment, elle s’est vu confier la conception de la Maison de la transition écologique à Marcq-en-Barœul, près de Lille. Implanté sur une ancienne ferme maraîchère devenue musée, ce projet prend la forme d’une halle lumineuse et chaleureuse, où chaque détail technique reflète une philosophie low-tech.

L’architecture s’organise autour de douze portiques porteurs, mettant en avant une précision remarquable dans les assemblages et assurant une harmonie structurelle. « Je travaille avec des bois simples pour des raisons économiques et chaque élément est conçu pour minimiser les découpes. Le bois offre une flexibilité permettant des assemblages qualitatifs et favorisant l’inventivité à la fois formelle et structurelle », explique Emmanuelle Weiss. Son expertise découle d’une formation approfondie, où elle a exploré l’ensemble du cycle de vie du bois : de l’étude des forêts jusqu’à la mise en œuvre architecturale, incluant des réflexions transversales sur l’acoustique et les techniques de construction.

La richesse expressive des assemblages en bois

Dans la petite commune de Missillac, en Loire-Atlantique, le bois trouve une nouvelle dimension plastique avec la halle de marché conçue par LAUS architectes. Ce projet retisse la maille urbaine en requalifiant l’espace public : un parvis dégagé s’ouvre sur la rue principale, tandis qu’une venelle relie la halle à un cœur d’îlot en pleine mutation. Cette architecture, à la fois accueillante et intemporelle, se distingue par ses assemblages sophistiqués. Sa couverture en bardeaux de mélèze brut, scindée en ouïes, assure une ventilation hivernale et une respiration rafraîchissante en été. La charpente, tramée et dansante, mélange poteaux et arbalétriers dans un jeu de ciseaux qui brouille la distinction entre éléments porteurs et stabilisateurs. L’alternance des fermes, avec un retournement systématique d’une sur deux, génère une diversité rythmique qui enrichit la répétition.

De son côté, le Pavillon Jardins, imaginé par Atelier du Pont et situé au cœur du parc de La Villette à Paris, met en scène une autre approche des assemblages bois. Ce bâtiment de 3000 m², destiné à rassembler les équipes du Parc et de la Grande Halle autrefois dispersées, s’inscrit dans une trame orthogonale pensée pour s’adapter aux évolutions futures. « Nous avons conçu une structure générique, composée de poutres et de poteaux en bois, offrant des portées de douze mètres. Un noyau en béton garantit le contreventement et l’inertie nécessaires. Le tout, entièrement décloisonnable, est organisé autour d’un atrium central », explique Philippe Croisier, cofondateur de l’Atelier du Pont avec Anne-Cécile Comar. Mais « générique » ne signifie pas banal. Le bâtiment, finement proportionné, dévoile une ossature en bois dont les assemblages minutieux apportent légèreté et raffinement. Les poteaux sont divisés en quatre éléments lamellés-collés de 16 x 16 cm, tandis que la verrière centrale, inspirée par la simplicité ludique d’un jeu de Kapla, illustre une maîtrise architectonique remarquable. Vitré sur toute sa hauteur, le Pavillon Jardins établit un dialogue subtil avec son environnement naturel. Ces réalisations démontrent que l’architecture bois ne se limite pas à une esthétique rustique ou bucolique. Au contraire, les détails minutieusement étudiés permettent une intégration réussie dans le contexte métropolitain et urbain.

Une contribution majeure aux débats écologiques contemporains

Le débat sur l’écologie de la construction s’oriente de plus en plus vers la préservation et la transformation des structures existantes, plutôt que vers leur démolition systématique. Le bois, par sa flexibilité, sa légèreté et sa durabilité, joue un rôle clé dans cette évolution, s’inscrivant avec audace dans des projets innovants. Prenons l’exemple de la transformation d’une ancienne ferme en deux foyers d’habitation à Saint-Martin-Lestra, en
Auvergne-Rhône-Alpes, une région leader de la construction bois en France. Ce projet atypique, mené en autoconstruction par l’architecte propriétaire – Loïc Parmentier de l’Atelier de Montrottier –, conjugue créativité et respect du patrimoine. Un volume orthonormé en bois tressé contemporain s’élève au-dessus du soubassement originel. Ce choix architectural réinterprète les stabulations environnantes en introduisant une trame régulière et légère. La charpente en bois local intègre une coursive orientée au sud, optimisant les apports solaires thermiques en toute saison.

Le confort thermique est en outre assuré par un puits canadien provençal couplé à une ventilation double flux passive. L’ancienne charpente et des briques de terre cuite ont été réemployées pour renforcer l’inertie intérieure, démontrant que rénovation et innovation peuvent aller de pair.

Non loin de là, dans le massif des Churfirsten, en Suisse, les architectes de Herzog & de Meuron ont offert une seconde vie à la station de téléphérique de Chäserrugg, datant des années 1970. Cette structure métallique générique, ancrée sur des fondations en béton, a été métamorphosée grâce à l’ajout de façades en bois et d’un nouveau volume arrière abritant un restaurant panoramique spectaculaire. Privilégiant des matériaux locaux, les éléments en bois ont été préfabriqués dans la vallée et assemblés sur place en un été. Le choix exclusif du bois, motivé par une volonté d’honorer les traditions locales, confère au bâtiment une expressivité plastique remarquable. Ces deux projets illustrent la pertinence du bois dans les grands débats actuels sur la construction durable. Qu’il s’agisse de préserver un patrimoine rural ou de réinventer une station alpine, ce matériau se révèle être un puissant vecteur de transformation architecturale.

Économie circulaire : le bois en réinvention

En parallèle des efforts pour préserver le bâti existant, la question du recyclage et du réemploi du bois s’impose comme un enjeu majeur. Le recours au bois récupéré ou recyclé offre une réponse efficace à la réduction de la demande en bois neuf, permettant de préserver les ressources naturelles tout en limitant les déchets de construction. Ce processus contribue également à atténuer l’impact environnemental de l’exploitation forestière, en réduisant les émissions de carbone, les risques pour la biodiversité et l’érosion des sols.

L’exemple de la pergola du village de Luotuowan, dans la province de Hebei en Chine, conçue par le studio LUO, illustre parfaitement cette démarche. Réalisée à partir de bois provenant de maisons démantelées, elle exploite des tiges de tailles variées pour l’ossature de l’abri. Plutôt que de retravailler le bois, les concepteurs ont pris en compte les variations de longueur, ajustant ingénieusement la position de chaque pièce. Une initiative renforcée par l’implication des villageois eux-mêmes dans les travaux, ajoutant une dimension communautaire et locale au projet.

À Londres, l’extension de la bibliothèque de Lea Bridge, réalisée par
Studio Weave, adopte une approche similaire. En priorisant la réutilisation des matériaux existants, le projet a intégré des panneaux et des mobiliers issus d’arbres abattus dans les rues et les parcs publics, tels que platanes, peupliers, sycomores et frênes. Cette diversité d’essences, conservant leurs variations de teinte naturelle, confère à la structure une grande richesse plastique.

Atelier du Pont Architectes, Pavillon Jardins, Paris La Villette © Charly Broyez

Potentiel et défis de l’économie circulaire du bois

Les perspectives pour l’économie circulaire du bois sont prometteuses. La préfabrication et l’assemblage modulaire, largement répandus dans la construction bois moderne, pourraient favoriser le réemploi de modules entiers, d’éléments structurels ou de composants spécifiques. Les assemblages à sec, majoritaires dans ce secteur, sont réversibles, permettant un démontage sans perte de valeur, une caractéristique qui distingue le bois des autres matériaux de construction. Cependant, des limites subsistent. Actuellement, seule une petite fraction du bois usagé est réutilisée dans la production, principalement pour des panneaux de particules. Le reste, destiné à des usages thermiques, est souvent brûlé après son utilisation initiale. Cette approche gaspille une ressource précieuse qui pourrait être exploitée de manière plus efficiente. Le concept d’un emploi « en cascade » du bois, consistant à maximiser son utilisation à chaque étape de sa transformation, reste encore largement sous-exploité. Pour répondre aux défis environnementaux actuels, il est essentiel de valoriser pleinement ce potentiel et d’encourager des pratiques de réemploi systématique dans la filière bois. Une transition qui pourrait transformer le bois en véritable modèle d’économie circulaire.

Entre promesses et contradictions

Le bois, matériau à la fois ancestral et contemporain, s’inscrit aujourd’hui au cœur des débats sur l’architecture durable. Si son utilisation semble répondre à une quête d’écologie et de responsabilité, ce renouveau n’est pas exempt de paradoxes. Porté par des techniques nouvelles et des avancées dans la préfabrication, le bois explore des territoires que l’on n’aurait pas imaginés il y a encore quelques décennies : gratte-ciels, infrastructures massives, ou encore constructions modulaires adaptées à des besoins flexibles. Ce regain d’intérêt redéfinit le leadership mondial, éclipsant même les Scandinaves, longtemps considérés comme les maîtres incontestés du matériau. Cependant, ce boom du bois soulève des questions complexes. D’abord, celle de son approvisionnement. Alors que le discours met souvent en avant l’idée d’une ressource locale et renouvelable,
la réalité est parfois bien différente. Dans certains projets, le bois est importé, parcourant des milliers de kilomètres avant d’être mis en œuvre, ce qui dilue largement son intérêt écologique. Ce manque de cohérence entre ambition environnementale et traçabilité interroge : à quel point peut-on encore parler d’une démarche durable lorsque l’empreinte carbone liée au transport ou à la transformation devient significative ? Ensuite, il y a le risque d’une surconsommation du bois, motivée par un effet de mode plus que par une réelle adéquation technique ou environnementale. La maîtrise d’ouvrage, désireuse de projeter une image vertueuse, cède parfois à l’instrumentalisation du matériau. Cela peut mener à des constructions « vitrines », où le bois devient un symbole plus qu’une solution réfléchie et contextuelle. Si ce phénomène permet de faire évoluer les mentalités, il peut aussi alimenter une dérive où le bois est utilisé là où d’autres matériaux seraient plus adaptés, en termes de coût, de performance ou de durabilité. Un autre point polémique concerne la réglementation. Alors que le bois est souvent mis en avant comme une réponse aux impératifs bas carbone, les règles d’encapsulation imposées dans certains contextes, notamment en résidentiel, neutralisent parfois ses bénéfices. Le recours à des traitements ou à des couches protectrices peut alourdir son impact environnemental, tout en limitant sa capacité à valoriser ses propriétés intrinsèques comme la respiration ou la régulation hygrométrique.
Enfin, il ne faut pas oublier les enjeux sociaux liés à ce matériau.
La filière bois pourrait devenir un levier économique puissant, notamment pour les zones rurales où la sylviculture et la transformation locale pourraient redynamiser des territoires en déclin. Toutefois, cela suppose un engagement clair en faveur de la formation, de la revalorisation des métiers manuels, et surtout d’une régulation stricte pour éviter une
exploitation excessive des forêts françaises et européennes.

Vers une vision nuancée de l’avenir

Pour que le bois tienne réellement ses promesses, il faut dépasser les simples discours et aborder le matériau avec pragmatisme. Cela signifie s’interroger en profondeur sur la pertinence de son utilisation dans chaque projet, favoriser les circuits courts, et encourager une économie circulaire du bois à travers le réemploi et la réparation des structures. De plus, il devient crucial de sensibiliser les acteurs du bâtiment à une utilisation juste et ciblée, en intégrant le bois comme une solution parmi d’autres, et non comme une panacée universelle. Le bois ne doit pas être le seul matériau de la transition écologique, mais il peut en être une pièce essentielle, à condition que son emploi reste ancré dans une réflexion locale et durable. Dans un monde en quête de solutions face à l’urgence climatique, il est temps d’abandonner l’idéalisation naïve pour une approche équilibrée, où chaque matériau trouve sa juste place.

Par : Sophie Trelcat
Visuel à la une : Atelier du Pont Architectes, Pavillon Jardins, Paris La Villette © Charly Broyez

— Retrouvez l’article dans Archistorm 130 daté janvier – février 2025

Réalisation | Hôtel Bouchu dit d’Esterno, Dijon — Fabien Drubigny architecte et BQ+A

Donner un avenir à son histoire. La formule prend des allures de symbole quand il s’agit de retracer le destin de l’hôtel particulier Bouchu dit d’Esterno, joyau du XVIIe siècle entré dans le patrimoine de la Ville de Dijon en 1884, qui vient d’être entièrement réhabilité en vertu de la décision unanime des 50 États membres de l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin (OIV) de valider la proposition faite par la France de transférer leur siège de Paris à Dijon.

La fabrique du projet

Présente à Paris depuis sa fondation en 1924, l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin s’installe dans le cœur historique de Dijon pour ouvrir son deuxième centenaire, dans l’Hôtel Bouchu dit d’Esterno du XVIIe siècle restauré par la Ville. L’OIV est une organisation stratégique intergouvernementale en charge d’harmoniser le secteur mondial de la vigne, du raisin et du vin. Elle participe à relever les défis environnementaux et économiques que le monde vitivinicole doit relever dans le futur pour offrir aux 50 pays membres, producteurs et consommateurs, des informations qui permettent le développement des réglementations, la réduction des obstacles au commerce, la promotion d’une production durable et la protection des consommateurs.

À la recherche d’un nouveau siège plus vaste, adapté à ses besoins, à ses missions, à son ambition et à son rayonnement, confrontée à la pression foncière de la capitale, l’OIV s’en remet à la France, l’État hôte en vertu d’un traité international, pour lui proposer un lieu prestigieux. Le Bordelais, la Bourgogne, la Champagne concourent, plus précisément Bordeaux, Dijon, Reims qui offrent tous des lieux d’exception. Sur une analyse argumentée du comité de pilotage technique – l’OIV et trois ministères : Finances, Agriculture, Affaires étrangères –, le gouvernement français propose que Dijon accueille le siège de l’OIV dans l’hôtel particulier Bouchu dit d’Esterno en engageant les études pour sa réhabilitation, proposition ratifiée à l’unanimité des 50 États membres de l’OIV.

« La nouvelle qualification de l’Hôtel Bouchu dit d’Esterno comme siège de l’OIV vise plus que jamais à promouvoir l’héritage culturel de la vigne et du vin et à doter ses acteurs publics d’un outil innovant, favorisant l’éducation, la connaissance et le dialogue universels. »
—  François Rebsamen, maire de Dijon et président de Dijon métropole

Dans le respect des siècles passés

Préalable obligatoire pour relever le défi posé par l’Hôtel Bouchu dit
d’Esterno : associer des architectes qui partagent une culture, des méthodes de travail et une longue expérience. Fabien Drubigny, architecte du patrimoine, de Fabien Drubigny architecte, et Bernard Quirot de BQ+A répondent point pour point à ce prérequis au nom d’une complicité fondée sur des collaborations antérieures au contexte patrimonial prédominant :  la création de la Maison de santé de Vézelay dans l’Yonne, Équerre d’argent 2015, et la réhabilitation-restructuration de la DRAC Bourgogne-Franche-Comté à Dijon. L’autre force réside dans la constitution d’une équipe familière de spécialistes uniquement régionaux en réponse à la réactivité nécessaire au suivi du chantier et à la tenue des délais.

Les partis pris de la restauration sont multiples avec à l’intérieur le rétablissement des volumes intérieurs – décloisonnement des espaces, aménagements de salles et de bureaux, attention portée aux circulations avec prise en compte des personnes à mobilité réduite, etc. –, et, à l’extérieur, la redécouverte de la silhouette d’époque classique et le réaménagement du jardin. Côté cour, l’ambition passe par redonner l’élévation telle qu’elle devait apparaître au XVIIe siècle avec ses hautes toitures d’ardoises aux faîtages décorés. Côté jardin, la façade très modifiée retrouve son état de la seconde moitié du XVIIIe siècle avec la suppression de la galerie construite en 1929 et la mise en place d’un enduit ocre-jaune, en vogue à l’époque.

Sur un plan concret, la conception entend limiter les interventions lourdes sur le patrimoine, tandis que la bonne connaissance des services
patrimoniaux régionaux – archéologie, bâtiments de France, monuments historiques – est une source de fluidité dans les obligatoires négociations. Enfin, l’équipe de maîtrise d’œuvre défend « qu’un bon projet a pour condition des échanges fréquents avec la maîtrise d’ouvrage et les utilisateurs » et se dit « prête à le construire ensemble ».

Plus que pour d’autres projets, le parti pris initial couvre l’architecture, le patrimoine, le fonctionnel et la technique intimement liés, respect d’un hôtel particulier oblige. Construire des salles techniquement exigeantes plutôt que les insérer dans le bâti existant limite les interventions sur le bâti historique ; ce qui réduit le temps de chantier et les coûts, et facilite l’acceptation du projet par la tutelle des Monuments historiques et des Bâtiments de France. La démolition de l’avancée construite en béton armé en 1929 par Georges Parisot en façade sud sur jardin restitue le bâti originel, clarifie les fonctions et renforce la luminosité des salons. Cette façade arrière principale retrouve son lustre, les salons leur disposition d’origine, espace de transition entre les deux ailes et large accès sur la terrasse nouvelle.

Habiller de façade bois les anciennes cours intérieures de l’ex-crèche accolée au corps principal de l’Hôtel Bouchu dit d’Esterno relève de la cohérence avec les constructions à colombage du centre historique de Dijon. Se joue aussi ici un effet de contraste avec le monument en pierre, sans négliger la qualité et la rapidité que procure la fabrication en atelier de la structure et des façades.Les combles du bâti historique restent vierges de toute fonction : pour dépasser les 8 m, ils devraient alors répondre à nombre de contraintes réglementaires avec le risque d’oblitérer le respect du patrimoine, sans parler des délais et des coûts.

Un passage en sous-sol facilite l’organisation des réceptions et permet la discrétion des livraisons au niveau de l’office et du restaurant. La cour sur la rue Monge retrouve son statut de cour d’honneur. Les circulations verticales bénéficient de la conservation de petits escaliers situés dans les extensions du XVIIIe siècle et de l’escalier hélicoïdal plus difficile à dater, ainsi que de la construction d’un escalier circulaire dans la travée centrale du corps de bâtiment principal et d’un ascenseur. La décoration historique des pièces en rez-de-chaussée, largement reprise et repeinte au fil du temps, est simplement conservée après un nettoyage expert. Enfin, une nouvelle construction s’intègre sous la terrasse entre les deux ailes en retour côté jardin pour héberger un amphithéâtre à éclairage zénithal.

La conception, qualifiée de disruptive par les architectes familiers de ce type de pas de côté, permet au bâtiment d’imposer sa géométrie en H avec la cour d’honneur, très parisienne dans sa mise en scène, la pureté de ses façades et sa relation avec le jardin. Un choix fort d’une efficiente et respectueuse originalité qui remet en pleine lumière cet hôtel remarquable.

Le quartier Monge requalifié dans le même élan

Depuis le début des années 2000, la Ville a engagé un plan d’aménagement et d’apaisement de l’espace public qui, porté par la piétonisation des emblématiques place de la Libération et rue de la Liberté ainsi que par le retour du tramway, irrigue presque tout le site patrimonial remarquable (ex-secteur sauvegardé). Co-conçue par l’agence Stoa et les services Urbanisme et Espace public de Dijon métropole, la requalification de l’axe Monge-Bossuet en 2024 vient comme conclure cette stratégie vertueuse d’un meilleur partage de la rue, tout en offrant un écrin embelli à l’Hôtel Bouchu dit d’Esterno restauré.

Un point de départ, la Cité Internationale de la Gastronomie et du Vin à la porte d’Ouche, un point d’arrivée, la rue de la Liberté, des éléments structurants, la placette Crébillon, le parvis Saint-Jean et la place Bossuet. Clin d’œil historique vitivinicole, ce parvis face au siège de l’OIV n’est autre que le lieu où se tenait au Moyen Âge l’Estape, alors le marché au vin, en gros et en détail le plus important en Europe, contribution au rayonnement du patrimoine viticole de Dijon et de la Bourgogne.

Le chantier Monge-Bossuet cause de fortes sujétions aux transports publics et privés, riverains et commerçants, et à la collecte des ordures ménagères. Sans parler de l’accès au chantier de restauration de l’Hôtel Bouchu dit d’Esterno. Cet embellissement d’une grande sobriété minérale favorise le réemploi des matériaux, entraîne l’apaisement de l’espace public, optimise les déplacements cycles et piétons avec un élargissement des trottoirs conjoint à la neutralisation de 27 places de stationnement. Parfois interrompue pendant les travaux, la circulation automobile est désormais réduite à une file place Bossuet ; elle préserve l’accès au parking Dauphine, le libre passage des bus du réseau Divia et la traversée sud-nord du centre-ville en direction de la gare. L’aménagement conserve également neuf places de livraison et trois places pour les personnes à mobilité réduite.

Cependant, nul projet urbain contemporain sans attention portée à la lutte contre l’effet d’îlot de chaleur – qui plus est dans le cœur historique par nature très minéral de Dijon –, avec la végétalisation liée à la plantation d’environ 70 arbres et à la désimperméabilisation de la place Bossuet. Plus d’un hectare d’espace public est aujourd’hui infiltré directement à la source.

© François Weckerle / Ville de Dijon

Une rencontre entre une façade et un jardin

Une symétrie axée sur la façade, une broderie végétale composée de massifs et bordée par des allées, un cadre fermé par un rideau haut de charmilles résument la conception du jardin de l’Hôtel Bouchu dit d’Esterno.

Confrontée à l’impossibilité de reproduire l’histoire, l’intervention végétale, largement anticipée dès le démarrage du chantier, privilégie de nouvelles perspectives fondées sur la rencontre entre la façade d’un hôtel du XVIIe siècle et un jardin. La symétrie centrale, simple, axée sur le bâtiment, installe le jardin clos de murs comme une pièce supplémentaire, construction horizontale évidente à la végétation étagée commandée par l’ordre vertical architectural.

Cet axe traverse une broderie végétale composée de quatre massifs – ils comptent pour autant d’espaces de réception potentiels – et bordée d’allées de terre-pierre. Un dialogue contrasté s’organise entre une succession de haies d’osmanthes taillées – un arbuste persistant et parfumé – et une collection de plantes vivaces. Cet index végétal renvoie aux conditions de vie de la vigne. Un rideau haut de charmilles percé de contre-allées ferme la composition générale. Contourner cette quasi-marquise aboutit à la chambre des ifs dédiée au stationnement et à une aire de livraison sans confrontation avec les parties piétonnes et les proportions du jardin d’origine. Des tapis végétalisés de pavés en comblanchien – la limitation des zones pavées préserve l’entière perméabilité du site et lutte contre les îlots de chaleur – scandent la géométrie dessinée.

Ces seuils marquent les entrées et les séquences majeures de la composition. Ce plan anticipe d’évidentes contraintes pour éviter les affouillements, cause de retard dans le chantier, préserver des atteintes le système racinaire des arbres en place et préserver les vestiges archéologiques.

Dans la compréhension du bouleversement climatique, une attention particulière se porte sur la facilité d’entretien, la persistance et la résistance à la sécheresse synonyme de la sobriété de l’arrosage une fois les plantations exécutées, voire de l’absence d’arrosage avec des plantes vivaces ad hoc et une végétation xérophyte particulièrement résistante à l’aridité. Autre signe des temps, les plantes spontanées sont les bienvenues pour participer à la composition générale et amener de la diversité. La floraison odoriférante du jardin s’étale de février à septembre avec son apogée en juin-juillet. Enfin, en cas de pluies abondantes, l’assise du jardin entièrement perméable, l’absence totale d’élément en béton et un système de pentes invisibles dans les massifs garantissent la récupération de l’eau sans dommage.

Entretien avec Luigi Moio, président de l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin

Il y a peu d’exemples qui voient une organisation intergouvernementale quitter Paris. Pourquoi une telle décision ?

À la différence d’autres organisations intergouvernementales, l’OIV n’a jamais été propriétaire de son siège et a donc été tributaire d’un changement de destination de l’immeuble qui abritait son siège rue d’Aguesseau à Paris depuis un quart de siècle. Cette éviction nous a contraints à quitter en 2019 un hôtel particulier avec salles de réception, jardin et caves pour des volumes classiques de bureaux qui ne correspondaient plus aux besoins ni au statut de l’OIV. Pau Roca, directeur général de l’OIV de 2019 à 2023, a donc sollicité la France, État hôte du siège, afin qu’une solution pérenne et adaptée soit proposée aux États membres de l’OIV pour les cent ans de l’Organisation en 2024.

Entretien Fabien Drubigny, fondateur de Fabien Drubigny architecte

Comment la collaboration Drubigny / BQ+A est-elle née ? Pour quelles raisons avez-vous répondu ensemble au concours de l’OIV ?

Notre collaboration s’est faite de manière naturelle et spontanée. J’ai collaboré de 2010 à 2015 avec Bernard (Quirot) et Alexandre (Lenoble) dans leur agence de Pesmes et j’y ai, pour ainsi dire, appris le métier. Au moment de l’appel à concours, la SPLAAD réclamait que l’architecte mandataire soit architecte du patrimoine, ce que je suis depuis 2016.
Nous sommes un petit bureau et nous n’étions pas, à nous seuls, armés pour répondre à une telle opération. L’agence BQ+A était, elle, rodée à cet exercice et à cette échelle de projet. Elle avait notamment, dans ses références, la restructuration des locaux de la DRAC Bourgogne-Franche-Comté à Dijon, abritée dans deux très beaux hôtels particuliers classés, et à laquelle j’avais activement participé lors de mon passage à Pesmes.
Notre candidature commune coulait de source. Elle fut même, d’une certaine manière, un retour aux sources. Elle fut surtout l’occasion de retrouvailles amicales et joyeuses.

Entretien Sébastien Fleury, P.-D.G. de l’entreprise ADECO Menuiserie en Monument Historique

Que retenez-vous de votre intervention à l’OIV ?

En avril 2023, nous avons eu l’heureuse surprise d’être retenus pour la réalisation du lot menuiseries extérieures bois patrimoine. Cette prestation inclut la restauration de menuiseries – trois fenêtres type XVIIe de la cour d’honneur, qui, après étude, sont le modèle de fabrication pour toutes les menuiseries XVIIe du chantier, la porte cochère et la porte d’entrée de l’ancienne crèche, les deux impostes bois et vitrées des deux portes du perron – et la fabrication de menuiseries neuves – fenêtres, portes-fenêtres et volets intérieurs de types XVIIe et XVIIIe, portes d’écuries, porte d’entrée, portes à lames verticales, l’ensemble intégrant trois châssis de désenfumage, la fourniture et la pose de stores à projection.

Fiche technique

Maîtrise d’ouvrage : Ville de Dijon
Mandataire du maître d’ouvrage : SPLAAD
Maîtrise d’œuvre : Fabien Drubigny architecte, mandataire, BQ+A, associé
Utilisateur : OIV
Entreprises (liste non exhaustive) : Adeco 25, DROZ Électricité, GCBAT Côte d’Or

Par : Pierre Delohen
Visuel à la une : ©
François Weckerle / Ville de Dijon

— Retrouvez l’article dans Archistorm 130 daté janvier – février 2025

Hospitality | L’hôtel des Horlogers BIG, CCHE et Pierre Minassian AUM architectes

Racheté il y a vingt ans par Audemars Piguet, l’Hôtel des Horlogers vient d’être reconstruit par l’agence danoise BIG et sa consœur helvétique CCHE, déjà co-auteurs de la très récente rénovation-extension en Musée Atelier de la manufacture horlogère voisine, berceau de la célèbre marque de luxe. L’aménagement proposé par le Lyonnais Pierre Minassian est tout aussi atypique et inspiré que sa typologie architecturale.

Chronologie

Au pied de la partie la plus montagneuse de l’Arc jurassien la séparant de la France, la vallée de Joux avec son lac du même nom concentre depuis le XVIIIe siècle bon nombre de fermes horlogères ayant concouru à la renommée mondiale du Pays de Vaud et de la Suisse romande en matière d’horlogerie. Antoine LeCoultre y crée dès 1833 son atelier au Sentier, Jules-Louis Audemars, bientôt rejoint par Edward-Auguste Piguet, y ouvre le sien en 1875 au Brassus.

Dix-huit ans plus tôt, l’Hôtel de France avait ouvert ses portes dans ce hameau de la commune du Chenit, le service de Poste entre la France et Genève y faisant un relai. Reliant deux pôles horlogers helvètes majeurs, la route fut d’ailleurs baptisée Chemin des Horlogers ! Ravagé par un incendie en 1982, l’établissement reconstruit 24 mois plus tard avait conquis sa quatrième étoile. L’ayant racheté en 2003 (trois ans après sa cession au groupe de luxe Richemont), la firme Audemars Piguet décida en 2016 de le rebâtir afin que sa requalification puisse le mettre sur la même orbite que le Musée Atelier venu se greffer en 2020 à la manufacture, elle-même entièrement rénovée. Pour incarner l’engagement de la Manufacture à perpétuer la Haute Horlogerie dans la vallée de Joux et au-delà, cet espace d’arts vivants et de rencontres a pris la forme, sous le crayon de Bjarke Ingels, d’une spirale de verre sortant de terre pour supporter un toit d’acier de 470 tonnes. Son audace technologique fait référence aux « complications » caractérisant les innovations des « garde-temps » ayant fait la renommée de la marque.

Manipulations morphologiques

La démolition intégrale de l’ancien hôtel a donné lieu à un chantier de
dépollution complète du site. Cette tabula rasa ne pouvait déplaire à l’architecte scandinave dont les réalisations chamboulent – avec délectation – les canons classiques de sa discipline. Depuis deux décennies, il n’a de cesse de faire pivoter, vriller, basculer, translater, étager, incurver, dilater, compresser, évider, pixelliser… les volumes de ses édifices, modelant ainsi au fil du temps une architectonique identitaire tout à la fois pragmatique
et utopique.

Implanté dans le talweg du vallon, le nouvel hôtel ne laisse émerger en façade sur la rue principale traversant le Brassus que les deux étages supérieurs de ses cinq niveaux. « Grâce à son concept architectural avant-gardiste, le bâtiment suit la topographie de la vallée et épouse le paysage pour plonger les visiteurs dans l’environnement naturel du lieu, explique l’agence suisse. La structure est constituée de dalles qui s’avancent en zigzags vers la vallée et s’inclinent légèrement pour embrasser le relief et créer un chemin continu dans la pente. Ce concept appréhende le site comme une succession de crêtes montagneuses descendant la colline, où les blocs du bâtiment deviennent une série de bermes bordées d’arbres et de végétaux variés. »

Si ce dispositif prive les cinquante chambres de balcons, il leur offre l’intimité nécessaire par rapport au sentier extérieur via ses parterres triangulaires, de sublimes vues intégrales sur la vallée et la forêt du Risoud sur le versant opposé, d’inattendus puits de lumière dans les salles de bain des douze suites. Difficile d’imaginer l’ensemble des contraintes à résoudre pour fluidifier son fonctionnement général, à commencer par les circulations en pente douce distribuant les habitations. Bar, restaurants, fitness, espace de séminaire investissent ingénieusement les pignons. Le parement de mélèze grisé de la devanture côté village alterne bardage vertical, claustra horizontal et marquise.   

© Christophe Voisin

AUM sweet home

Lorsque Pierre Minassian s’est vu confier l’aménagement de l’hôtel – sa construction étant achevée depuis plusieurs mois –, celui-ci n’était encore qu’une coquille vide. « Notre projet d’aménagement a cherché à exploiter tout le potentiel d’un bâtiment en béton brut à la structure remarquable qui s’inscrit dans un site fortement marqué sur les plans topographique et géologique, afin de l’articuler à un concept d’expérience hôtelière unique et emblématique dont tous les détails ont été pensés, qu’il s’agisse de lumière, d’ergonomie, d’ambiance, d’acoustique, de confort ou de bien-être. Les produits standard ont été écartés afin de trouver les formes et les matériaux justes en accord avec le lieu pour une composition architecturale vraie. »

Le Jura et la vallée de Joux ont inspiré au concepteur un univers onirique. Évoquant la proximité du lac, une grande vasque précède l’entrée dans l’impressionnant lobby dont la hauteur sous plafond se dilate au gré des emmarchements et des plans inclinés qui le sculptent. D’étranges troncs d’arbres écorcés inversés s’échappent du plancher haut tel un système racinaire, de longilignes luminaires fongiformes en acier douchent l’oblongue banquette en strates de chêne clair multiplis qui se mue en banque d’accueil. En poursuivant l’ascension, le client découvre un bar cathédral dont la marqueterie du comptoir s’anime de lignes de crêtes que suggèrent également les nœuds des cordages habillant ses murs, tandis que les suspensions en résine semblent évoquer des montagnes évidées ou des lacs renversés. Un niveau en dessous, ces dernières éclairent aussi le restaurant à l’ambiance plus glaciaire – sans être pour autant glaciale – avec ses enrochements de marbre super white Calacatta bouchardés façon glacier, ses banquettes immaculées ressemblant à des moraines, ou encore son sol en granit. De graciles lampadaires disséminent ici et là leurs abat-jour noirs très fifties.

Imaginées comme autant de cadres gradinés depuis la vallée, les cinquante chambres déclinent une identité commune : refends en béton brut, parquet, faux-plafond et mobilier bois, quatre pétales en Corian® en guise de plafonniers, portes de penderies en panneaux acoustiques micro-
perforés imprimés cimes, sérigraphie de carte topographique sur les miroirs habillant les salles d’eau. Les suites profitent des impostes vitrées en façade générées par le gradinage pour éclairer naturellement leurs salle à manger et salle de bain cathédrales bien qu’étant en fond de volume.

Un bien beau voyage dans le Temps !

Par : Lionel Blaisse
Visuel : © Maris Mezulis

— Retrouvez l’article dans Archistorm 130 daté janvier – février 2025

Création | Le design en voyage

C’est à Saint-Étienne, dans la Cité du design en pleine mutation, où se multiplient écoles, galeries, laboratoires créatifs et nouvelles hospitalités, en marge de la Biennale internationale, que vient de se poser le programme d’expéditions Ceramic & Food Route, le temps d’une exposition. Lumière sur ce nouveau format de design nomade et expérimental.

Elle voulait « créer une école sans adresse », elle a co-fondé la plateforme International Design Expeditions (IDE). Enseignante à l’école Camondo, Mathilde Bretillot poursuit son parcours pluridisciplinaire, entre design, architecture intérieure et scénographie. Initié en 2019, Ceramic & Food Route est le premier programme organisé par IDE. Rapprochant la nouvelle garde de designers avec des artisans céramistes et des chefs traditionnels, ce rendez-vous en terres inconnues repousse les frontières de la création. Cinq ans après son lancement, la Cité du design rassemble dans une exposition immersive près de 150 objets nés au fil des rencontres en Italie, en Pologne, en France, au Cambodge et en Suède. Melting pot culturel et sociologique, ces réalisations explorent de nouveaux territoires créatifs, à la croisée des arts et des arts de vivre profondément enracinés dans notre histoire.

Terre nourricière

Le feu, la terre, la nourriture, sont les trois ingrédients clés du processus de co-création. Gardienne immuable des saveurs et des arômes, la céramique résiste à l’épreuve du feu et du temps. Dans chaque village où il nous est donné d’aller, il y a un four et du pain. Ce pain, métaphore de transformation, que l’on pétrit, moule et cuit comme l’argile. À Grottaglie, petite ville des Pouilles, les fours millénaires subsistent encore. C’est sur cette terre d’abondance en la matière que Pierangelo Caramia, membre actif d’IDE originaire de la région, a conduit les premiers ateliers au sein de « Bottega » traditionnelles. Ainsi, la Française Lili Gayman s’est inspirée de céramiques dauniennes pour dessiner des décors géométriques dans une polychromie contrastée. Montées sur une base tournée, ses carafes coiffées de cols, modelées dans des formes zoomorphiques, témoignent de la mixité des techniques et des influences. Sensible à la dolce vita, la designer polonaise Marta Bakowski a, quant à elle, réinterprété la palette des paysages italiens à travers des émaux solaires, reflétant les teintes chaudes des champs de blé et des oliveraies.

Human, Non Human Drinker, Alicja Patanowska, IDE CAMBODIA © Cruise media

Académie du goût

Fruits de la terre, les aliments emblématiques, liés aux rituels culinaires des terroirs, occupent une place centrale dans la démarche des designers. La gradation texturée d’un vase évoque au duo Japandi, formé par Mio Hatakenaka et Anna Lindell, l’appétissant pétiole de rhubarbe, plante vivace qui peuple les jardins suédois. La dégustation du précieux caviar sur le dessus de la main souffle à l’artiste chinois Zhuo Qi un bijou de céramique chic et ergonomique doré à l’or fin… Partout, les us et coutumes guident la recherche de formes contemporaines. Au point d’insuffler des coupelles développées spécifiquement pour le Food Tail. Le mets à boire et à croquer composé par Marc Bretillot, designer culinaire de toutes les expéditions, combine pomme de terre, caviar et vodka. Un choc gustatif tout droit sorti de l’imaginaire polonais.

Bouillon de cultures

La polyvalence élégante des objets bien pensés hérite çà et là d’une
architecture et d’une nature fantasmées. Parti de l’observation de l’environnement, Pierangelo Caramia a imaginé un archipel de coupelles à salades reliées par un îlot central en hommage aux milliers d’îles et de ponts que possède le comté du Sörmland, à proximité de Stockholm. Symbolisant la légèreté de la gastronomie cambodgienne, Alicja Patanowska, designer céramiste, a monté un vase sur des baguettes faisant office de pilotis, clin d’œil aux maisons typiques de l’architecture khmère. Ou encore un abreuvoir à insectes pollinisateurs au sein duquel l’eau s’accumule dans de petites cavités, dispositif anti-noyade dont la texture rappelle la roche de lave poreuse utilisée pour construire les temples d’Angkor Wat.

Slow food, slow design… Chaud devant !

Sourcing local, transmission des savoir-faire, engagement sociétal et
environnemental positionnent chacune des expériences en faveur d’un monde plus durable et respectueux du vivant. Quand l’appétence pour une cuisine inventive, libre, conviviale, écologique et moins protocolaire grandit parmi les générations actuelles. « Dans un monde où tout va trop vite, où des objets vides de sens s’accumulent, il m’importe d’emprunter

à différentes cultures et civilisations pour créer des objets porteurs d’émotions, de liens culturels, d’un héritage entre passé et présent », témoigne Lili Gayman. Couleurs, motifs, textures, formes, saveurs et autres références tacites saisies en immersion génèrent un autre langage. Le résultat est toujours une surprise révélée lors d’un événement culinaire réunissant artisans, designers et convives pour une dégustation.

Boîte, Pierre Emmanuel Coquet, IDE COGNAC © IDE

Une part d’humanité

À travers une scénographie inédite, conçue comme autant de palais des sens à l’effigie des cinq destinations, Ceramic & Food Route invite au voyage. Kaléidoscope d’émotions, le parcours mobilise différentes performances et divers médiums autour de la thématique soulignant une certaine forme de résilience face aux savoir-faire oubliés et à l’homogénéisation ambiante. Objets, recettes, illustrations, photos, courts-métrages, musiques et sons, et en particulier le récit des expériences, se font l’expression de la relation étroite entre les territoires, la culture et le design. L’extrémité de la grande table, qui siège au centre de l’exposition, est restée volontairement libre. Elle accueillera les étudiants de l’École supérieure d’art et de design de Saint-Étienne (Esadse) et de l’École hôtelière Renouveau pour des workshops pédagogiques in situ. La soif de découverte et de partage ne tarit pas.

Par : Juliette Sebille
Visuel à la une :
Vase lichen, Emmanuelle Roule et Anna Lindell, IDE TO SWEDEN 2024 © IDE

— Retrouvez l’article dans Archistorm 130 daté janvier – février 2025