RÉALISATION

 

En plein cœur du campus, la nouvelle bibliothèque universitaire, greffée sur l’ancienne, a été conçue de manière subtile par l’architecte Bernard Ropa. Sa morphologie complexe, en adéquation avec le contexte spécifique du site, en fait une pièce architecturale majeure qui, faisant écho au bâti existant de qualité, doit faire évoluer ultérieurement les usages pratiqués et les disciplines enseignées.

Implantée en lisière du campus de l’université Paris-XIII à Villetaneuse (93) et le long du tramway T8, la nouvelle bibliothèque universitaire porte le nom d’Edgar Morin, un brillant sociologue, philosophe et penseur qui, venu inaugurer l’équipement culturel le 28 mars 2018, a déclaré : « Voici la vertu de cette bibliothèque. Elle vous rend libre. Je lui souhaite bon vent ! » Installée dans le nord de Paris, cette université pluridisciplinaire a été conçue à l’origine en 1966, par les architectes Adrien Fainsilber et son associée islandaise Hogna Anspach. Sorti de terre au début des années 1970, le campus initial a été édifié suivant les préceptes de l’architecture industrielle, à l’aide d’un système constructif à poteaux-poutres préfabriqué en béton apparent monté au moyen de grues. Imaginé par l’agence Ropa & Associés architectes, ce nouvel équipement public, en résonance avec l’architecture en place, a la particularité d’être une extension de la bibliothèque existante de deux étages datant des années 1970 (50 x 46 m) et de s’enrouler autour de celle-ci. Ce qui a représenté un vrai défi technique, car pour respecter le programme initial, les planchers ont été bâtis à la même hauteur que ceux du bâtiment existant, dans la perspective d’opérer une continuité entre les deux ouvrages. Mais pour une question sécuritaire, les deux bâtiments restent pour le moment dissociés. L’autre difficulté du site tient à la forme du terrain présentant un étranglement en son centre, compliqué à utiliser : si l’aile ouest mesure 32,50 m  d’épaisseur et l’aile sud 21,40 m, le développé de la façade urbaine s’étire sur 134 m.

Escalier principal ouvert sur les plateaux

A ce sujet, l’architecte Bernard Ropa explique que « Les contraintes d’aménagement urbain génèrent une empreinte de construction dont le dessin en S est tout à fait singulier. Il vient refermer le volume de la bibliothèque initiale et définir le contour de la nouvelle place publique. » En matière d’effectifs, la bibliothèque offre 869 places de consultation et peut accueillir jusqu’à 1 500 personnes, personnel compris. Côté organisation spatiale, l’accès à la bibliothèque dotée de trois étages s’effectue en façade principale ouest qui donne sur une place desservant également l’UFR DSPS (droit, sciences politiques et sociales) bâtie en 1975. Surmontée d’un ample porte-à-faux protecteur, l’entrée ouvre sur un hall équipé d’une banque d’accueil et conduit à une série de bureaux (administration, catalogage, etc.), à l’espace des périodiques libre d’accès, à des ateliers (catalogage, reliure, etc.), aux magasins de stockage des livres, à des vestiaires et blocs-sanitaires, et à des locaux techniques. D’autres locaux techniques (groupe froid, CTA, onduleur, sous-station de chauffage du campus, etc.) occupent un sous-sol partiel et suppriment ainsi toute émergence disgracieuse en toiture. Sachant que la bibliothèque, qui a hérité d’un fonds de littérature jeunesse éminent de 50 000 livres, offre à chaque étage des ouvrages spécialisés en: droit, économie, sciences sociales, philosophie, religion (R+1), histoire, géographie, sciences, psychologie, arts (R+2) et, littérature française et étrangère, BD (R+3) notamment.

L’équipement est identifiable par son imposant porte-à-faux, et par ses espaces internes éclairés la nuit et visibles de loin, à l’image d’un phare urbain.
© Luc Boegly

Un porte-à-faux en proue d’édifice

Eclairé zénithalement par trois sheds tournés vers le ciel, le volume d’accueil à quadruple hauteur abrite un escalier monumental à double volée en acier galvanisé permettant de faire communiquer entre eux les niveaux et de proposer une fluidité de parcours pour les usagers et le personnel. « Un atrium développe son volume sur toute la hauteur du bâtiment, autour de l’escalier principal et propose aux lecteurs un parcours attrayant pour franchir les niveaux. », précise Bernard Ropa. Sécurité incendie oblige, cet escalier, fermé sur deux côtés par des murs percés d’ouvertures, a nécessité la mise en place de vitrages et rideaux coupe-feu réglementaires. A la charnière des deux ailes, se glisse un patio vitré et planté (21 x 13 m) qui, outre son rôle d’éclairement, est paré d’une treille en ossature de métal vouée à faire grimper de la végétation. Complétée par trois ascenseurs et quatre escaliers de secours, cette circulation verticale innerve les plateaux, comme les premier et second étages, où se déploient, dans les deux ailes, des salles de lecture, des espaces de travail diversifiés pour étudiants, des points de renseignement et des sanitaires. En couronnement de l’édifice, le troisième étage à double hauteur présente une morphologie particulière liée à la toiture ondoyante et au porte-à-faux de 11 m de portée qui prolonge l’espace de consultation et de lecture, et offre une vue imprenable sur l’environnement. « La bibliothèque s’annonce par son volume du dernier niveau tel un périscope en porte-à-faux, comme une figure de proue du développement du campus et instaure un dialogue avec le forum, haut lieu de la vie des étudiants sur le campus. », ajoute l’architecte.

Une immense cimaise urbaine

Sur le plan de la structure et des matériaux mis en œuvre, le bâtiment a été construit avec un système à poteaux-poutres et dalles de béton, et en post-contrainte pour porter, en zone haute, le porte-à-faux : un procédé apte à faciliter l’évolution ultérieure des usages et des filières développés. L’édifice est enserré dans une façade continue qui épouse la limite de la propriété sur tout son développé. L’architecte remarque que « Par son gabarit et l’homogénéité de son développé de façade, la nouvelle BU affirme une échelle de grand équipement public et assume pleinement son rôle d’interface et de transition entre la ville environnante et l’université. » Rythmé selon une trame de 1,20 m de large se démultipliant, ce méga mur rideau à montants d’aluminium, -inséré dans une vêture en cassettes d’aluminium perforé-, est tamisé par une batterie de pare-soleil verticaux en acier Inox recuit brillant perforé de 4,10 m de haut. Ces lames, qui créent une épaisseur dans laquelle sont intégrées des passerelles de maintenance en caillebotis, produisent des variations de jeux d’ombres et de lumières au fil des heures. Le soir, l’ouvrage, dont les volumes éclairés transparaissent, ressemble à un phare visible de loin. De plus, il est repérable par sa dénomination en lettrage sculpté dans une épaisseur de béton lasuré d’une hauteur de niveau qui se déroule en socle et suit la ligne courbe du tram. Quant à sa toiture en forme d’hélice, réalisée en béton, elle a reçu un complexe végétalisé. Au final, cet équipement a été certifié « NF HQE Bâtiments tertiaires », niveau Très bon, pour ses performances en termes d’éco-construction, d’éco-gestion, de confort et de santé.

 

Ouverte sur une place, la cimaise vitrée de l’entrée (ouest) est surmontée d’un imposant porte-à-faux de 11 m de portée et 7,30 m de hauteur qui offre une réelle signature à l’équipement.
© Luc Boegly

Question à l’architecte Bernard Ropa:

Comment avez-vous abordé la conception de cette greffe complexe autour du bâtiment existant et au sein d’un terrain très contraint?

Nous souhaitions trouver une cohérence forte entre ces deux unités bâties à près de 45 années d’intervalle, en dépit de leurs différences architectoniques. Nous nous sommes attachés à maintenir une continuité formelle au bâtiment, malgré la configuration très contraignante de la parcelle prenant la forme assez bizarre d’un boomerang étranglé dans sa partie coudée.

Le développement géométrique du projet part de l’orthogonalité rigoureuse du bâtiment existant qui est prolongé dans le même gabarit pour se déformer progressivement en lignes courbes dictées par la limite parcellaire.

A ce mouvement continu en plan, répond un mouvement similaire en élévation. Le volume s’amplifie en s’affranchissant de l’orthogonalité et de l’apesanteur dans un porte-à-faux de plus de 10 m.

Ce travail sur la forme, outre qu’il confère au bâtiment une dynamique enthousiasmante, offre un supplément de volume utile au projet. Cette générosité spatiale nous a permis de créer, dans une grande fluidité de parcours, des espaces et volumes intérieurs diversifiés.

Il s’agissait également de réussir l’interface Université/Ville dans la seule séquence urbaine du campus, où le bâti s’aligne en continu sur la limite de l’espace public sans possibilité de connexion directe à celui-ci. Nous avons répondu à cela par une façade unitaire, une enseigne soubassement cyclopéen annonçant la bibliothèque universitaire en bordure de la nouvelle place urbaine-station de tramway, et par un matériau noble et vibrant, – l’acier inoxydable brillant -, valorisant à la fois l’université et le quartier, et dialoguant dans un jeu de reflets infinis avec le mouvement régulier des tramways.

Les quatre niveaux de la BU se déploient à partir de l’escalier principal éclairé zénithalement par trois sheds, le dernier niveau se prolongeant par un ample porte-à-faux protégeant l’entrée.
© Ropa & Associés architectes

Fiche technique

Maîtrise d’ouvrage : Conseil régional d’Ile de France
Maîtrise d’ouvrage déléguée : Saerp
Maîtrise d’œuvre : Agence Ropa & Associés architectes (mandataire), Bernard Ropa, architecte, avec Laurent Blondel, chef de projet ; Sogno Architecture, Françoise Sogno (mission mobilier)
Maîtrise d’œuvre mobilier : Françoise Sogno
A.S. Mizrahi : BET TCE, économiste
Tribu Energie : BET HQE
Cabinet Jean-Paul Lamoureux : BET acoustique
Entreprises : Lot 1 Bâtiment / Petit (gros œuvre, enveloppe, cloisons, finitions, VRD, espaces verts), avec le sous-traitant Alu-Design (enveloppe, façade) ; Lot 2 / Snef Clim (CVC, plomberie) ; Lot 3 / Blanchard (électricité courants forts et faibles) ; Lot 4 / Euro Ascenseurs (ascenseurs et monte-charges)
Surface totale SU : 6 477 m²
Coût des travaux : 14 M € HT

Texte : Carole Maillard
Visuel à la une : © Luc Boegly