Pulvérisée en archipel à la suite d’une terrible éruption volcanique aux environs de 1600 av. J.-C., Santorin est certainement l’île des Cyclades la plus photographiée. Elle véhicule ainsi et aussi nombre de clichés sur l’architecture vernaculaire cycladique que l’hôtellerie a longtemps caricaturée à loisir. Livré en 1987, le Santorini Image Hotel n’y avait pas échappé. Son rachat par YES ! Hotels Group a amené les deux agences athéniennes Divercity Architects et MPLUSM Architects à réinterroger la pensée moderniste cycladique. Rénové et agrandi, le NoUs Santorini émerge désormais du lot après un bain de jouvence architectural des plus vivifiants.

Mise en situation

Le Noūs Santorini est implanté juste à l’extérieur de Mesaria, village touristique idéalement situé à quelques kilomètres à peine de l’aéroport (à l’est) et du port d’Athinios, où arrivent tous les ferries au pied des falaises bordant la caldeira. Cette vaste baie intérieure  autour de laquelle se développe l’archipel occupe la chambre magmatique laissée béante par l’antique éruption. Le dernier séisme – du 10 janvier au 2 février 1956 – a fait 48 morts, 200 blessés, et a démoli plus de 2 000 habitations.

Le plan de sauvetage d’essence moderniste alors mis en place pour réparer les dommages dans les onze villages les plus sinistrés fut piloté par un jeune et talentueux architecte, Constantinos Decavallas. Mais l’indispensable équilibre entre l’ancestrale architecture vernaculaire (voûtes, dôme, chaux blanche et peinture bleue) en partie troglodyte et les volumes puristes blancs préconisés à l’époque par le mouvement moderne était des plus subtils, pour ne pas dire fragiles. D’un côté, la première a été détournée dans une néo-nostalgie aux allures de pastiches sans authenticité, de l’autre les seconds ont fini par devenir impersonnels et stériles.

Memos Filippidis – fondateur de MPLUSM Architects – s’est aussi intéressé à une autre tendance internationale de ces dernières années – le wabi-sabi – ayant trouvé un écho à Santorin, mais aussi en Grèce. Si les Grecs contournent systématiquement depuis des siècles la culture musulmane voisine, ils se montrent plus enclins à adopter celle de pays plus lointains, comme ce concept hédoniste japonais – apparu au XIIe siècle – prônant l’élégance dans le minimalisme et le retour à l’essentiel. Étymologiquement, wabi signifie la simplicité et sabi, l’usure naturelle due au temps. Selon Leonard Koren  : « Wabi-sabi est la beauté des choses imparfaites, impermanentes et incomplètes, c’est la beauté des choses modestes et humbles, c’est la beauté des choses atypiques. » Porteur de rusticité, il séduisit les Santorinois se l’étant approprié comme une évasion fantastique vers le rural, la mélancolie d’une originalité perdue, en contrepoint à l’environnement urbain organisé et épuré.

© Marianna Bisti

La beauté des choses atypiques

Il importait aux concepteurs de se départir de tout ce maniérisme folklorique de l’ancien Santorini Image tout en minimisant les démolitions complètes. Toutes les voûtes en toiture et les arches des loggias furent éradiquées, tant des bungalows que des petits immeubles hébergeant les chambres de l’ancien établissement, au profit d’une modénature immaculée plus épurée, plus anguleuse, pour ne pas dire plus tranchée à l’avant des premiers, mais ménageant habilement toute l’ombre nécessaire au bien-être méditerranéen. Les terrasses des chambres du rez-de-jardin jouissent ainsi d’un dais ajouré paré de makuti (chaume local en mini-bottes), tandis que les ébrasements asymétriques des baies de l’étage offrent de mouvantes ombres portées aux parois. La démolition des voûtes couvrant la circulation intérieure les desservant les a ouvertes sur le ciel tandis que des patios latéraux douchent de lumière naturelle celles du rez-de-chaussée et que des claustras intimisent tout en les ventilant les habitations.

En fait, un soin tout particulier a été apporté pour paysager l’ensemble des circulations, mettant à profit tant la topographie (plutôt pentue pour la parcelle en extension) que la minéralogie et la flore autochtones. Des murets souvent biais et diagonaux délimitent espaces communs/privés, des parterres plantés ou arborés s’immiscent dans le béton lavé des allées, ici un généreux pas-d’âne est encadré de deux bassins à ressaut en pierre volcanique ; pergolas, assises et bassins s’invitent dans votre déambulation quotidienne.

Alors que l’existant rénové se développe autour d’une nouvelle et vaste piscine, des restaurants et du pavillon d’accueil (reconstruit au centre du complexe), les nouveaux hébergements se déploient en amont et en contrebas du complexe bien-être, le choix ayant été fait de les dédoubler en deux rubans de part et d’autre d’un jardin. « Le penchant critique de la façade du spa devient iconique : geste architectural non provoqué et inutile, il arrive avec son superflu à quelque chose de gracieux, de luxueux. Cela peut nous rappeler les promenades errantes dans les villages cycladiques – ceci est encore plus prononcé par l’aménagement paysager dans le ravin du spa, une série de jardinières irrégulières qui évitent les lignes droites. De plus, on est tenté de dire que cette façade courbée avec sa descente douce (le toit s’abaisse vers l’eau peu profonde qui relie l’intérieur et l’extérieur) a quelque chose de féminin. »

Point de fusion entre influences modernes et wabi-sabi méditerranéen, la décoration fait appel aux bois bruts, à la céramique, au granito (clin d’œil aux roches volcaniques) – y compris surdimensionné comme au bar –, aux miroirs de géométries diversifiées, à du mobilier et des luminaires plutôt minimalistes, mais résolument contemporains.

« Nous avons fait le choix de nous distancer de l’image un peu surfaite et préconçue des dômes blancs de Santorin afin de mieux ancrer notre projet dans l’architecture vernaculaire et la richesse de l’ile. -Ses ressources, ses traditions, ses palettes de couleurs, sa matérialité… Ce sont toutes ses rencontres qui renforcent ici ce dialogue entre hôtel et paysage de façons originales et audacieuses. »
Nikolas Travasaros, fondateur, Divercity Architects

 

Texte : Lionel Blaisse
Visuel à la une : Photo © Mariana Bisti

— retrouvez l’article sur NOUS Santorini… de l’image à l’imaginaire, Divercity Architects, MPLUSM Architects, dans Archistorm 122 daté septembre – octobre 2023 !