Propos recueillis par Christine Desmoulins
Photos par Javier Callejas

Le Beau dans l’Architecture

Regards croisés sur une question clé

Il advient aux architectures ce qui arrive aux idées des êtres humains. Sous la pression des modes, elles peuvent être visitées par un souci de séduction ou tenter au contraire de s’affranchir de leur routine. Seules les générations suivantes se prononceront sur la valeur de celles qui auront su vieillir. Alors, quel sens l’architecte peut-il donner à la beauté ? Réponses d’Alberto Campo Baeza et Bernard Desmoulin.

Image à la une : Maison Raumplan à Aravaca, Madrid. Alberto Campo Baeza, architecte (2015)

Maison pour l’infini à Cadiz. Alberto Campo Baeza architecte (2014)

Alberto Campo Baeza : « Rechercher courageusement la beauté »

« Architecte et professeur depuis longtemps et ayant mis par écrit mes idées sur les fondements de mon travail, je confesse que la beauté est ce que je recherche de toute mon âme, avec acharnement et courage. Un architecte peut-il le confesser ? Poètes, musiciens, peintres, sculpteurs…, tous les artistes le font.

Affirmer que la beauté est la finalité de l’Architecture peut sembler risqué, mais j’ai la conviction que la beauté de l’architecture contribue au bonheur des hommes par un “art” qui, pour les classiques, relevait d’une “raison nécessaire”. Goya y voit la main de la Raison, principal outil de l’architecte pour l’atteindre. Si la raison manque, des architectures étranges et « contre nature » apparaissent, suscitant l’étonnement et l’extase de notre société qui s’incline devant elles comme face aux temples d’une nouvelle religion.

Banque de Grenade. Alberto Campo Baeza architecte (2001)

Sur une eau-forte, Goya écrit que “le rêve de la raison produit des monstres”, mais un autre de ses textes précise que si “l’imagination abandonnée par la raison produit des monstres impossibles”, leur union offre aux arts “une mère à l’origine de merveilles”. Comment ne pas adhérer à l’idée que la raison, dans sa voie vers la beauté, sollicite l’imagination ?

Maison Raumplan à Aravaca, Madrid vu de côté.

Les architectes ne sauraient nier que l’idée servant la fonction et la vérité de la construction sont essentielles dans l’accès à la beauté. Vitruve affirme que pour prétendre à “la Venustas” (beauté), on doit d’abord satisfaire l’Utilitas (fonction) et la Firmitas (qualité constructive). L’assertion de Francisco Javier Sáenz de Oiza est tout aussi juste : “Quand on dit que l’Architecture doit être fonctionnelle, elle cesse de l’être, privilégiant ainsi l’une de ses nombreuses fonctions.” De l’accomplissement de l’Utilitas et de la firmitas, naît la beauté. Comment en serait-il autrement ?

Beauté, liberté, mémoire

Sans la mémoire, inépuisable puits pour identifier l’apparition de la beauté, un être saurait-il, reconnaîtrait-il que l’architecture y participe ? Sans connaître Palladio, les temples grecs ou le Panthéon de Rome, un architecte pourrait-il s’extasier devant une œuvre de Mies van der Rohe ? Un peintre admirerait-il un Rothko sans avoir adoré un Velázquez ou un Goya ?

Il en va clairement de même pour l’Architecture, bien que la société peine à comprendre Rothko ou Mies van der Rohe. L’un des mérites des maîtres de l’architecture moderne fut de convaincre la société que la beauté habitait leurs œuvres; qu’eux-mêmes étaient porteurs de beauté, capables de la saisir et de la montrer comme telle. Le Corbusier, Mies van der Rohe ou Frank Lloyd Wright en avaient pleinement conscience.

La quête de la beauté rejoint celle de la liberté. Rechercher dans l’architecture la liberté qu’offrent la radicalité de la raison et un désir de rêve aboutit à une vérité d’où éclot la beauté. Et pour le poète John Keats : “La beauté est la vérité, la vérité beauté ; c’est tout ce que nous savons sur terre et l’unique chose que nous devons savoir.” (Ode sur une urne grecque) »

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