RÉALISATION

BODIN & ASSOCIÉS ARCHITECTES

 

La récente rénovation du musée Picasso constitue un cas de figure original, quasi unique mais probablement appelé à se développer : l’intervention dans un édifice au caractère patrimonial double.

L’agence d’architectes Jean-François Bodin & Associés, l’architecte des Monuments historiques Stéphane Thouin et la société Pradeau Morin – filiale d’Eiffage Construction n’ont pas seulement eu à intervenir dans l’un des plus beaux hôtels particuliers du Marais, mais aussi dans des murs dont Roland Simounet s’était brillamment emparé au début des années 1980 ; c’était alors une première en France, tandis qu’en Italie, les pionniers de la muséographie contemporaine (Franco Albini à Gênes, Carlo Scarpa à Vérone) avaient, dès les années 1950, marqué de leur empreinte des édifices du Moyen-Âge et de la Renaissance. Face à un tel héritage et si la création n’est pas totalement absente du nouveau musée Picasso, c’est bien en premier lieu une logique de l’effacement qui a guidé les responsables de ce haut lieu, dont il s’agissait pourtant de tripler la surface d’exposition et de doter d’un auditorium, d’un nouvel espace d’accueil et de restauration. Cette gageure, ce paradoxe d’une discrète extension témoigne d’un haut degré de savoir-faire, d’une fidélité à ce que Simounet avait lui-même entrepris, en rendant invisible la totalité du substrat technique destiné à faire d’une ancienne demeure une superbe machine à exposer.

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Conçu juste après le Centre Pompidou comme un contrepoint, le musée Picasso fut un manifeste : l’art moderne dans une architecture classique, servi par une muséographie innovante, héritière à sa manière de l’autre géant du XXe siècle : Le Corbusier. Comme ceux, plus brutalistes mais tout aussi efficaces de Louis Miquel au musée des Beaux-Arts de Besançon, les murs, emmarchements, rampes et éclairages de Simounet composent une délicate promenade architecturale, multiplient les points de vues, associent avec bonheur clarté moderne et préciosité ; tout comme le mobilier conçu par Diego Giacometti dialogue avec les sculptures de Claude Buirette, Balthasar et Gaspard Marsy et Martin Desjardins. La grandeur du travail de Bodin et Thouin viendrait cette fois de n’avoir pas tenté d’ajouter une couche au double chef-d’œuvre qu’est le musée Picasso, d’avoir tout simplement servi l’œuvre de l’artiste et le confort du visiteur. En cela, il n’est pas impossible qu’il constitue un modèle pour les projets, forcément nombreux, qui seront lancés dans les décennies à venir à partir d’une problématique identique. Sa réussite avait fait du musée Picasso une œuvre pionnière et inspiré bien des architectes et conservateurs, notamment dans le Marais ; sa rénovation aura au moins valeur de test et, dans l’histoire de la muséographie, de repère.

 

 

Le grand escalier de Jean-François Bodin est un élément de circulation, mais il est aussi la signature de l’architecte du second projet de rénovation. Habillé en acier laqué, il permet d’atteindre depuis le sous-sol le jardin de l’hôtel Salé
© Mathieu Bardelot

 

 

 

Désormais l’accueil se trouve dans les Communs ce qui ménage un confort d’entrée dans le musée grâce aux différents services offerts
© Mathieu Bardelot

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Extrait de l’entretien croisé mené par Olivier Widmaier Picasso avec Stéphane Thouin, Architecte du patrimoine, Architecte en chef des Monuments historiques, et Jean-François Bodin, architecte du projet de rénovation du Musée national Picasso.

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Une rénovation peut-elle connaître des difficultés, voire des renoncements dus au bâtiment lui-même ?
Jean-François Bodin : Effectivement, vous n’avez pas la même liberté dans un bâtiment existant, classé Monuments historiques, au sein d’un quartier assez « clos » que sur un terrain nu, à dessiner, presque sans aucune contrainte. Cela ressemble à une partie d’échec. Vous pouvez avoir des combinaisons multiples mais la zone de jeu est délimitée. Vous ne pouvez pas sortir du plateau. Nombre d’aspects étaient incompatibles avec des points de sécurité incontournables, comme l’accessibilité. Il fallait faire évoluer les circulations tout en respectant l’architecture du xviie siècle. La question fondamentale pour moi était : comment se déplacer dans ce bâtiment ? C’est une polyvalence dans les systèmes de lumière, pour la régler à des niveaux différents selon les salles, et aussi concevoir des espaces malléables, faciliter le travail d’accrochage et de décrochage.
Au final, les contraintes dans un musée se concentrent bien souvent sur les conditions de travail de ses équipes. Il faut prendre des précautions, leur donner du confort, notamment pour renouveler les expositions, les associations d’objets entre eux, et donc in fine pour renouveler le musée. Il faut tenir compte de la « vie intime » du musée. En conclusion, je dirais que travailler sur un musée, c’est donner des pages blanches sur lesquelles un commissaire va retranscrire un morceau d’histoire de l’art.
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Fiche technique :
Maitrise d’ouvrage : EPA Musee national Picasso
Maitrise d’oeuvre : Restauration des parties classees : Stephane Thouin, Architecte en chef des
Monuments historiques : mise aux normes et restructuration : Jean-Francois Bodin et associes
Superficie Hotel Sale : 5 700 m²

Texte : Simon Texier
Visuels : © Mathieu Bardelot