De toutes les villes du littoral meurtries par la Seconde Guerre mondiale, le Havre cumule plusieurs records : elle est, parmi les grandes villes, celle dont le taux de destruction (80 % de la ville rasée) a été le plus proche d’une complète annihilation. Son pilonnage par les forces alliées entre le 5 et le 11 septembre 1944 fut particulièrement meurtrier, avec plus de deux mille civils tués, et cela malgré l’évacuation partielle de la population. La reconquête de la ville par les Alliés permit de faire débarquer plus d’un million de soldats, faisant ainsi du port du Havre un maillon essentiel de la victoire. Enfin, la reconstruction de la ville, confiée à Auguste Perret, la fit accéder en 2005 au rang de monument du patrimoine mondial de l’UNESCO.

© Luc Boegly

La Cité Numérique et l’EM Normandie se partagent les 12 700 m² du bâtiment conçu par l’agence d’architectes Groupe-6.

3 600 m² ont été dévolus à la Cité Numérique et 9 100 m² à l’école, dans un bâtiment qui témoigne d’un principe formel fort. Il est constitué d’une série de plateaux décalés, distinctement superposés tantôt en retrait, tantôt en porte-à-faux. Les niveaux pairs sont recouverts d’une résille blanche, tandis que les niveaux impairs, qui en sont dépourvus, apparaissent en retrait par rapport à l’étage supérieur en saillie.

Ce jeu de décalages entre les niveaux génère toute une série d’espaces extérieurs, couverts ou dégagés, qui structurent la proposition architecturale.

L’effet géométrique d’empilement de quadrilatères inégaux structure la proposition formelle et constitue le premier degré d’appréhension du bâtiment. Celle d’un repère urbain capable de générer un sentiment d’appartenance pour les usagers. Il faut y pénétrer pour comprendre le concept qui organise cette alternance entre les volumes, ainsi que le partage entre les deux institutions.

C’est alors seulement que s’établit clairement la cohérence entre le minimalisme des façades et la sobriété de ses aménagements intérieurs. Si la disposition en plateaux laissait augurer une affectation par niveau, la réalité est tout autre. Le déploiement vertical des deux institutions scinde le bâtiment dans la hauteur : un tiers pour la Cité Numérique, deux tiers pour l’école.

© Michel Denance

 

La distribution des espaces de l’école s’organise autour d’un atrium traversé en diagonale par un grand escalier reliant les deux terrasses principales, celle du niveau deux, commune avec la Cité Numérique, et celle du niveau six. Groupe-6 perfectionne ici le principe de l’escalier / piazza, conçu non seulement pour le déplacement, mais aussi comme lieu de vie et de socialisation. L’axe transversal, invisible depuis la rue, est l’acte architectural qui structure l’école aussi bien dans sa distribution que dans les qualités d’espaces qu’elle offre aux usagers. Il est conditionné par un parti pris de densité peu courant dans un lieu d’enseignement, et par son déploiement en hauteur.

Si l’EM Normandie a anticipé la montée en puissance du télé-enseignement en s’équipant dès l’été 2020 de moyens de captation live de qualité professionnelle, son projet pédagogique repose toujours sur l’activité en présentiel et sur la synergie de groupe. Ce travail ne peut tout simplement pas se passer de l’interaction dans le monde physique. En cela, l’EM Normandie n’échappe pas à une situation paradoxale qui s’observe dans la plupart des secteurs en prise avec l’intelligence artificielle et l’économie numérique. Plus une activité bascule dans le numérique, plus sa transmission requiert des univers d’apprentissage capables de faire place à la synergie de groupe. Ce paradoxe s’observe aussi dans le cas de la Cité

Numérique. Le basculement dans l’économie dématérialisée ne peut pas se priver de lieux concrets où la transmission et l’expérimentation vont pouvoir s’inscrire dans une interaction avec et dans l’espace réel. Dans les deux cas, l’édifice semble conçu pour répondre à ces deux enjeux contradictoires : il garantit des conditions optimales pour les activités sur écran, tout en offrant de nombreux espaces de socialisation ou de contemplation. En cela, son architecture pourrait finalement être emblématique d’un des nombreux enjeux du basculement dans l’économie et la socialité virtuelles : la préservation de la santé mentale des personnes exposées à la dématérialisation de leur environnement professionnel. Le bâtiment de Groupe-6 semble organiser son alternance formelle dans la quête de cet équilibre entre le réel et le numérique.

© Jacques Basile

« Le campus fonctionne en synergie avec les équipements existants auxquels il s’intègre, la gare et l’ensemble du réseau de transports en commun, les équipements et espaces publics, le centre commercial, etc. L’idée a été de construire la ville et le campus en même temps. De faire du campus le levier du développement organique de la ville. »

Steven Protois, Directeur Grands Projets, Maîtrise d’ouvrage et aménagement, Le Havre Seine Métropole

« L’EM Normandie se dresse aujourd’hui fièrement avec la Cité Numérique sur un site exceptionnel propice à son coeur de métier, la formation supérieure au management, mais aussi aux échanges, à l’innovation, à la recherche, au renforcement de ses liens avec tous les acteurs du territoire, à l’éclosion de richesses et à l’attraction de nouveaux talents. »

François Raoul-Duval, Past Président du Conseil d’Administration de l’EM Normandie

Façade Ouest

Entretien avec Alain Marchal, Architecte Associé, Groupe-6

Christophe Catsaros : Quel est le concept de départ pour ce bâtiment ? Comment en êtes-vous venus à cette structuration par plateaux et à cette scission verticale pour constituer les deux parties distinctes qui composent l’ensemble ?
Alain Marchal : Notre réponse a découlé bien sûr des demandes programmatiques du Maître d’Ouvrage, mais aussi des contraintes et des opportunités qu’offrait le site d’implantation du projet.
L’opportunité, c’est tout d’abord celle d’un site proche du centre-ville, entouré par trois bassins, avec des vues proches et lointaines sur une série de lieux emblématiques : la gare, les docks, les quais de départ de la transat
Jacques Vabre, ainsi que les différents bâtiments du campus maritime et toutes les promenades autour des quais. La contrainte a plutôt résidé dans la taille réduite de la parcelle, d’où la nécessité de s’élever et d’utiliser toute la hauteur permise par les diverses réglementations. Le caractère très fréquenté du quai devant la Cité Numérique et l’EM Normandie a joué également un rôle. Nous avons dû protéger l’intérieur de l’école du regard des passants. Enfin le jeu de décalages des niveaux répond à cette volonté d’offrir des espaces extérieurs sur une parcelle qui ne le permettait pas.
Nous ne voulions pas d’un bâtiment comportant uniquement des espaces intérieurs. Les espaces extérieurs, que ce soit pour l’EM Normandie comme pour la Cité Numérique, sont des composantes essentielles de l’expérience pédagogique. Notre réponse a consisté aussi à disposer les espaces le long d’un cheminement vertical. Il nous a semblé que cette solution présentait des avantages de fonctionnalité et de convivialité, puisque les étudiants peuvent transiter par ces espaces pour se rendre d’un point A à un point B. Ensuite, la forme a été pensée comme un totem urbain, un bâtiment signal, soulignant le réinvestissement des docks. C’est un bâtiment sculptural qui cherche à marquer les esprits en exprimant l’avenir des nouvelles pratiques autour du numérique.
Le jeu des plateaux permet aussi d’exprimer le mouvement : c’est un bâtiment phare qui rayonne à 360 degrés. Il n’y a pas de façade arrière. Cette mise en mouvement est aussi celle des programmes à l’intérieur du bâtiment. Pour finir, l’ »atrium-escalier » exprime cette idée d’un cheminement vertical ascendant.
C’est un bâtiment escalier, depuis la rue jusqu’à la terrasse du 6e étage, en passant par la grande terrasse du 2e étage. Cet espace est le cœur de la vie estudiantine, le symbole d’une ascension vers le savoir, un lieu de vie et un espace de transit.

 

Entretien avec Olivier Nicolle, Directeur Régional SOGEA Nord-Ouest

CC : L’apparence simple des formes du bâtiment cache des prouesses structurelles et une véritable complexité de réalisation. Pouvez-vous nous expliquer la méthodologie mise en place pour y arriver ?
Olivier Nicolle : L’une des exigences du cahier des charges consistait à concevoir un véritable totem architectural.
Pour répondre à cet impératif programmatique, les architectes ont imaginé un bâtiment en « mille-feuille », mêlant des niveaux de porte-à-faux en béton allant jusqu’à 2,5 m de portée et des niveaux de porte-à-faux en charpente métallique pour des portées allant jusqu’à 8 m, l’ensemble étant décalé d’un niveau à l’autre.
De prime abord, lorsque l’on regarde chaque niveau sur une vue en plan, la structure semble traditionnelle. Seule une mise en perspective en trois dimensions permet de mieux se rendre compte des prouesses techniques que l’ensemble des équipes a réalisées avec cette structure mixte en béton et en acier.
L’enveloppe globale du bâtiment (façades et sous-face des porte-à-faux) a nécessité de nombreux mois de travail collaboratif entre Sogea Nord-Ouest, la maîtrise d’œuvre, nos fournisseurs, nos partenaires et nos sous-traitants pour mettre au point sa conception et les modus operandi de mise en œuvre.
Après un dialogue intense, des milliers d’heures de calculs effectués par les ingénieurs des bureaux d’études et des méthodes, un prototype d’une partie de la façade a été présenté et validé par la maîtrise d’œuvre et les représentants du Havre Seine Métropole.

 

Entretien avec Pierre Champenois, Architecte Maîtrise d’œuvre d’exécution, Champenois Architectes

CC : Quel a été votre rôle en tant qu’architecte en charge de l’exécution du chantier ?
Pierre Champenois : CHAMPENOIS ARCHITECTES a accompagné Groupe-6 pendant la phase concours et les études du projet. Il était important que nous ayons une vision complète de la conception, de la genèse jusqu’aux détails, pour appréhender la phase chantier avec une parfaite compréhension de l’historique, des choix fondateurs du projet, des résolutions réglementaires, en sécurité incendie notamment, ou encore des arbitrages de la maîtrise d’ouvrage. De cette manière, nous avons pu conduire la réalisation des travaux en faisant correspondre les choix techniques aux objectifs architecturaux.

L’utilisation du BIM a constitué un outil précieux pour les mises au point de synthèse architecturale et technique. Elle a permis une optimisation du projet dès les études, avec une intégration des données structures et réseaux dans une maquette numérique unique pour anticiper la coordination entre les différents corps d’état, ce qui a grandement facilité la préparation de chantier.

 

Fiche Technique

Maîtrise d’Ouvrage Le Havre Seine Métropole (LHSM) ; CCI Seine Estuaire
Localisation 20 Quai Frissard, Le Havre
Programme École de Management de Normandie : 9 200 m² ; Cité Numérique du Havre – Pépinière d’entreprise et incubateurs : 3 700 m²
Architecte Groupe-6
Architecte associé en charge de l’exécution du chantier Champenois ArchitectesType d’intervention Conception-Réalisation
Mandataire Sogea
BET Fluides Auxitec
HQE Vinci construction
Économie Economie 80
Maintenance Dalkia ; I-Therm Conseil
Surface 12 900 m² SDP
Montant des travaux 21 M
Concours 2017
Livraison 2020

Texte Christophe Catsaros
Visuel à la une Luc Boegly

Retrouvez la Réalisation sur la Cité Numérique du Havre et l’EM Normandie par Groupe-6 dans Archistorm daté mars – avril 2022