AIR DU TEMPS

La scénographie, architecture de fiction

 

Pour inventer une esthétique et trouver le ton juste en adéquation avec un spectacle et un lieu, les scénographies théâtrales ou d’opéra usent de plus ou moins d’artifices. Directeur des deux établissements, Olivier Mantei se confronte tour à tour à la salle à l’italienne de l’Opéra-Comique et au vide des Bouffes du Nord, mythique théâtre de Peter Brook. Avec le scénographe Christian Schmidt, c’est l’immense « boîte en carton » frappante de réalisme de Rigoletto à l’Opéra Bastille que nous démystifions.

Confronter l’Opéra-Comique et le théâtre des Bouffes du Nord révèle les potentialités de ces deux espaces. « Le théâtre des Bouffes du Nord (xixe siècle) est en lui-même une scénographie et un décor qui en font ce lieu unique où Peter Brook a développé l’idée de l’espace vide, investi par très peu d’éléments au profit du décor naturel ancien, faisant parfois d’un simple tapis un espace de jeu riche et dense », dit Olivier Mantei. En 2016, lors d’une rencontre intitulée « Les murs parlent[1] », Peter Brook y a d’ailleurs réuni des artistes ayant travaillé avec lui quarante ans durant pour redécouvrir avec le public ce que les murs du théâtre ont vécu.

La Traviata, mise en scene de Benjamin Lazar au Bouffes du Nord © Pascal Gély

En sachant que transposer aux Bouffes du Nord une pièce qui n’aurait pas été créée pour ce lieu est impossible, la principale question est de savoir si l’on peut déconstruire et transformer ce décor naturel. « En découvrant ce théâtre où les comédiens évoluent sur le proscenium, presque au milieu des spectateurs, on pense a priori que non, dit Olivier Mantei, mais y travailler le dément. Pour 4.48 Psychose, en 2002, Claude Régy a tracé une oblique coupant l’espace en diagonale. Pour The Second Woman, Guillaume Vincent a délibérément densifié le lieu, le vrai travail du scénographe consistant alors à charger le décor à l’aide de rideaux et divers éléments en respectant la scénographie du théâtre dans ses proportions et ses perspectives. Aujourd’hui, La Traviata, mise en scène par Benjamin Lazar, est un petit miracle de scénographie où l’espace vide se modifie sans radicalisme. »

L’Opéra-Comique et sa typologie de salle à l’italienne se prêtant plus aisément à certains effets, Olivier Mantei attend ici qu’une scénographie porte une esthétique et un parti pris capables de s’effacer au bénéfice de la dramaturgie. Il y initie également des projets où la scénographie est l’élément moteur, construisant alors le spectacle autour d’un parti scénographique qui le met en musique. Le spectacle qu’il prépare pour 2018 avec Phia Ménard sur un texte d’Éric Reinhardt et une musique de Rameau avec Christophe Rousset et Talens Lyriques illustre cette démarche, où l’univers visuel préside au projet, contrairement à la tradition de l’Opéra. (…)

[1] http://www.bouffesdunord.com/fr/la-saison/les-murs-parlent

Texte : Christine Desmoulins
Photo à la une : Le théatre national de l’Opéra-Comique, vu depuis la salle et depuis la scène © RMN Grand Palais

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