Texte : Simon Texier
Image à la une : Rue Eugène-Sue, Paris 18e © Cyrille Weiner

Il n’est pas une manière mais cent ou mille de raconter et d’analyser la ville. Deux ouvrages récemment parus en apportent la preuve, l’un et l’autre avec une exigence éditoriale qui en fait aussi bien des outils de travail que d’authentiques « beaux livres ». Respectivement consacrés au Paris haussmannien et à la ville de Tours à l’époque contemporaine (du XIXe au XXIe siècle), ils abordent la transformation urbaine avec deux focales diamétralement opposées mais complémentaires : sous un angle typo-morphologique version 2.0 d’un côté, selon un point de vue classiquement historique de l’autre.

Tours, métamorphoses d’une ville. Architecture et urbanisme, XIXe-XXIe siècles sous la direction de Jean-Baptiste Minnaert, Paris, Norma, 2016.

Paris Haussmann Modèle de ville, sous la direction de LAN – Benoît Jallon et Umberto Napolitano et FBC – Franck Boutté, Co-édité par le Pavillon de l’Arsenal, Paris et Park Books, Zürich , 2017.

L’analyse typo-morphologique est née dans l’Italie de l’après-guerre et a fait des émules en France au cours des années 1970-1980. On a beaucoup raillé son caractère systématique, laborieux et parfois déconnecté des grands enjeux qui, par-delà les permanences et les évolutions du parcellaire et du bâti, agissent sur la transformation des villes. Les deux fondateurs de l’agence LAN, Benoît Jallon et Umberto Napolitano, associés à l’architecte et ingénieur Franck Boutté, proposent une version renouvelée de la typo-morphologie, appliquée en l’occurrence à un corpus déjà parfaitement connu sur le plan historique : depuis les travaux amorcés il y a quarante ans par Françoise Choay, puis par François Loyer, Pierre Pinon ou Michaël Darin, le Paris haussmannien est l’objet de recherches nombreuses qui, dans le cas présent, sont peu mobilisées. « Le matériel observé est considéré sans a priori : délibérément extrait de son mode de production à la fois social et économique, il est volontairement déconnecté de ses contingences historiques et politiques », préviennent les auteurs. Inutile, par conséquent, de s’offusquer des frugales références aux études antérieures, l’enjeu n’est pas là – encore que l’absence de toute mention à l’ouvrage déjà publié en 1992 par le Pavillon de l’Arsenal ait de quoi surprendre.

Auguste et Gustave Perret architectes, chapelle des Frères mineurs à Tours, 1930 © Luc Boegly

 

« Typo-morpho », donc, mais version 2.0, en effet : exploitant les données collectées par l’Atelier parisien d’urbanisme, interprétant celles d’OpenStreetMap, LAN et FBC décortiquent le « modèle » haussmannien – en fait le tissu parisien créé entre les années 1830 et 1914 – et le confrontent à une quinzaine d’autres villes dans le monde, comme cela avait été fait pour Barcelone lors des célébrations des 150 ans du plan Cerdà. Efficience, résilience, marchabilité, durabilité constituent en quelque sorte la novlangue de l’analyse urbaine du xxie siècle. On vantait dans les années 1980-1990 le systématisme, la lisibilité et l’équilibre entre espaces public et privé du Paris haussmannien ; les impératifs énergétiques et les nouveaux outils invitent aujourd’hui à mettre d’autres qualités en évidence.

125, rue Vieille-du-Temple, Paris 3e © Cyrille Weiner

La forte mitoyenneté de l’îlot haussmannien, combattue par les modernes, redevient un atout précieux : « La compacité équivalente entre le tissu agrégatif haussmannien et le plan additif contemporain exprime une même capacité thermique morphologique. » Au terme d’une étude riche en relevés, redessins et schémas comparatifs, les auteurs rappellent le très fort potentiel de cette « enveloppe monobloc multifonctions » qu’est le Paris haussmannien, qu’ils opposent au modèle actuel, défini comme « enveloppe multicouches par addition de fonctions ».

 

L’important travail de traitement de données aboutit ici à un constat qui n’est pas explicitement transcrit en termes de projet. L’immeuble de 40 logements récemment livré par l’agence LAN dans le 17e arrondissement est cependant présenté comme un hommage à la ville du xixe siècle ; une ville homogène, smart, efficace, généreuse, équilibrée, narrative, modulable, théâtrale, intense, réversible… L’exposition à succès tenue au Pavillon de l’Arsenal, à l’occasion de laquelle est paru l’ouvrage, mettait en évidence les innombrables avantages du Paris haussmannien. (…)

 

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