3e Biennale d’architecture de Pise (Italie)

 

Tempodacqua (Le temps de l’eau)

 

 

En novembre dernier s’est tenue à Pise (Italie) la 3e édition de la Biennale d’Architecture. La direction artistique en a été confiée à Alfonso Femia. Thème choisi par cet architecte directeur-fondateur de l’agence AF517 (Gênes-Milan-Paris) : « Tempodacqua », « Le temps de l’eau ».

 

La tradition maritime de l’Italie, née de sa position péninsulaire en cœur de Méditerranée, celle, encore, de Pise, longtemps une des premières cités marchandes du Mare Nostrum occidental, justifie en toute logique le choix d’un thème tel que celui de l’eau – et cela, au moment même où de considérables pluies, quelques jours avant l’ouverture de la biennale, ont rendu folles les eaux de l’Arno, qui baigne la ville toscane, au point d’obliger l’armée à installer le long du fleuve des hausses pour empêcher la submersion de la célèbre ville au campanile penché…

 

 

« Tempodacqua », « le temps de l’eau » : cet intitulé, pour Alfonso Femia, doit être compris dans les deux dimensions du temps. Dimension verticale, en remontant jusqu’aux origines des rapports entre architecture et eau (occupation humaine des sites fluviaux, lacustres et côtiers et de zones de canaux ou irriguées), dimension horizontale connectée à la situation actuelle, à présent que l’eau, ressource appelée à manquer, est devenue un enjeu à la fois politique (son contrôle, sa distribution), écologique (sa qualité, sa disponibilité) et de confort (culture balnéaire).

 

Le point le plus singulier de cette biennale volontairement low cost, tournant le dos aux fastes de sa sœur vénitienne, est le parti pris d’Alfonso Femia, d’essence documentaire. Plutôt que jouer le chef d’orchestre, l’architecte génois a procédé d’une manière cohérente à l’heure des réseaux sociaux en lançant une enquête. Trois questions sont envoyées à des centaines d’interlocuteurs potentiels, agences d’architecture, unités universitaires, personnalités intellectuelles : que représente pour vous, 1°, le temps, 2°, l’eau, 3° le temps de l’eau ? Près de cent cinquante réponses, venues du monde entier, seront reçues. Le protocole de l’exposition, ensuite, est des plus simples : la présentation d’un projet ou d’un propos spécifiques sur un bristol de format A4, une maquette le cas échéant, point. La présentation des différentes propositions, pour finir, est offerte au visiteur sans hiérarchie dans un cadre scénographique simple. Des bâtons taillés dans un bois récupéré dans les Dolomites suite à une récente catastrophe écologique sont plantés à la verticale comme une forêt posée sur une base bleue pouvant évoquer la Pangée, ce primo-continent terrestre unifié baignant dans l’océan primordial, et pour certains d’entre eux, porteurs d’un panneau de présentation A4 voire d’une maquette. Un dispositif sans faste, simplissime, très démocratique aussi : aucune chance que telle ou telle proposition ou réponse apportée à l’enquête lancée par Alfonso Femia prenne le dessus sur les autres. La démocratie, en vérité, a quelque chose de la mer, son niveau horizontal.

 

 

Inutile dès lors, dans cette biennale, de chercher des réponses orientées ou dogmatiques à ce que l’eau vient, dans le domaine de l’architecture, structurer, organiser, signifier ou inventer. En l’occurrence, l’offre est ouverte comme jamais, entre positions concrètes, prospectives ou carrément imaginaires. L’ensemble, à cet égard, peut décevoir ceux qui seront venus à Pise trouver des réponses : on leur en offre ici des dizaines, de manière déhiérarchisée, en les conviant à faire leur choix. Dans le cas contraire, si l’on plaide nommément pour l’offre libre et l’ouverture conceptuelle totale, on ne pourra qu’être bien servi : à chacun de faire son parcours, sur le mode du méandre et non pas du canal de jonction. Alfonso Femia, au centre de sa pratique architecturale, place la générosité. En voici une preuve.

 

Texte : Paul Ardenne

Crédits photos : TEMPODACQUA, Pise © S.Anzini

Retrouvez cet article dans le numéro 100 du magazine Archistorm, disponible en kiosque.