PATRIMOINE

RÉFLEXIONS SUR L’ARCHITECTURE MODERNE

 

« C’est la nature, et non la machine, qui est le modèle le plus important pour l’architecture. » Ces mots prononcés par Alvar Aalto auraient pu l’être par quasiment tous les architectes contemporains, dont la fascination pour la machine a ravivé, consciemment ou non, le besoin de nature. Certains ont pu déclarer, comme Zaha Hadid : « Pendant des années, j’ai détesté la nature » ; ce désamour n’a pas duré longtemps… Évocation de quelques cas emblématiques d’un dialogue fécond et durable.

 

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Joseph Maria Olbrich, pavillon de la Sécession, Vienne, 1897 ©S.Texier

Dans son ouvrage Analogie et théorie en architecture (Infolio, 2010), Jean-Pierre Chupin évoque le rapport ancien entre architecture et nature ; il pointe aussi les multiples écueils et excès de l’analogie et, au terme d’une mise à plat sur ses types d’usage (morphologique, structurel, conceptuel), met en situation deux autres notions clés que sont l’imitation et l’homologie. Chupin ne souligne cependant pas suffisamment la corrélation entre ce que l’on a appelé le déclin du vitruvianisme – qui a certes d’autres causes – et le développement des sciences naturelles au xviiie siècle.

 

Si l’intérêt pour le monde animal (libellule, méduse, scarabée, serpent, chauve-souris) n’est pas rare et témoigne de l’ancrage symboliste voire ésotérique de l’Art nouveau, le culte du végétal est l’un des traits communs aux différentes tendances qui le composent.

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Herzog & de Meuron, Musée d’histoire naturelle, Museu Blau

La rupture qui s’opère alors dans l’usage du concept de Nature fait en l’occurrence vaciller un système fondé depuis la fin du xve siècle : en tant que philosophie du beau, l’esthétique tenait la mimesis pour l’un de ses principaux fondements et, depuis la redécouverte des théories de Vitruve, l’architecture et le système des ordres qui la régissait étaient considérés comme une forme d’imitation de la nature. Ce n’est plus le cas lorsque, par exemple, l’abbé Laugier, en 1755 dans son Essai sur l’architecture, utilise l’expression de « simple nature ». Une manière, en quelque sorte, de déconstruire un concept jugé trop figé, de le rendre plus… vivant.

Dès lors, l’inertie de l’architecture et sa tendance à l’abstraction seront systématiquement contrebalancées par un dialogue avec les formes et les forces de la nature : Sulpiz Boisserrée met en exergue le caractère végétal de l’architecture gothique, Viollet-le-Duc en développe une fascinante lecture organiciste puis, autour de 1900, les planches décoratives d’un René Binet ou les sublimes ornements d’un Louis Sullivan s’inspirent ouvertement des Kunstformen der Natur d’Ernst Haeckel. Quelques exemples parmi une quantité d’autres de l’emprise du vivant sur l’art a priori le plus statique. (…)

 

Texte : Simon Texier

Découvrez la suite de l’article « Nature et Architecture, Mariage et Déraison » dans le numéro 98 du magazine Archistorm, daté septembre-octobre 2019 !