ART ET ARCHITECTURE

PIERRE WEISS, [E.LA.STIK]
GALERIE VALERIA CETRARO

Pour sa deuxième exposition personnelle à la galerie Valeria Cetraro, à Paris, le plasticien et vidéaste Pierre Weiss (né en 1950 à Bruxelles) déploie un ensemble de sculptures, de dessins et de peintures sur photographie. Portrait d’un artiste à la pratique protéiforme qui, pour chaque exposition, s’attelle à mettre un peu de désordre dans les territoires qu’il occupe.

Dans une interview de 1998, Pierre Weiss répondait à une question qu’on lui a certainement souvent posée : pourquoi peintre et pas architecte ? Sa réponse est plutôt concise, et il y exprime son incompatibilité avec l’institution et avec la trajectoire linéaire des études. Il dit que sa scolarité a été ponctuée d’exclusions, et qu’étudier l’architecture aurait impliqué de passer des examens… Pierre Weiss parle de son apprentissage comme d’un parcours tortueux, comme le sont les lignes qu’il trace depuis ses débuts, dans les années 1970 : longilignes, mais baveuses. La rivière sort de son lit. Il y a ce trait tiré, à la règle, avec la rigueur de l’architecte, mais la ligne déborde, c’est là que le geste artistique revient, que le corps intervient. Le mouvement de bras, rapide, tel celui de Lucio Fontana, fissure l’espace de la peinture et de la photographie.

Pierre Weiss, Territoires sur image.#18, 2013 peinture vinyle sur tirage photographique 45 x 32 cm. Unique Courtesy de l’artiste et Galerie Valeria Cetraro

Car, finalement, il s’agit souvent de cela, dans l’œuvre de Pierre Weiss : segmenter, enfermer et contraindre pour mieux mettre en perspective les possibilités de circulation.
Toujours jouant avec la verticalité et l’horizontalité, les murs sont habités d’œuvres, le sol aussi. Par terre, des sculptures en PVC (blouson Levi’s rétréci et veste de cuir noir rétrécie) suggèrent des mannequins de vitrine par leur forme de buste, presque de Christ en croix. Ces anthropomorphes évoquent aussi l’humain, car ils sont habillés d’une veste, et la couleur de la structure s’approche du rose pâle de la peau. Il y a ce sentiment d’uncanny ou d’inquiétante étrangeté, que l’on a déjà pu avoir en déambulant autour d’autres de ces œuvres, car Pierre Weiss s’amuse avec l’ambiguïté des textures molles, froides, dures, étirées.

Sur des photographies, on retrouve ce motif du trait qui suit l’artiste comme une ligne de fuite. Ses tracés semblent générés presque indépendamment de sa volonté. Les registres d’images sont différents, les techniques mixtes, les patterns aussi aléatoires. Faisant écho aux bustes habillés, les tirages rehaussés de Tipp-Ex intitulés HETEROCLITUS montrent un amas de vêtements ou des vestes suspendues dans une penderie. Certaines peintures parsemées de crayon laissent entrevoir des dessins plus précis, ceux de plans au sol d’architecte justement. Sur les photographies érotiques de l’ensemble Territoires sur image, l’artiste intervient aussi à la peinture. Sur les fragments de corps plus ou moins explicites, le trait apposé ouvre une autre brèche, celle de la fissure, de la plaie, de la cicatrice, de l’orifice. Engoncés dans le cadre, les corps sont à l’étroit, et l’artiste parasite notre lecture avec son intervention manuelle.

Par la répétition du motif gestuel, l’ambiguïté des matières ou des registres d’images, Pierre Weiss met en place un jeu ambivalent. Entre mise à distance et inclusion, il opère dans un entre-deux dont chaque exposition est la surprenante démonstration.

Texte Camille Tallent
Visuel à la une Pierre Weiss, Territoires sur image.#12, 2013 peinture vinyle sur tirage photographique 45 x 32 cm. Unique Courtesy de l’artiste et Galerie Valeria Cetraro