Un moulin du XVIIIe, le doux bruit de l’eau de la rivière tombant en petites cascades… et des œuvres d’art majeures à profusion installées au-dedans et alentour. Bienvenue à la Venet Foundation. Tour du propriétaire.

Carlos Cruz-Diez, Environnement de Transchromie circulaire, 1965-2017 © Jerome Cavalière Courtesy Venet Foundation

Nous arrivons sur une petite route, sur la droite, un long portail en métal glisse sans bruit, la voiture s’avance doucement, s’immobile sur la gauche, les portes s’ouvrent et nous nous retrouvons dans un parc enchanteur hors du temps et pourtant totalement ancré dans la création contemporaine. C’est d’abord Florian Derbuel, qui nous accueille : « Bienvenue, nous sommes ici dans le parc Versailles… les sculptures que vous voyez étaient exposées au château de Versailles sur la place d’armes. Elles étaient présentées de manière verticale de part et d’autre de la sculpture équestre de Louis XIV. Pour l’inauguration de ce nouveau parc, Bernar a voulu changer la configuration de cette pièce et questionner la notion d’accident. » Désordre, instabilité, aléatoire, turbulence, hasard, collision sont les maîtres mots aujourd’hui de ce nouveau parc du Muy aux œuvres composées d’Arcs ou d’Angles. Le ton est donné. Ce vaste lieu exceptionnel de sept hectares offre un parcours unique à travers une « œuvre d’art totale » conçue par l’un des artistes français les plus célébrés au monde avec le concours de son épouse, Diane. L’histoire de ce lieu global est inhérente à la personnalité de Venet. Adolescent, Bernar Venet (1941) s’entraînait à la peinture en faisant des tableaux sur lesquels il reproduisait les paysages des Alpes-de-Haute-Provence. Puis, il va à Nice, tente le concours des Arts Décoratifs, échoue. Il dira que « c’est une grande chance pour lui ». Il va prendre des cours d’art classique avec un modèle, apprendra le dessin, la peinture et la sculpture. Il va se lier d’amitié avec les nouveaux réalistes, notamment avec Ben, qui lui fera rencontrer Arman, dont il sera l’assistant et dont il va être très proche. Un jour, Venet dit à Arman à propos d’une petite sculpture sur laquelle ils étaient en train de travailler : « J’adorerais avoir cette petite sculpture. » Arman lui répond : « Celle-ci est déjà vendue, mais ne t’inquiètes pas, un jour, je t’en donnerai une. » Très rapidement, Arman va lui donner une sculpture et lui disant : « Si tu veux la vendre, fais-le et tu auras l’argent pour aller à New York. » C’est ainsi que Bernar Venet s’y installe dès 1966 et peint ses premiers diagrammes mathématiques. Arman lui prêtera son atelier au Chelsea Hotel. C’est à cette période qu’il va rencontrer d’autres jeunes artistes et va se lier d’amitié avec ceux qui étaient en train de construire l’art minimal, puis l’art conceptuel. Il devient très ami avec Frank Stella, Sol LeWitt, Donald Judd… des artistes qui font aujourd’hui les choux gras des galeries du monde entier. C’est l’époque bénie où tout est communautaire et où se font des échanges « entre potes ». « J’ai eu la chance de connaître et de fréquenter la très grande majorité des artistes dont je possède le travail. La plupart des œuvres ont été réalisées pour moi avec chaque fois une histoire qui s’y rattache. C’est le cas, pour n’en citer que quelques-uns, de Morellet, qui a réalisé́ une œuvre à partir des lettres de mon nom, d’Arman, qui a fait ma Poubelle et mon Portrait-robot, de César, qui a compressé ma voiture, ou bien de Rotella, qui a créé une Blanck dans mon studio de Canal Street. J’ai le souvenir d’un échange avec Takis alors que nous logions tous deux au Chelsea Hotel en 1968. Jean Tinguely a réalisé un bougeoir très baroque à l’occasion de mes 50 ans. Peu de temps après mon arrivée à New York, Christo m’a aussi fait un portrait empaqueté et je lui ai offert en échange une peinture Diagramme, que je revoyais à chaque fois que je lui rendais visite. C’est dans cet état d’esprit que ma collection a commencé́ à prendre forme. Mes échanges avec Sol LeWitt ou Donald Judd datent de la fin des années 1960 et du tout début 1970. On Kawara, dont j’étais très proche, car nous nous retrouvions fréquemment pour jouer au ping-pong, m’a envoyé une série de cartes postales “I got up at”… tous les jours du mois de décembre 1969. » explique Venet au cours d’un déjeuner sous la tonnelle dans une partie de son parc proche de l’eau. C’est ainsi qu’au fil des années Venet constitue, en parallèle de son travail, une collection colossale d’œuvres majeures. En 1989, le couple achète la propriété des Serres, organisée autour d’un barrage avec un moulin construit en 1737, à côté du village du Muy dans l’arrière-pays varois.  Et ce, pour y vivre, y travailler, y entreposer ses œuvres et exposer sa collection, dont l’accrochage bouge très régulièrement. Progressivement, ils étendent leur domaine, et c’est en 2014 que la Venet Foundation – fondation de droit américain – est créée. Ella a pour objectif de préserver la propriété du Muy, de conserver la collection et d’assurer la pérennité de l’œuvre de Bernar Venet. C’est ainsi plus de trente années de transformation de la propriété du Muy en une « œuvre d’art totale » qui ne cesse d’être en perpétuelle transformation. En 2014, la Venet Foundation a inauguré́ la commande inédite à Frank Stella de la Chapelle Stella, implantée de façon pérenne dans le parc. Une chapelle au sens œcuménique, avant tout un espace de méditation où l’art et la pensée prennent le pas sur la religion. Frank Stella a dessiné le bâtiment hexagonal de 15 mètres de diamètre accueillant une œuvre sur chacun de ses murs et présentant des espaces ouverts entre chaque mur, à chaque arête, pour laisser libre la déambulation du visiteur et s’ouvrir sur la nature environnante. En 2016, la Venet Foundation a inauguré deux œuvres de l’artiste américain James Turrell. La lumière de Turrell apparaît grâce à des dispositifs dissimulés, élaborés avec précision, et vient reproduire des phénomènes naturels que l’artiste amplifie et met en scène en véritable dramaturge. Dans l’ancien moulin, la partie la plus intime du lieu, la collection Venet comprend une centaine d’œuvres d’art contemporain qui côtoient ses créations historiques et plus récentes. Les meubles en acier oxycoupé, dessinés et réalisés par Bernar Venet, affirment leur sobriété. Plusieurs mouvements sont représentés dans la collection (Nouveau Réalisme, Art conceptuel, Art narratif). L’art minimal est toutefois plus important avec notamment des œuvres d’artistes que Bernar Venet avait rencontrés à son arrivée à New York en 1966 : Donald Judd (Untitled, 1972), Sol LeWitt (un Open cube de 1966, le premier de la série), Dan Flavin, (Untitled, to Hans Cooper, master potter, 1990), Robert Morris (Untitled, un feutre de 1969), François Morellet (Lamentable, 2006). Bernar nous conduit ensuite dans la galerie d’art, imaginée par les architectes Charles Berthier et David Llamata, au sein de laquelle se succèdent, chaque été, des expositions temporaires. Cette année, hommage au compositeur américain David Tudor (1926-1996), connu pour ses collaborations pluridisciplinaires. L’occasion de découvrir une pièce créée de concert avec la cinéaste expérimentale Molly Davies et Jackie Matisse (1931-2021), petite-fille d’Henri Matisse. Bernar Venet vient également de sortir sa biographie avec Catherine Francblin (éd. Gallimard). Après Tony Crag et Jeff Koons, les American Friends of Museums in Israel viennent de lui décerner le titre de l’artiste de l’année.

Sol LeWitt – Horizontal Progression 1991 – Beton – © Xinyi Hu – Courtesy Venet Foundation New York

Venet travaille sur de nombreux projets à venir à travers le monde. Nous repartons avec l’envie de revenir, de passer encore plus de temps, de jouer plus encore avec les pièces pérennes du parc, de passer et repasser dans le pont/œuvre d’art créé par Venet au-dessus du cours d’eau, d’écouter le vent dans les œuvres. Sept hectares d’art total qui nourrissent notre appétit de connaissance. « Ce n’est pas de l’art si ça ne change pas l’histoire de l’art », ajoute Venet.

Publications récentes

Bernar Venet. Toute une vie pour l’art, Éditions Gallimard, 2022
Venet Foundation, Éditions Bernard Chauveau, 2021
Stella Chapel, Éditions Bernard Chauveau, 2016

www.venetfoundation.org

Texte : Yves Mirande
Visuel à la une : Le Pont-tube © Serge Demailly, Courtesy Venet Foundation New York

– retrouvez l’article Création sur le Venet Foundation dans archistorm 116 daté septembre – octobre 2022