EXPÉRIENCE HÔTELIÈRE

LE BALLU… CHON DE THOMAS VIDALENC
HÔTEL LE BALLU, PARIS 9E PAR THOMAS VIDALENC, ARCHITECTE

Trop peu d’opérateurs hôteliers, même indépendants, confient la mission d’aménagement de leur établissement à l’architecte qui l’a construit ou restructuré. Mais à l’hôtel Le Ballu, Thomas Vidalenc non seulement a reconverti en quatre-étoiles les deux hôtels particuliers ayant abrité le siège de la Sacem, mais il y a aussi imaginé un voyage intérieur des plus « atypiques ».

Sous de bons auspices

Mêlant architecture et voyages, le contexte patrimonial au sein duquel voit le jour ce nouvel hôtel est étrangement prémonitoire.

Née en 1819, la Nouvelle Athènes est un vaste lotissement s’étant développé sur les pentes du quartier Saint-Georges. Il tire son nom du style architectural inspiré de la Grèce antique de nombre de ses hôtels particuliers. L’élite du mouvement romantique parisien y élira domicile, au sein de laquelle Eugène Delacroix, Théodore Géricault ou encore Gustave Moreau, George Sand, Victor Hugo, Alexandre Dumas et Frédéric Chopin.

Percée une vingtaine d’années plus tard entre la rue de Clichy et la rue Blanche, la rue de Boulogne fut rebaptisée en 1886 du nom de Théodore Ballu. Premier Grand Prix de Rome en 1840, cet architecte — peu connu du grand public — est pourtant l’auteur de quelques « monuments » de la capitale : église de la Sainte-Trinité (néo-Renaissance), beffroi (néogothique) de la mairie du 1er arrondissement, restauration de la tour Saint-Jacques et reconstruction de l’hôtel de ville de Paris incendié sous la Commune.

La très cozy réception avec son grand guéridon, ses petits fauteuils très sixties de Roman Modzelewski (Vzor) et tableau de Tauba Sarnaka.

C’est au numéro 28 de la rue que le peintre postimpressionniste Charles Wislin fait construire, en 1891, sa demeure. Riche héritier d’un chimiste ayant fait fortune dans l’industrie pharmaceutique, il commande — au retour d’un séjour à Amsterdam — à l’architecte Gaston Dézermaux une bâtisse néo-Renaissance flamande à la modénature de brique et de pierre non dépourvue d’une certaine emphase. L’artiste y vécut jusqu’à sa mort, en 1932, tout comme ses descendants y habitèrent avant finalement de la vendre, dans les années 1960, à la Sacem. S’étant également rendue propriétaire de l’immeuble Belle Époque sis au no 30, la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique réunit les deux hôtels particuliers pour en faire son siège social. L’ancien atelier de Charles Wislin, sous les toits, est alors transformé en studio d’enregistrement. En 2016, l’institution quitte les lieux que rachète, trois ans plus tard, la SAS Hôtelière de Paris.

ESTablissement de rêves

En 2004, Thomas Vidalenc livrait au travers de l’Hôtel de Sers — mitoyen du George V — une vision enfin contemporaine de l’hôtellerie de luxe à la française. Seize ans plus tard, la création de l’Hôtel Le Ballu prend le contre-pied des bavardages pseudo-historicistes des faiseurs de tendances et autres « atmosphéristes » qui polluent depuis une décennie l’hôtellerie parisienne. À ses yeux, l’hôtel fait partie intégrante du voyage, offrant à ses hôtes une sorte de « dépaysement » intérieur. Ici, le caractère architectural du lieu se suffisant à lui-même, le concept d’aménagement proposé s’en « dédouane » délibérément pour « s’orienter » vers un périple plus récréatif « habité » par des réminiscences de pérégrinations en Europe centrale du temps de Tintin ou du rideau de fer.

Pour ce faire, encore fallait-il restructurer à la perfection l’ensemble de bureaux pour sa nouvelle destination. La tâche étant d’autant plus complexe que le nombre de planchers et les hauteurs sous plafond divergeaient d’un immeuble à l’autre (deux cages d’ascenseur, deux escaliers). Les sous-sols ont été excavés pour accueillir un spa — avec piscine, sauna et salle de massage — et des locaux techniques. Les 37 chambres et les deux suites sont toutes différentes, tout en demeurant semblables. L’ancien passage cocher structure dorénavant bar et restaurant — ouverts au public — que complète la terrasse plantée s’étant substituée à l’ex-cour-parking.

La piscine-spa en clin d’oeil aux célèbres établissements de bains slaves (carrelage et briques de verre tchèques, globes dito Palais de la République de Berlin Est) et leurs vestiaires

Mais cette projection conceptuelle vers le passé ne pouvant en aucun cas s’abstraire des inévitables évolutions de nos modes de vie, Thomas Vidalenc jette aux orties certaines « pra-tics » hôtelières obsolètes. Les clients ne sont plus accueillis derrière un comptoir, mais invités à s’attabler confortablement autour d’un généreux guéridon. Dans la chambre, fini, les consoles-bureaux face au mur, ici une table haute à proximité d’une banquette (dessinée par l’architecte pour servir de lit d’appoint) permet de travailler confortablement ou encore de (petit-)déjeuner. En effet, elle a été subtilement équipée d’un élégant meuble-kitchenette également sur mesure, fort bienvenu quelques mois plus tard à l’heure du couvre-feu.

Pour les murs des chambres, le concepteur a retenu quatre monochromes — deux chauds, deux froids — que « cloisonnent », ton sur ton, de larges baguettes plates. Outre le fait de finaliser tout en les protégeant arêtes et changements de matériaux, elles sont un clin d’œil à la ligne claire de la bande dessinée si chère à Hergé, mais déjà présente dans les albums de Bécassine et de Zig et Puce.

Une grande partie du mobilier, des luminaires et des toiles disséminés dans l’établissement sont autant d’« extraits » du meilleur du design d’Europe de l’Est à l’époque de la guerre froide[1]. Les étonnantes briques de verre du restaurant et du spa proviennent de la République tchèque, tandis que leurs suspensions en nappe restituent en miniature celles des plafonds du palais de la République de Berlin-Est, découvert par Thomas Vidalenc après la chute du Mur ! Le salon en rotonde du bar évoque quant à lui un de ces relais de chasse où la nomenklatura venait passer le week-end, à moins que ce ne soit celui d’Ottokar IV — roi de Syldavie — dont Tintin tente de retrouver le sceptre ! Le souci du détail a été poussé jusqu’à commander au graphiste Benjamin Wrobel une police de caractères spécifique à l’hôtel Le Ballu.

Images, imagination, imaginaire lui confèrent toute sa magie, nourrie des passions et souvenirs de Thomas Vidalenc qui consacra son diplôme d’architecte à la conception d’un musée d’histoire à… Bucarest et réalisa par la suite plusieurs chantiers en Russie.

« Voyage, voyage plus loin que la nuit et le jour… »

FICHE TECHNIQUE 

MAÎTRISE D’OUVRAGE : SAS Hôtelière de Paris
ARCHITECTURE ET AMÉNAGEMENT : Vidalenc Architectes
GRAPHISTE : Benjamin Wrobel
TOILES : Tauba Sarnaka
AGENCEUR : James / Mobilier sur mesure : Perrouin.
MOBILIER : Artisan (Chaise Tito), Rex Kralj, Prostoria (oudoor), Vzór (réception)
LUMINAIRES : Kundalini, Marset
ROBINETTERIE : Cristina & Ondyna
SURFACE : 2 000 m2
DURÉE DU CHANTIER : 16 mois

Texte Lionel Blaisse
Photo Claire Israël et Marie Liszkay

Retrouvez l’Expérience Hotelière Hôtel Le Ballu, Paris 9e par Thomas Vidalenc, architecte dans Archistorm daté mai – juin 2021 


  1. 1. L’architecte slovène Niko Kralj, les designers polonais Jozef Chierowski et Roman Modzelewski ou leur collègue bosniaque Salih Teskeredžić, l’artiste-peintre constructiviste Tauba Sarnaka, Polonaise ayant émigré en France.