Avant d’être une ZAC, une zone d’aménagement concerté, avant d’être un terrain vague, avant même d’être un hôpital, l’adresse était celle d’une… folie, d’une villa de plaisance. Folie Beaujon ! Aucun sémiologue ne s’entend sur l’origine du mot : pour Antoine Furetière, fabuliste du XVIIe siècle, une folie n’est autre qu’une maison où « quelqu’un y a fait plus de dépenses qu’il ne pouvait, ou quand il a bâti de quelque manière extravagante ». Pour d’autres, la proximité avec quelques termes latins fait dériver l’expression du mot feuille et signe l’art de vivre à l’ombre d’un feuillage.

« Aménager le quartier du Faubourg-du-Roule et urbaniser ce terrain longtemps resté en friche, voilà le beau pari que nous nous étions fixés il y a de cela 17 ans. En 2004, lorsque le Conseil de Paris a confié à la SemPariSeine la convention publique d’amé­nagement, son but était de désenclaver le site. Les objectifs étaient ambitieux : améliorer la vie de quartier, ouvrir l’îlot sur son environnement, contribuer à la mixité sociale notamment par la création de logements. »

Nicolas Bonnet-Oulaldj, Président de la SemPariSeine

Allô l’Élysée ?

Le Palais présidentiel n’est qu’à quelques pas. La place Beauvau, pareillement. Les ambas­sades des États-Unis, du Royaume-Uni, du Japon, tout autant…

Aussi, les terrains de l’ancien hôpital Beaujon revêtent un caractère stratégique. Plus encore, à l’heure où l’État lance un important pro­gramme de centraux téléphoniques en 1973. De grandes réalisations sont décidées, motivées par l’essor technologique.

Structurellement, l’ensemble sous-terrain conçu par Pierre Large, architecte, occupe toute la largeur de la parcelle sur une longueur de 100 mètres vers l’intérieur de l’îlot depuis la rue du Faubourg Saint-Honoré. Il contourne cepen­dant l’ancien hospice dont il fragilise d’ailleurs les fondations. Le pourtour est pourtant fait d’une paroi moulée imposante. Le reste de la structure est, quant à lui, assez simple : poteaux, poutres et planchers. Les dimensions ont été étudiées pour accueillir, en surface, des arbres imposants mais aussi, pourquoi pas, des constructions. La trame répétitive de 4 mètres x 11 mètres impose toute­fois certaines contraintes en plus de déterminer l’implantation des éléments porteurs à venir. Si ces principes constructifs augurent un avenir plus urbain, d’autres dispositifs semblent chercher à contrarier ces prétentions. Des édicules techniques, par exemple, ont été créés en fonction des besoins du central, sans véritablement tenir compte d’un quelconque projet d’urbanisation futur. Essentiels au fonctionnement de l’équi­pement, ils permettent le renouvellement d’air (apport, extraction et refroidissement), le désenfumage, quelques apports de lumière, la circulation du personnel, l’accès au parking et les interventions d’urgence : jamais le central ne doit cesser de fonctionner.

Aussi, quand la Ville de Paris imagine dix ans plus tard réaliser des travaux et construire un nouveau morceau de ville, les réticences sont grandes. Quand en 2002, le dossier ressort, les mêmes résistances sont exprimées mais Paris doit inéluc­tablement évoluer. Par ailleurs, quid d’un central téléphonique aujourd’hui ? Les techniques ne sont plus les mêmes et la miniaturisation des dispositifs permet un immobilier moindre. Cela étant écrit, jamais la société n’a eu autant besoin de serveurs. Ainsi, une technique en chasse une autre et France Télécom, aujourd’hui Orange, sait profiter de ses infrastructures qu’une opération urbaine permet, in fine, de rénover.

Maxi hic pour mini ZAC

C’était un secteur sensible en friche, un site mystérieux… de fait, un lieu de projet », débute Philippe Loth, architecte-urbaniste, cofondateur de l’agence parisienne LLTR. À l’origine de la commande, une demande simple : penser un nouveau plan pour créer des équipements et des logements sur un terrain vierge de construction rue du Faubourg Saint-Honoré. La complexité est pourtant de mise. En sous-sol, le central télé­phonique dicte en effet ses contraintes. Tant et si bien, que des années durant, rien ne pouvait être imaginé sans l’accord de France Télécom.

L’État avait cependant, bien avant que ne débute la moindre réflexion, consenti à se défaire d’une partie du terrain attenant, rue de Courcelles, sur laquelle l’ombre du sous-sol ne portait pas atteinte. Vendue, la parcelle a aussitôt été construite pour qu’un hôtelier y bâtisse sa for­tune : scandale au Triangle d’or ! Le bien public, bradé au privé, provoque l’esclandre. Plus que la terreur des terminaux, la vindicte populaire téta­nise les terrains Beaujon. Si ceux-ci doivent être urbanisés, autant qu’ils servent la cause publique. Le secteur de plan-masse adopté en 1988 a ainsi été remisé.

Avec l’élection de Bertrand Delanoë, la nouvelle équipe municipale demande en 2002 à la SEMEA XV, ancêtre de la SemPariSeine, société d’économie mixte en charge, entre autres, de l’entretien et de la rénovation de la dalle du Front de Seine dans le 15e arrondissement, de rouvrir le dossier. L’agence LLTR est désignée pour y travailler. « Nous avons d’abord réalisé une faisabilité. La configuration du site relevait alors d’un coeur d’îlot mal rattaché à la ville malgré deux béances de part et d’autre de l’ancien hospice Beaujon », indique l’architecte. Les seuls accès sont à cette époque des servitudes destinées aux pompiers.

Les 27 et 28 septembre 2004, le Conseil de Paris approuve par délibération la modification du PLU. Il s’agit pour cette opération d’officialiser la mise en oeuvre d’un programme visant à désenclaver le coeur d’îlot en créant une voie de desserte depuis la rue du Faubourg Saint-Honoré et une liaison piétonne vers la rue de Courcelles ; à construire crèche, école, piscine et gymnase en dehors de l’emprise du central ; à créer un jardin public ; à bâtir contre les importants pignons mitoyens au-dessus de la dalle du central des logements sociaux qui font défaut dans le quartier ; à mettre en valeur l’ancien hospice Beaujon ; et à intégrer les édicules mais aussi tous les dispositifs nécessaires au fonc­tionnement du central téléphonique.

« L’enclavement du site, l’obligation de reconfigurer les fonctions vitales du central téléphonique, la nécessité de reloger certaines activités avant démo­lition, ont imposé une opération tiroir complexe qui a étalé l’aménagement du site sur plus d’une quinzaine d’années. »

Philipe Loth, Architecte co-fondateur, LLTR architectes urbanistes

« Les préoccupations techniques et technologiques liées à la présence du central n’ont pas détourné notre attention des autres détails, qui, tous, ont fait l’objet d’études patientes. C’était, je crois, une véritable dentelle d’aménagement ! »

Ariane Bouleau, Directrice générale, SemPariSeine

Reste, en suspens, la question architecturale. « Il y avait eu un projet urbain avant le nôtre, autrement plus monumental et uniforme qui avait éveillé des critiques notamment quant à son plan symétrique », se souvient Philippe Loth. La proposition signée en 1988 Biro & Fernier, mâtinée de postmodernisme, se voulait classique. Aussi, dans une vision plus contempo­raine de la ville, les cahiers des charges conçus par LLTR pour chaque opération sont volon­tairement plus souples afin d’autoriser une grande variété d’écriture. « Nous sommes, pour autant, à cette échelle, plus proches du grand projet architectural que de l’urbanisme », dit-il. Aussi, le mode de désignation des architectes fait l’objet d’une réflexion : s’agit-il de procéder par macro-lots – une technique d’ores et déjà éprouvée non loin, à Boulogne-Billancourt, sur les anciens terrains Renault –, par ateliers ou par concours ?

La complexité de l’opération condamne très tôt l’envie de la mairie de faire travailler architectes et urbanistes en « workshop », une manière qu’elle tente alors de mettre en place, rue Rebière, dans le 17e arrondissement. Une solu­tion plus classique est donc préférée, chaque lot fera l’objet d’un concours. Sept maîtres d’œuvre différents seront ainsi désignés.

« Dans une ville comme Paris, la qualité des ensembles urbains peut être également façonnée par la succession d’architectures ‘presque semblables’ », assure Philippe Loth. La capitale semble au début des années 2000 figée entre des discours encore postmodernes et une esthétique souvent néo-moderne. La ZAC Beaujon doit être l’occasion de dépasser ces questions stylistiques. « Nous avons alors souhaité donner le champ libre à des expressions diversifiées tout en respectant toujours les fondements de la morphologie traditionnelle, notamment les alignement et les gabarits », poursuit-il.

Quinze ans après les premiers travaux, au moment même où la dernière opération est livrée, la ZAC Beaujon propose un paysage qui reflète l’évolution des goûts et des débats. Elle présente parmi les premières façades en bois jamais réalisées à Paris ou encore l’intérêt plus récent pour des trames régulières que magnifient la pierre massive et le béton. « Chaque bâtiment assume son rôle urbain avec son écriture propre, contribuant ainsi à l’oeuvre collective qu’est la ville, avec plus ou moins de réussite et de pérennité, mais en affirmant la diversité architecturale recherchée pour l’aménagement de ce coeur d’îlot du Faubourg Saint-Honoré », conclut Philippe Loth. À croire, comme beaucoup l’assurent, que la liberté et la réussite sont filles de la contrainte.

« La ZAC Beaujon per­mettait un rééquilibrage dans le 8e arrondissement qui, historiquement, n’offre que peu de logements sociaux. Ce rééquilibrage passait aussi par un enjeu de réalisation d’équipements – scolaires et sportifs – dans cet arron­dissement totalement constitué où le foncier disponible est rare, pour ne pas dire inexistant. »

François Hôte, Direction de l’urbanisme, Service de l’aménagement, Mairie de Paris

 

Les projets :

Complexe sportif ZAC Beaujon de Paris, Jean Guervilly & Françoise Mauffret, 2014
maîtrise d’ouvrage : Ville de Paris
maîtrise d’oeuvre : Jean Guervilly, architecte mandataire
Loïc Guibert, architecte collaborateur
Jacques Rousselet, architecte collaborateur
surface : 5 584 m2 SDO
programme :
– Bassin ludique : 120 m2
– Bassin sportif 25×12 : 300 m2
– Salle de sports
– Salle d’escalade

18 logements sociaux, (apm) & associés, 2014
logements : SemPariSeine
équipements : DFPE
maîtrise d’oeuvre : (apm) & associés, architecte mandataire
surface : 4 905 m2
programme :
– 18 logements sociaux
– 3 équipements de la petite enfance

Groupe scolaire Beaujon Monceau, Ameller Dubois et associés, 2017
maîtrise d’ouvrage : Ville de Paris
maîtrise d’oeuvre :  Ameller Dubois et associés
surface : 4 700 m²
programme :  École élémentaire et maternelle de 18 classes et 3 logements de fonction

31 logements sociaux, une salle polyvalente et des commerces, MDNH, 2015
maîtrise d’ouvrage : SemPariSeine
maîtrise d’oeuvre : MDNH architectes
shon : 2 556 m² habitat, 445 m² équipement
shab : 1 940 m² (logements)
programme :
– 31 logements sociaux
– local d’activités
– salle polyvalente

Logements sociaux, KOZ Architectes, 2020
maîtrise d’ouvrage : SemPariSeine
maîtrise d’oeuvre : KOZ Architectes, architecte mandataire
surface : 3 285 m2 SDP
programme :
– 23 logements sociaux
– foyer de jeunes travailleurs (53 chambres)
– 2 surfaces de commerces

Un commissariat, 23 logements sociaux et une extension d’hôtel, NRAU – Nicolas Reymond Architecture & Urbanisme / PAN Architecture, 2021

« Rocamat a apporté son assistance aux architectes afin de faciliter le choix du matériau pierre. Son but était d’assurer le lien entre l’architecture du quartier et l’écriture plus contemporaine du projet.

Les deux pierres retenues sont la pierre de Sébastopol (qui tient son nom du boulevard Sébastopol où elle fut utilisée) et la pierre d’Euville (pierre de la Meuse, emblématique de l’architecture parisienne). Les pierres ont été sélectionnées pour leur teinte, leur grain et pour leur résistance mécanique nécessaire pour répondre aux contraintes du projet. »

Ana Hedan et Alain Rizzotto, Directrice Prescription et Grands Comptes / Directeur pose Rocamat

maîtrise d’ouvrage : Elogie-Siemp
maîtrise d’oeuvre : NRAU – Nicolas Reymond Architecture & Urbanisme, architecte mandataire
PAN Architecture, architecte associé hôtel
surface : 3 100 m² SU
programme :
immeuble mixte, de pierre et de béton poli :
– 23 logements sociaux
– commissariat
– extension d’un hôtel 4 étoiles

Texte : Jean-Philippe Hugron
Photos : Juan Jerez