EXPÉRIENCE HÔTELIÈRE

REM KOOLHAAS, L’INATTENDU
POTATO HEAD STUDIOS, SEMINYAK (BALI)
OMA (REM KOOLHAAS, DAVID GIANOTTEN ET KEN FUNG)

Le tout récent Potato Head Studios ouvert à Seminyak — dans le sud de Bali — ose un nouveau concept hôtelier réconciliant tourisme et vie locale indigène. Au vu de son architecture métissant béton texturé ocre-rouge et briques, difficile d’en attribuer la paternité à Rem Koolhaas, dont les tours futuristes De Rotterdam qui abritent entre autres l’hôtel nhow incarnent davantage la vision architecturale.

L’aboutissement d’un projet de longue haleine

Voilà plus d’une décennie que le jeune promoteur indonésien Ronald Akili — le fils de l’éminent entrepreneur et collectionneur Rudy Akili — se propose de renouveler l’hospitalité balinaise. Après des débuts en matière de restauration, il a amorcé en 2010 le projet d’un nouveau concept de resort touristique intitulé Desa Potato Head — desa signifiant « village » en indonésien — sur l’un des derniers terrains disponibles et calmes du front de mer de Seminyak. Proche de Denpasar — la capitale régionale de l’île — et de son aéroport international, cette station balnéaire de la côte occidentale, aux plages appréciées des surfeurs, s’est considérablement urbanisée avec l’avènement du nouveau millénaire. Mais le jeune entrepreneur déplorait que les nombreux resorts s’y étant implantés proposent tous des complexes très « exclusifs », destinés aux seuls touristes venus s’y baigner, manger et dormir, quasiment coupés de la population autochtone et de ses coutumes fortement inspirées de l’hindouisme.

S’inscrivant dans l’interaction entre les différentes cultures caractérisant la société balinaise, le concept de « village » que Ronald Akili préconise alors consiste à imaginer de rendre accessible à la communauté indigène une partie des aménités de son futur complexe touristique. « Chez Desa Potato Head, nous n’essayons pas de changer le secteur, nous voulons créer un modèle entièrement nouveau pour celui-ci. Si nous réunissons les gens pour de bons moments et leur offrons l’inattendu, cela leur ouvrira l’esprit de nouvelles manières. »

Vue aérienne du complexe restituant sa continuité et fluidité paysagère.

En 2015 voyaient simultanément le jour le Katamama Suites et le Potato Head Beach Club, combinant restaurants et 58 suites dans une architecture — y compris intérieure — résolument éthique. Dans le respect du « Be good, do good » et sous le crayon de l’architecte Andra Matin, les parois ont été érigées en briques locales, le mobilier fabriqué en teck autochtone, les assises tapissées de batiks indonésiens.

Pour concevoir le Potato Head Studios de 168 clés, le commanditaire fait appel à Rem Koolhaas. « OMA est connu pour la construction d’espaces publics, comme les musées et les institutions, et c’était aussi ce que nous voulions pour le Desa, à savoir créer un type d’institution culturelle qui mêle public et privé, invités et locaux, et réflexion future avec un savoir-faire ancestral.» C’est donc David Gianotten — aujourd’hui managing partner[1] à OMA dont il est associé depuis 2010, à l’époque à la tête d’OMA Asie-Pacifique basé à Hong Kong — qui pilotera ce chantier, jusqu’à sa livraison l’an dernier.

Projet (a)typique

Prenant le contre-pied de l’hôtellerie « exotique » de luxe du tourisme mondialisé et se revendiquant comme « authentique, non ethnique », ce concept hôtelier a été davantage imaginé comme un « creative center », d’où le choix de l’architecte néerlandais ! Si le nhow Rotterdam — aux chambres célébrant le béton brut et le verre — qui a investi l’une des trois tours siamoises De Rotterdam a permis à l’OMA de développer son activité hôtelière[2], ce programme sur l’île des dieux tient conceptuellement davantage de l’hôtel Furka Blick, un refuge estival des Alpes suisses rénové par l’office batave entre 1988 et 1991, devenu depuis une résidence d’artistes.

L’ensemble des habitations prennent place dans les deux étages d’un anneau carré périphérique et les trois du barreau médian orthogonal partitionnant son vide central en deux vastes cours. Le complexe étant construit en bonne partie sur pilotis, le regard le traverse depuis la voie publique jusqu’à la plage et ses aménités balnéaires, il en est de même pour la population indigène résidant aux alentours, invitée à prendre librement part aux activités du complexe aux côtés de la clientèle y faisant la découverte de la culture balinaise contemporaine. Ces deux « places publiques » accueillent en effet des fêtes, festivals, concerts et expositions, tout comme le parc de sculptures agrémentant les toitures-terrasses paysagées — accessibles par une rampe publique — hébergeant un bar panoramique faisant face au coucher du soleil, restaurants, piscines et spas. Ce dispositif opère la synthèse de deux traditions architecturales locales : les cours à rez-de-chaussée traditionnelles de Bali et celles surélevées du reste de l’Indonésie.

Skydome du bar en sous-sol, pilotis à rez-de-chaussée, loggias pour les chambres, terrasses aménagées en toiture : ici tout n’est que dialogue entre dedans/dehors.

Les corridors desservant les chambres s’abritent à l’arrière d’un très graphique claustra de briques dont le motif transpose en 3D ceux du tika, calendrier de divination balinais. Les refends des chambres et des suites offrent une version originale du béton planches avec sa teinte ocre-rouge lui conférant des allures de terre crue et sa finition brute texturée. Sobre, à la limite minimaliste, la décoration intérieure est due à Andra Matin.

Décidément, Rem Koolhaas ne cessera jamais de nous surprendre tout en ayant toujours l’élégance de mettre en avant ses associés et partenaires !

Fiche technique

Maître d’ouvrage : Potato Head
Architectes : David Gianotten, Ken Fung (OMA), Andra Matin
Paysagiste : Larch Studio
Éclairagiste : Switch
BET : Aurecon (TCE), DHV (acoustique)

Plan du rez-de-jardin


[1]. Finances et organisation.
[2]. Projets Hangzhou Prism en Chine et Race Course Road à Bombay, tous deux en cours.

Texte Lionel Blaisse
Photos Courtesy of OMA © Kevin Mak
Visuel à la une Performance dans l’une des deux cours traitées comme un espace public à vocation évènementielle largement ouvert sur la plage mais aussi à la clientèle et à la population locale.

Retrouvez l’article sur Rem Koolhaas, l’inattendu, Potato Head Studios, Seminyak (Bali) par OMA dans Archistorm daté mars – avril 2021