Il faudrait être aveugle et sourd pour avoir échappé à cette « épidémie », ainsi que la journaliste Margaux Darrieus la dénomme dans une récente chronique ; cette fièvre qui s’est emparée du microcosme francilien depuis le lancement de « Réinventer Paris » en novembre 2014, et agite depuis toute consultation en « offre globale » et autres « AMI » (Appel à Manifestation d’Intérêt).

Texte et Photos : Claude Labbé

Mais cette injonction à l’innovation tous azimuts[…] n’aurait pas étonné le grand Oscar Niemeyer qui déclarait que « l’architecture, c’est de l’invention ».
Pas davantage du côté du regretté Peter Rice pour lequel « toute solution implique une pensée originale, une contribution spécifique qu’il faut bien appeler une innovation. Le résultat n’a pas besoin d’être spectaculaire : il suffit que ce soit inédit ou même seulement original[1] ».
Tout un chacun pris dans l’urgence du quotidien n’a pas forcément le loisir d’avoir la hauteur de vue de ces deux figures du monde de la conception, et il est bon que nos édiles, dont il est d’usage aujourd’hui de s’interroger sur l’utilité de leurs fonctions, soient les initiateurs de ce remue-ménage – pour ne pas dire, remue-méninges.  […]

L’imagination au pouvoir : intérieur du Palais
Bulles d’Antti Lovag (1920-2014)

Le projet : une communauté d’intérêts partagés

Ayant eu moi-même l’occasion de participer à un certain nombre de ces AMI(s) et la chance d’avoir pu poursuivre dans l’épreuve du concours, j’aimerais apporter le regard d’un représentant du monde de l’ingénierie et de la technique vis-à-vis de ces consultations d’un nouveau style. […]
Pour l’ingénieur sollicité pour participer à ce type de consultation, c’est une formidable opportunité : celle en premier lieu d’apporter son expertise technique dans le champ de compétences qui est le sien s’il existe un enjeu technique particulier (il est rare que ce ne soit pas le cas, et peut-être, lorsqu’il n’est pas évident, faut-il le susciter ?) ; celle de mettre au service de l’équipe-projet tout à la fois la rigueur dont il est investi et la curiosité qui devrait être, chez lui, un automatisme ; enfin, c’est l’occasion d’enrichir sa démarche de conception par la compréhension, à leur contact direct, des logiques des autres intervenants à l’acte de construire, lesquelles, d’ordinaire, lui sont souvent étrangères. […]
Concernant la créativité, il est intéressant d’écouter Cédric Villani, Médaille Fields 2010, interrogé sur son apprentissage : « Pour commencer, (il faut éviter) d’en faire une obsession ! “Créativité” est un mot que l’on entend partout en ce moment, sous forme d’injonction. Il faut être créatif. Or la créativité, d’après moi, vient surtout de la capacité à intégrer beaucoup d’éléments émanant de son entourage, de discussions (…) ; c’est une affaire d’environnement, d’interaction avec les autres. »

Mais comment ne pas succomber à la tentation d’exercer son intelligence ?

C’est ici que le bât blesse : nos édiles, mais aussi les commanditaires de la maîtrise d’œuvre[2], doivent savoir que les réponses à leur légitime revendication en matière d’innovation nécessitent un temps de recherche, de doute, d’expérimentation qui doit faire l’objet d’une juste rémunération. Dans le cadre de ces consultations, on rémunère aujourd’hui l’investissement d’un avant-projet sommaire peut-être le dixième de sa valeur ! Mais comment ne pas succomber à la tentation d’exercer son intelligence ?
Dans l’ouvrage Les 101 Mots de l’ingénierie du bâtiment[3], l’ingénieur Romain Ricciotti écrit : « Les urgences urbaines, sociales, environnementales de notre époque imposent que l’ingénierie fasse partie maintenant du paysage et qu’elle soit enseignée et pratiquée au même titre que l’architecture, le paysage ou l’urbanisme, comme une discipline d’aménagement du territoire. » […]

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[1] In An Engineer Imagines, Éditions Le Moniteur, 1994.
[2] Au sens architectes + ingénieurs.
[3] Les 101 Mots de l’ingénierie du bâtiment, Éditions Archibooks, 1er trimestre 2016.


Illustration extraite Le xxe siècle d’Antoine Robida (1848-1926) >

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