La transformation des mobilités, la prise de conscience écologique, les défis posés par la densité, la rareté des ressources foncières, la flexibilité devenue incontournable de l’architecture sont des enjeux majeurs de la discipline. Dans ce cadre, le programme de parking n’est plus cet impensé de l’architecture et de l’urbanisme. Condensant un grand nombre de problématiques de ces deux disciplines, l’espace du stationnement est désormais l’objet d’attentions multiples.

Menée en 2018 par Eric Scharnhorst de l’Institut de Recherche pour le Logement Américain, une étude sur l’usage et le coût des surfaces de parkings aux États-Unis était illustrée par d’édifiantes photos satellite. Celles-ci pointaient le ratio déséquilibré entre les superficies bâties et celles des parkings bitumées, gigantesques et quasi vides. Cette démesure américaine ne saurait se prêter à la comparaison avec le contexte européen. Toutefois, l’espace du stationnement peut être, lui aussi, sous-utilisé. Il représente de même d’importantes réserves foncières aux multiples possibilités d’usages. Cette question a été prise à bras-le-corps par DPA-X, le laboratoire de recherche de Dominique Perrault Architecture et le groupe Indigo, leader mondial du stationnement et de la mobilité individuelle : 72 heures chrono, pour réinventer le parking souterrain, tel est le défi que les organisateurs proposent aux jeunes architectes de moins de quarante ans.

« Carpark Futures Competition » (carparkfutures.wiin.io), l’intitulé du concours international est on ne peut plus limpide. En effet, l’événement, qui se tiendra du 20 au 22 mai prochains, invite à interroger les potentiels architecturaux, urbains, techniques et environnementaux des parkings souterrains. En penseur visionnaire, Dominique Perrault avait déjà expérimenté la question des possibilités offertes par les sous-sols. On se souvient de sa proposition pour réinvestir les espaces souterrains du quartier des Invalides, dans le cadre de l’appel à projets urbains innovants « Réinventer Paris II », dont il était lauréat en 2018. Dans le cadre du workshop de 2022, il s’agira pour les participants de débrider leur créativité afin d’inventer de nouvelles fonctionnalités pour le parking du futur, tout en s’appuyant sur un site de stationnement existant au cœur d’Euralille. Ce nouveau morceau de ville, issu d’une grande épopée urbaine, avait été dessiné par le Néerlandais Rem Koolhaas.

Flexibilités

Souterrain ou aérien, infrastructure existante ou construction nouvelle, l’espace du parking est voué à dépasser la seule fonction de stationnement. En effet, son échelle et sa configuration en plateau libre offrent la possibilité d’y intégrer des fonctions annexes.

Ils peuvent aussi être imaginés comme des espaces flexibles, transformables dans le temps, selon l’évolution d’un quartier ou d’une ville. Déjà en 2011, la réflexion des architectes de l’agence lilloise TANK marquait les esprits : au sein d’un écoquartier pilote de la métropole lilloise, ils avaient anticipé de manière audacieuse la diminution future de la place de l’automobile. Alors que le concours portait sur la conception de deux bâtiments – une Ruche d’entreprises et un parking silo –, ils proposaient un seul volume pour les deux programmes. Sa conception rend possible la permutation des parkings en surface supplémentaire pour le secteur tertiaire. Jouant avec les mêmes accords que les bâtisses patrimoniales réhabilitées de cette ancienne zone industrielle, l’édifice est un exosquelette de béton rappelant la forme d’un nid d’abeilles avec ses alvéoles. Les plissements de façade consolident l’ossature et permettent de libérer des plateaux de 16 mètres de profondeur exempts de point porteur. Pour changer les parkings en espaces de bureaux, il suffit de cloisonner, d’ôter un enrobé et de poser des façades. Dans cet objectif, la qualité de tous les bétons a été particulièrement soignée. L’usage du parking n’en est que plus agréable.

Une décennie plus tard, l’agence parisienne Bruther livrait sur le campus de Saclay un bâtiment rationnel, lui aussi en béton, superposant deux niveaux de parkings, puis quatre de logements. En prévision de l’arrivée de la ligne 18 du Grand Paris Express, la superstructure offre, elle aussi, la possibilité d’une réversibilité des parkings en logements ou bureaux. Pour cela, la trame de 7,60 mètres correspond de manière juxtaposée à trois places de stationnement, ou à deux studios ou encore à un T4 pour la colocation étudiante. Les architectes ont joué avec la plasticité de la desserte des parkings. Elle prend la forme d’une double rampe monumentale à la Chambord, suspendue dans le vide grâce à l’accroche à des poutres de grande portée. Cet élément est démontable pour répondre à l’exigence de transformation du parking. Gageons qu’en cas d’introduction de nouveaux usages, le projet ne perde pas de sa superbe. Dérogeant au cahier des charges du concours, les Bruther avaient également misé pour le « pas de côté », en regroupant les deux programmes dans une construction unique.

Immeuble de logements étudiants avec parkings réversibles à Saclay par Bruther architectes © Maxime Delvaux

Zéro carbone

Le nouveau regard porté au programme de parking n’échappe pas à l’impérieuse nécessité pour la construction d’être vertueuse. Les agences danoises, Open Platform (OP) et JAJA Architects, en collaboration avec Rama Studio et les ingénieurs de Søren Jensen, ont imaginé un projet de parking entièrement en bois. Issu d’un concours dont le groupement fut lauréat en 2019, il sera réalisé dans la ville d’Aarhus. Ce principe de construction écologique est une première au Danemark pour un programme de parking. L’idée est au diapason de l’engagement du gouvernement danois à atteindre l’objectif de neutralité climatique d’ici 2050.

Au pied de l’édifice sera aménagé un parc s’étendant en jardin vertical sur la façade, laquelle accueille de grands balcons qui sont comme de mini places publiques. Outre son rôle esthétique, la végétation assurera la dépollution des sols et la fraîcheur de l’îlot. Elle absorbera également les pluies. Placé au centre d’un nouveau quartier, ce bâtiment, d’une superficie de 19 300 m2 en bois laminé CLT, comprend 2 000 m2 de fonctions annexes telles qu’une salle de gym, une galerie d’art et une cafétéria développées en rez-de-chaussée et au premier niveau. Le lieu fera également office de parking relais vers d’autres moyens de transport. Il intègrera des espaces de location de vélos cargos, une station de co-voiturage et un parking pour les véhicules partagés. En cours d’élaboration, ce projet montre que le parking n’est plus un simple conteneur de voitures. Il est un hub pour les nouvelles mobilités où tous les modes de transport sont intégrés dans la conception du projet.

À Copenhague, la même équipe de JAJA Architects a réhabilité un parking monofonctionnel. À travers leur intervention, l’infrastructure inerte devient un équipement public animé : la toiture, culminant à 24 mètres de hauteur avec vue imprenable sur le port de Copenhague, accueille un espace de jeux pour enfants et pour la pratique sportive. On y accède par un escalier promenade qui court sur l’ensemble de ses longues façades. L’enveloppe extérieure de l’édifice a été retravaillée. Pour en briser la massivité, des volumes correspondant à la trame structurelle s’accrochent à la façade. Ces derniers sont des bacs contenant des plantations grimpant sur les façades. L’impact dans la ville est de première importance, une barrière visuelle et physique est transformée en espace ludique et amène.

Mécano démontable

Sur le territoire français, à Dijon, un nouveau parking silo de 565 places, entièrement en bois, vient d’être livré par l’agence Graam Architecture. D’une très grande qualité architecturale, la construction répond à la nécessité d’un stationnement temporaire : au nord de la ville, la récente ZAC Valmy équipée d’une nouvelle clinique a entraîné une augmentation du trafic automobile. Lorsque la transition vers des modes de transports publics rendra caduc l’usage de la voiture, le caractère démontable du parking pourra laisser place à une nouvelle occupation du lot. D’une grande simplicité formelle, le projet offre une vêture régulière qui se déforme à l’ouest pour signifier clairement l’accès au parking. Le travail rigoureux du bois, intérieur et extérieur, est constitué d’assemblages constructifs extrêmement soignés qui, au final, incarnent une véritable esthétique architecturale.

« Pop-up » Projet expérimental d’espace public avec jardin, parking et réservoir d’eau par Third Nature avec Cowi et Rambøll ingénierie © Third Nature

Insertion paysagère

Dans la commune de Huertas de Caldes, en Catalogne, la morphologie singulière des lieux a généré un projet de parking qui s’affiche en premier lieu comme une intervention paysagère. La structure physique de la ville est façonnée par le passage de la rivière Caldes. Elle s’étage en une succession de plateformes en ruban toujours investies aujourd’hui par des activités agricoles. Toute intervention dans la cité se doit de préserver la beauté de ce paysage d’exception. Aussi le nouveau parking dessiné par les architectes Pere Joan Ravetllat et Carme Ribas s’insère-t-il dans cette logique de tectonique des sols en prenant la forme d’une terrasse supplémentaire. Étonnamment, celle-ci semble avoir toujours existé. La toiture plantée est une promenade publique qui développe une végétation déjà présente dans la ville, notamment celle des vergers. Depuis l’extérieur, on perçoit les murs de soutènement faits de gabions, dans lesquels des ouvertures sont ménagées pour la ventilation.

Adaptation climatique

La proposition la plus expérimentale reste celle de l’agence d’architecture danoise Third Nature qui s’appuie sur un programme de parking pour solutionner les problématiques auxquelles sont confrontées la plupart des grandes métropoles actuelles : partant du constat qu’en 2050, la population atteindra plus de neuf milliards d’habitants et que le changement climatique provoquera des migrations pressurisant les villes, ils envisagent les forces naturelles comme éléments moteurs du projet. De concert avec les ingénieurs de chez Cowi et Rambøll, ils ont développé un projet baptisé « pop-up » dont les configurations formelles et techniques visent à combler le manque d’espaces verts et publics, ayant pour corollaire l’impossibilité des sols à absorber les puissantes précipitations que connaît désormais notre planète.

Utilisant un système hydraulique sophistiqué, inspiré du phénomène naturel de la poussée d’Archimède, le projet imbrique un immense réservoir d’eau qui contient les niveaux de parkings. La partie supérieure au niveau de la chaussée publique est traitée sous forme de jardins publics. En cas de fortes chutes de pluie, l’eau torrentielle remplit le réservoir souterrain, faisant émerger les plateaux du parking. Lorsque les réseaux d’évacuation ont de nouveau la possibilité d’absorber les quantités d’eau, le réservoir se vide et la structure de parking redescend dans le sol. L’intérêt du pop-up est de résoudre plusieurs problèmes au sein d’un unique projet dont l’objectif est d’abord la qualité de l’espace public. Les premiers développements sont pour le moment à l’étude et appliqués à Copenhague et à Saint-John’s Park à New York.

Conclusion

Ainsi les infrastructures traditionnelles de parking sont-elles aujourd’hui profondément redéfinies. Loin de l’image classique du plateau normé, bitumé, marqué au sol par des bandes jaunes, nous voyons éclore des espaces au design sophistiqué, auxquels s’ajoutent des installations commerciales et ludiques et des structures intégrant des façades végétalisées et encore des terrasses en toitures pouvant être appropriées de manières multiples. On se souvient à l’occasion, que déjà en 1995, l’architecte Rem Koolhaas théorisait l’instabilité programmatique et la contamination des fonctions. Le parking n’y aura pas échappé, se voyant gratifié à l’occasion d’une réelle qualité architecturale. Jusqu’à récemment le parking était plutôt associé à la trivialité et la banalité, il est devenu un programme chargé de promesse, et la promesse est grande.

Texte : Sophie Trelcat
Visuel à la une : Parking en bois avec fonctions annexes à Aarhus par Open Platform (OP) et JAJA Architects avec Rama Studio et Søren Jensen ingénierie © Platform et JAJA Architects

— retrouvez le Dossier sociétal Parking et plus … si affinités dans Archistorm 114 daté mai – juin 2022