L’agence d’architecture AW2 – reconnue pour ses projets hôteliers d’excellence dans plus de 35 pays – vient de terminer son tout premier hôtel en Europe, et le tout premier hôtel alpin cinq étoiles du groupe Six Senses. Un travail autour du végétal, du minéral, de la lumière mais aussi de l’art compose ce projet ancré au cœur des pistes. Retour sur expérience !
L’arrivée à l’hôtel est digne d’un « 007 ». Depuis Chermignon, la voiture grimpe la route et avale les tournants serrés… Tout à coup, la route semble aller droit dans la montagne de granit. La voiture ne s’arrête pas pour autant et fonce plus encore à vive allure… Stupéfaction, elle s’enfonce dans un tunnel sombre jusqu’alors invisible, comme si la montagne bienveillante avait levé une porte dérobée pour nous laisser passer et nous accueillir en son sein. Nous nous retournons… le halo de lumière se fait de plus en plus ténu tant l’automobile s’enfonce sous la montagne… au détour d’un léger tournant, il disparaît. Les yeux tentent de s’habituer et soudain… nous arrivons sur un vaste rond-point souterrain au centre duquel se trouve une œuvre d’art solaire… la hauteur de la caverne est impressionnante… Ce vaste espace est revêtu de pierre, avec des inserts de lumières verticales tout autour. Le plafond est une structure en bois dont les lignes évoquent la surface de la roche des grottes de montagne. Expression contemporaine de la grotte s’il en est ! « Nous souhaitions que l’arrivée au Six Senses Crans-Montana reflète notre “narrative design” de la manière la plus forte possible. La première expérience que les visiteurs ont du projet est donc ce tunnel d’entrée qui conduit à̀ l’espace de dépose-minute », explique Reda Amalou. Bienvenue à l’hôtel Six Senses situé sur les hauteurs de Crans-Montana (Suisse). Ainsi, l’expérience que l’agence AW2 – dirigée par Stéphanie Ledoux et Reda Amalou, qui en a signé la conception – a souhaité développer est celle d’un voyage depuis les entrailles de la montagne jusqu’à la cime des conifères, guidé de bout en bout par la lumière et l’élévation des sens. Encore abasourdis par cette entrée jamesbondienne et ce dépose-minute, nous nous retrouvons devant un espace de réception, véritable sas de compréhension de l’hôtel avec l’ensemble des codes de la conception. « L’intention était donc de créer à la fois un fort impact visuel et un véritable sentiment d’arrivée, de façon à initier le récit du projet et à mettre tous les éléments en place pour le séjour des clients », poursuit Reda Amalou.
Dès le premier pas dans l’espace de réception, le ton est donné et le narratif du projet immédiatement compréhensible. Là encore, il s’agit d’un espace haut et minimal où des matériaux simples – pierre et bois – commencent à raconter l’histoire de ce qui va suivre. La lumière traverse de hauts panneaux ajourés et ouvragés, dont la géométrie s’inspire des constructions naturelles des branches et des aiguilles de pin, et cette lumière conduit les visiteurs. « Le lobby est très haut, très vaste, on ne voulait pas une sensation oppressante, mais un côté mystérieux et magique », sourit Reda. Le grand tapis qui représente les sous-bois a été dessiné par l’agence. Il se décline dans tout l’hôtel dans des tailles et des colorations différentes. Le mobilier chiné, comme les iconiques fauteuils Togo du designer Michel Ducanoy, parfaitement intégrés, accentue plus encore l’idée de maison de famille/déjà-vécu. Le comptoir en pierre préfigure son alter ego plus haut dans les étages, mais décliné cette fois sur 14 m de long en pierre granitée aux teintes vert d’eau.
Le canapé en velours vert d’eau a également été dessiné par l’agence voisine, magnifiquement, un tronc-banc rustique en bois taillé dans la masse sur lequel sont posés deux coussins rectangulaires en cuir miel. Comme si un artisan des montagnes était venu faire une offrande de son travail pour l’ouverture de l’hôtel. Les suspensions lumineuses aériennes participent à l’élévation et à la magie du lieu avec le travail sur le chêne de MAASTON anglais installé en Dordogne. À notre arrivée, on nous propose de fermer les yeux quelques secondes devant six grosses cloches de vache suspendues à une échelle par leur large bande en cuir. En fonction de l’état dans lequel nous sommes, notre instinct choisit une cloche sur laquelle est inscrit un des cinq sens plus une sur laquelle est inscrit « Intuition ». Après avoir fait retentir la cloche avec laquelle nous sommes entrés en vibration, nous découvrons nos chambres et suites. Pour les suites, « nous voulions donner l’impression d’arriver du froid dans une cabane dans les bois, un endroit un peu miraculeux où l’on se sentirait au chaud et en sécurité, tout en étant en contact direct avec la nature ». Ainsi, les chambres sont revêtues de planches de bois brut et d’un enduit couleur pierre. Les fenêtres couvrent toute la largeur de la chambre, avec de vastes balcons privés offrant des vues sur les pistes de ski, la forêt et la vallée. Les tons naturels de la pièce ont été choisis pour renforcer l’idée de nature. Les boiseries des murs ouvrent par des panneaux coulissants sur l’espace de la salle de bains, qui est comme creusée dans la montagne, entièrement en pierre. « Les suites que nous avons dessinées incarnent la conception du luxe développée chez AW2. » Un luxe discret, où chaque détail, de l’espace au mobilier, de l’éclairage à certains accessoires, est pensé pour créer un contact intime avec la nature. « Chez AW2, nous aimons concevoir des hôtels avec une structure narrative claire, qui procure une sensation unique au monde. Nous limitons la gamme de matériaux, créons des variations sur le même thème et établissons une continuité dans le design. C’est ce qui définit l’identité de nos projets. Cependant, nous jouons également sur l’idée de “destination dans la destination”. » Chaque espace est conçu dans la continuité́ narrative du projet, mais il raconte aussi sa propre histoire. Le projet initial imaginé par Jean-Pierre Emery – décédé trop tôt, en 2018 – comportait 120 chambres et un spa de 450 m2. Le projet poursuivi par l’agence AW2 ne comporte plus que 47 clés, mais un spa de 2 300 m2. Un escalier permet de monter au Alchemy Bar, où l’on apprend à créer ses propres produits cosmétiques à base de plantes et d’éléments naturels. Les salles de soins sont comme des cabanes de montagne nichées dans les bois. Elles sont organisées autour du jardin alpin, en contact direct avec la nature. Ces espaces, habillés de bois, contrastent avec le vert de la végétation à l’extérieur.
La zone des soins humides offre un moment unique d’expériences multisensorielles, le tout dans un espace aux murs incurvés, comme s’il était creusé directement dans la paroi de la montagne. La piscine intérieure du Six Senses Crans-Montana offre des détails et des matériaux sélectionnés à l’identique du reste du projet, l’espace ayant été pensé comme un plan d’eau au cœur d’une grotte de montagne. Les murs et les sols en pierre contrastent avec le plafond de 15 000 tasseaux de bois qui se reflètent dans l’eau de la piscine et créent un jeu de lumière avec les rayons du soleil filtrant à travers les bouleaux du jardin extérieur. C’est un espace suspendu dans le temps, où les saisons font partie de l’expérience sensorielle avec leurs changements de couleur et de texture – du vert de l’été jusqu’au blanc de l’hiver en passant par toutes les variations des demi-saisons. Le végétal et la lumière jouent donc un rôle essentiel au sein de l’hôtel. Le site est à 100 % occupé par le bâtiment. Les alentours ne laissaient pas beaucoup de matière pour végétaliser. « Une des idées a été de creuser le jardin alpin, qui est cet élément végétal central qu’on est venus poser à l’intérieur du podium ; on a créé cette passerelle qui est une réinterprétation des bisses, ces chemins en bois qui sont construits à flanc de falaise et qu’on retrouvait dans le Valais. » Cet élément végétal permet aux couloirs des chambres de recevoir la lumière naturelle.
L’autre solution a été le patio d’une des piscines et la superposition des deux piscines (extérieure et intérieure), les deux étant l’une sur l’autre en coupe. « On a utilisé les trois étages et demi pour avoir plus de hauteur sous plafond et ramener la lumière dans le bâtiment. » Le dernier élément important, lui aussi en lien avec la nature, est le choix des œuvres d’art. L’approche consiste ici à proposer des œuvres qui parlent d’une nature remplie de ses multiples nuances. Une nature vécue de l’obscurité à la lumière qui inspire l’émotion jusques et y compris dans les œuvres les plus abstraites. Une sélection de photographies, de sérigraphies, de peintures et de sculptures qui explorent la nature à travers ses quatre éléments : terre, eau, air et feu. Des œuvres d’art en parfait alignement avec les valeurs de Six Senses : bien-être, nature, esthétique, énergie positive, et qui offrent un voyage de découverte à travers les différents domaines de l’hôtel. Parmi les artistes retenus on note Nicole Holz, Vincent Villedieu, Patrick Kim-Gustafson (pour ses stèles en bois comme des personnages bienveillants), Thierry Hensgen pour ses totems, Jean Solombre, Roberto Nova, France Hilon, Hervé Bonhouvrier, Mykael Benard, Yann Masseyeff… la sélection des œuvres matche à merveille avec les espaces. Dialogue infini entre art et art appliqué dont aucun ne sort perdant, mais gagnant dans l’idée de sérénité bienveillante. Crans-Montana est une destination qui a été très à la mode dans les années 1960-1970. C’était LA destination ski, notamment avec les stars de cinéma. Pour autant, elle a toujours été une station globalement très sportive, et ce, hiver comme été, avec une tradition pas uniquement circonscrite au ski. On y pratique la randonnée, le vélo, le trekking, etc. C’est une station qui fonctionne les 365 jours de l’année depuis longtemps. Assurément, ce nouveau lieu de ressourcement va en faire une destination hyper prisée en toute saison.
Texte : Yves Mirande
Visuel à la une : Photo © Mikael Bénard, Six Senses Hotels Resorts Spas
— retrouvez l’article Senses dans Archistorm 122 daté septembre – octobre 2023 !