Ni au centre de Lyon ni à l’extérieur de la métropole lyonnaise, le campus universitaire de la Doua – aujourd’hui LyonTech-la Doua – se développe depuis 1957 sur une centaine d’hectares en rivage de Rhône, à proximité des parcs de la Tête d’Or et de la Feyssine, poumons verts de l’agglomération. Le 18 mars 1957, dans un après-guerre marqué par la reconstruction et l’essor industriel, mais freiné par un manque criant d’ingénieurs, naît l’Institut national des sciences appliquées de Lyon, qui doit tout à deux duos d’excellence, penseurs et concepteurs-réalisateurs. Le recteur Jean Capelle et le philosophe (et industriel) Gaston Berger imaginent une école d’ingénieur pas comme les autres que l’architecte Jacques Perrin-Fayolle, grand prix de Rome, et l’ingénieur-designer Jean Prouvé conçoivent et réalisent dans un délai record de sept mois pour, le 12 novembre, la première rentrée de 289 élèves ingénieurs, dont 14 filles. Dans une frénésie constructive, la Doua se muscle dans la dizaine d’années à suivre avec les arrivées de l’université Claude Bernard Lyon 1, de l’école de Chimie, aujourd’hui CPE Lyon, de l’école nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques, etc. Mais la quarantaine dépassée, le visage du campus se ride, victime d’un manque chronique d’entretien, d’une quasi-absence de relation avec son environnement, d’une absence de perspectives, etc. Dans la logique de ce constat s’enchaînent dans les années 2000 des schémas directeurs d’urbanisme – Urbino, Lipsky + Rollet, Dumetier Design – qui, s’ils présentent des différences d’intensité, partagent des objectifs : regroupement du domaine par filières, création d’une transversale nord-sud, renforcement du mail végétal est-ouest, création d’une perméabilité campus-ville, promotion d’un écocampus exemplaire et expérimental, etc.

La labellisation de la Doua « Opération campus » par l’état en 2008 lance la nécessaire restructuration LyonTech-la Doua 2025. Rajeunir le campus, sublimer son identité historique, amener les performances énergétiques et ergonomiques de 144 000 m2. au meilleur des standards actuels, fortifier la qualité environnementale, telles sont les ambitions de l’université Claude Bernard et de l’INSA Lyon 1, affectataires du patrimoine et à l’origine de ces réflexions. L’université de Lyon, maître d’ouvrage de l’opération de réhabilitation, confie la conception à l’équipe Carta-Reichen et Robert Associés, Patriarche, HTVS Architecture dans le respect de l’esthétique, des proportions et des matériaux d’origine, et la réalisation à Eiffage Construction, région Centre-Est, mandataire, et ses partenaires, dans le cadre d’un CREM (conception-réalisation-exploitation-maintenance). Les transports, la gestion de l’eau, la végétalisation et les performances énergétiques comptent pour autant d’enjeux de la transition recherchée. Alors que les contrat, projet, programme, qui régissent LyonTech-la Doua s’achèvent ou sont en voie de l’être, réfléchir à la stratégie 2023-2035 s’impose à tous les acteurs du développement d’un campus, territoire à enjeux : établissements, rectorat, collectivités. La feuille de route en cours de rédaction décline une triple ambition : réaffirmer LyonTech-la Doua comme secteur économique et d’innovation d’intérêt métropolitain ; offrir un environnement exemplaire d’enseignement, de recherche et de vie étudiante ; renforcer un campus vivant et ouvert sur son territoire.

« La première étape de cette entrée dans le XXIe siècle a déjà été franchie grâce à la réhabilitation de plus de la moitié des bâtiments d’enseignement et de recherche du site, la réalisation de plusieurs constructions neuves et au-delà, l’ensemble des travaux d’infrastructure tels que les quatre liaisons tram à l’horizon 2025, la réfection de plus de 5 km de voiries et les aménagements paysagers de grande ampleur comme l’Axe vert, véritable colonne vertébrale végétale de plus de 2,5 km en cœur de campus. »

Nicolas Coureau, directeur pôle stratégie immobilière, développement et vie des campus, université de Lyon

Joliot-Curie © Juan Jerez

Une réhabilitation d’envergure

Comment appréhender la difficile tâche de réhabiliter 22 bâtiments d’enseignement et de recherche scientifique et préserver leur exploitation ? Comment respecter une identité architecturale forte aux façades rigoureuses et tramées, et ce, tout en isolant massivement pour améliorer de 40 % les consommations de chauffage ? Cette réhabilitation rarement vue de quelque 140 000 m2 en site occupé devrait relever le triple défi de la réponse aux exigences actuelles de qualité environnementale, de la mise à niveau en termes de sécurité et de fonctionnalité et de respect d’un budget particulièrement contraint.

L’équipe de conception – Carta-Reichen et Robert Associés, Patriarche, HTVS Architecture – choisit de respecter le plus fidèlement possible la modénature des façades d’origine afin de préserver la continuité avec les bâtiments non réhabilités et l’unité globale du site tout en respectant les objectifs de performance. L’effort porte sur le travail de la fine peau des bâtiments dans le respect de l’esthétique, des proportions et des matériaux d’origine. L’isolation par l’extérieur des façades en béton côté université Claude Bernard appelle des matériaux minéraux qui reprennent le rythme et la finesse de l’existant, alors que l’isolation des façades métalliques côté INSA Lyon met en œuvre un complexe de murs à ossature bois en modules préfabriqués respectueux de l’expression d’origine.

Leur création était nécessaire, et ces verticalités se déclinent en une connexion innovante de type « plug » à la volumétrie simple et monolithique, adossée aux pignons des bâtiments et associée à des coursives extérieures pour la séparation des fonctions et la gestion des gaz en toute sécurité. L’approche environnementale de cet écocampus démonstrateur des bonnes pratiques, le recours aux matériaux biosourcés, le réemploi et la valorisation des déchets s’inscrivent dans la philosophie du référentiel HQE Réhabilitation de bâtiments tertiaires du certificateur Certivea, sans obligation de labellisation.

Rajeunir le campus, sublimer son identité historique, amener les performances énergétiques et ergonomiques au meilleur des standards actuels, fortifier la qualité environnementale, l’université de Lyon, maître d’ouvrage, l’université Claude Bernard Lyon 1 et l’INSA Lyon confient ce défi à Eiffage Construction, région Centre-Est, mandataire, et ses partenaires dans le cadre d’un CREM. Un tel chantier démarre obligatoirement par une réflexion sur l’organisation, la planification, la mise en œuvre des moyens, matériels et humains, en adéquation avec les attentes et les contraintes. Parce que réalisée en site occupé, cette opération de plus de 120 M€ HT sous-entend l’information d’utilisateurs pas nécessairement conscients des enjeux… Au fil des années, dans une montée des compétences, les équipes chantier à l’écoute des utilisateurs affinent leurs interventions. Jusqu’à une forme de maturité. Ces travaux rassemblent deux mondes antinomiques : l’industriel avec des éléments de façades répétitifs à poser après un chantier-test, en structure bois et bardage aluminium pour l’INSA, isolation par l’extérieur avec bardage alu à fixation invisible pour l’université ; le sur-mesure sur un chantier sectionné, sous contrainte d’espace et de temps, pour le chauffage, la ventilation et la climatisation. Ce chantier confirme que l’humain – 70 personnes pour le pilotage, 300 compagnons pour l’exécution – est le pilier de la réussite.

À la maxi-réhabilitation de 22 bâtiments regroupés au sein d’une même opération et avec une même maîtrise d’œuvre s’ajoute la réhabilitation du bâtiment Chevreul de l’agence Celnikier & Grabli, qui montre une autre réponse architecturale à un même programme et une même typologie de bâtiment. S’ajoutent également sept autres constructions neuves, Edgar Lederer, Irène Joliot-Curie, Jacqueline Ferrand, Sophie Germain, Élise Deroche, Axel’One et le Studio, à maîtrises d’ouvrage et financements multiples, réponses aux exigences contemporaines de l’enseignement, de la recherche et de la vie étudiante. L’adaptation au contexte d’implantation et aux enjeux urbains caractérise une architecture de qualité ; à chaque bâtiment son architecte pour symboliser la diversité et la richesse de l’objet construit et de son contenu.

Pour Axel’One Campus, Grand-Angle Architecture propose un bâti « process industriel », lieu d’innovation pour les biomatériaux et la biotechnologie des matériaux composites et du recyclage au service de chercheurs en quête d’ergonomie au travail, de sécurisation des pratiques et de facilité de maintenance avec des kits de recherche modulables en périphérie autour d’un patio lumineux central. Une double façade, vitrage et toiles tendues, joue de la transparence et des ombres portées, entre préservation de l’intimité et protection solaire, dans une perception renouvelée.

Concevoir un seul bâtiment, Irène Joliot-Curie, pour abriter deux fonctionnements différents – Institut des nanotechnologies de Lyon et filière Sciences et technologies du numérique de CPE –, telle est la gageure relevée par R&R Groupe A26, concepteur d’un volume unitaire aux façades parées de lames verticales en composite blanc. Leur graphisme en nanotubes de carbone exprime la vocation de l’institut. Le maillage des circulations intérieures organise la fonction transversale du bâtiment et la fluidité. Des cheminements indépendants, réponses aux nouvelles pratiques pédagogiques et aux laboratoires de pointe dont une zone blanche.

Conçu par Volume 2 Architecture/Chapuis Royer pour le service à la vie étudiante – cafétéria du Crous, espace de coworking en dehors des repas, locaux divers dont une salle polyvalente pour l’IUT Lyon 1, patio planté au coeur du projet et lieu d’exposition pour une œuvre de Florian Viel –, le Studio dialogue avec le vocabulaire architectural originel du campus avec ses matériaux bruts, des façades en béton gris clair et la ponctuation d’un habillage en acier Corten pour réchauffer l’ensemble.

Le bâtiment Jacqueline Ferrand de l’agence Garbit et Blondeau, figure de proue du pôle génie mécanique de l’INSA Lyon, répond à un double objectif, architectural et urbain : un, il reprend les symboles historiques du campus ; deux, implanté à proximité de l’entrée sur le campus, il l’identifie et affirme sa notoriété. Vertical et monolithique, habillé de béton blanc rappel des pignons historiques de l’INSA avec l’excroissance de l’amphithéâtre capotée d’une vêture d’acier Corten oxydé, il s’ancre dans le paysage. Installé dans la pente, un amphithéâtre végétal facilite l’accès depuis le domaine public et favorise la biodiversité et le traitement des eaux pluviales.

 

« Personne, maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre, entreprises, n’avait mesuré ce qu’implique de passer de la théorie à la pratique sur ce type de chantier. »

Jean-Christophe Terrier, directeur délégué d’Eiffage Construction, région Rhône-Loire

 

Texte : Pierre Delohen
Visuel à la une : Photo © Juan Jerez

— retrouvez l’intégralité de l’article sur le Campus Lyon Tech – La Doua dans Archistorm 123 daté novembre – décembre 2023 !