EXPÉRIENCE HOTELIÈRE

À LA DÉCOUVERTE DE L’HÔTEL PARCO DEI PRINCIPI

 

 

L’exceptionnelle exposition Tutto Ponti du Musée des Arts Décoratifs rend hommage – jusqu’au 10 février – au talent polymorphe de Gio Ponti. L’une des period-rooms restitue une chambre de l’hôtel Parco dei Principi que l’architecte-designer conçoit à Sorrento en 1960. Toujours en service aujourd’hui, sa modernité originelle est plus que jamais d’actualité et serait en droit de rivaliser avec le célèbre SAS Royal Hotel Copenhagen d’Arne Jacobsen, inauguré la même année !

 

Né en 1891 à Milan où il décède à 88 ans, Gio Ponti incarne l’un des plus atypiques et prolifiques acteurs de la modernité italienne. L’éclectisme de sa production et son ouverture d’esprit l’apparentent  à ses illustres prédécesseurs de la Renaissance. Architecte, designer, directeur artistique-fondateur de Fontana Arte, il crée dès 1928 le magazine « d’architecture domestique » Domus, avec pour mission « l’éducation sentimentale » d’une bourgeoisie d’affaires milanaise et romaine regardant jusque là dans le rétroviseur pour choisir son mobilier afin de l’éveiller à la modernité.

Profondément inspiré par la riche culture de son pays, il n’en nourrit pour autant aucune nostalgie, convaincu, comme Rimbaud qu’« il faut être absolument moderne ! » Si sa carrière l’amène à pratiquer la céramique (directeur artistique de l’entreprise Richard Ginori) ou la fresque (université de Padoue), il réussit à transposer l’éclat de ces arts ancestraux – qu’ils soient étrusques, romains, toscans ou italiens –  et de leurs pratiques et sujets dans la lumière du monde présent.

« Le passé n’existe pas… dans la culture tout est simultané… seul le présent existe. Le présent contient le passé et imagine le futur. » Gio Ponti

 

Fascination méditerranéenne

Passionné dès les années 1930 par l’habitat méditerranéen et son osmose avec la nature, il imagine en 1938 un projet d’hôtel dans les bois à San Michele sur l’île de Capri aux allures de hameau quasi vernaculaire en rive de falaise. Appelé à aménager des navires de croisières, il en fait des ambassades flottantes de l’art de vivre à l’italienne.

En 1954, l’ingénieur napolitain Roberto Fernandes fait appel à Gio Ponti pour agencer les chambres du Royal Continental Hôtel qu’il fait construire dans sa ville natale à l’emplacement d’un Grand hôtel divinement implanté en face du Castel dell’Ovo. L’architecte milanais y conçoit aussi la piscine du roof-top, toute en rondeurs.

« Je hais les piscines rectangulaires ; les lacs et les rivières sont-ils rectangulaires ? » Gio Ponti

Ayant racheté un ancien palais en ruine dans le parc de la Villa Siracuse à Sorrento, sur la péninsule amalfitaine – extrémité méridionale de la baie de Naples et promontoire sur Capri – le même commanditaire confie à nouveau à son ami l’aménagement intérieur et les jardins du nouvel établissement hôtelier. Edifié par Nino Rinaldi en couronnement de la côte rocheuse, le Parco dei Principi  offre à ses hôtes une vue de carte postale panoramique sur toute la baie ainsi que sur le Vésuve.

 

Immersion chromatique

Les escarpements spectaculaires de la côte amalfitaine plongent ses visiteurs dans un univers quasi monochromatique où le bleu du ciel s’unit à celui de la Méditerranée. Ce sera donc cette sensation qui va guider le pinceau de Gio Ponti, pratiquant tantôt le pointillisme, tantôt l’aplat (en écho à la toile azur que livre la généreuse baie libre des chambres donnant via sa porte laquée bleu sur des terrasses ou balcons). Il a ainsi l’art de démultiplier les clins d’œil. Les tableaux, voussure et tablette des fenêtres sont carrelés d’outremer, les sols des habitations et de leur belvédère extérieur se parent de compositions toutes différentes obtenues à partir d’une centaine de carreaux fabriqués par Ceramica d’Agostino (Salerne) déclinant à l’infini des géométries alternant la clarté céleste et les  profondeurs marines avec du blanc. La palette se poursuit à l’intérieur dont la blancheur prédominante des murs et des draps valorise encore davantage les tapisseries unies des assises, du sommier et le stratifié du mobilier à structure de bois blond, têtes de lit comprises.

Ces dernières intègrent ingénieusement – à la façon d’un tableau de bord – liseuses en applique, appareillage électrique, radio, téléphone, chevet et porte-bagage afin de satisfaire à la philosophie mobilière prônée par le maître milanais dès 1936 : « encombrement minimal, flexibilité maximale, mobilité aisée ». Le bureau-coiffeuse adossée à la fenêtre permet à la cliente d’interposer son visage via son miroir circulaire dans le grand paysage alentour ! Le meuble réinterprète aussi le grand principe récurrent de l’architecture pontienne, à savoir la « fenêtre habitée ».

Dans les parties communes, les céramiques deviennent des tapis de sols, « distinguant » les espaces et signalant les contremarches. Aux murs, ici et là un patchwork de faïences plus artistiques et plus pales. Autour de la niche de la réception une calade céramique de couleur ardoise (Ceramica Joo) s’anime de losanges et guirlandes en galets blancs, décor que le bar reprend en négatif. L’allusion aux grottes des jardins baroques est plus que probable.

Si l’on y retrouve plusieurs de ses meubles et sièges (dont la Superleggera), Gio Ponti n’hésite pas à les parier à des modèles signés par Ico Parisi et Carlo de Carli ou encore des Norvégiens Rolf Rastad et Adolf Relling, jouant sur l’unicité chromatique des garnitures afin de garantir une certaine cohérence.

 

Trois ans plus tard, Gio Ponti livrera le Parco dei Principi de Rome, non loin de la villa Borghèse qui inspirera la dominante émeraude de son ambiance, hélas n’ayant pas survécu à sa vente !

À défaut de pouvoir séjourner à celui de Sorrente – délectation architecturale garantie face à « la forme achevée » si chère au maestro milanais – précipitez-vous au Musée des Arts Décoratifs !

 

 

Texte : Lionel Blaisse
Photos : Courtesy Parco dei Principi