Un hôtel qui vous ca « geôle »
À l’extrémité occidentale de l’acropole biterroise, l’ancienne prison construite au XIXe au pied de la cathédrale Saint-Nicaise s’est muée en un trois-étoiles embrassant la plaine du Narbonnais arrosée par l’Orb et le canal du Midi.

 

Béziers, l’insoumise Triomphante

Les traces les plus anciennes remontant au VIIe siècle avant JC, la Betara grecque est avec Massilia l’une des cités les plus anciennes de France. Elle doit aux Romains son amphithéâtre. La ville médiévale fut mise à sac et sa population massacrée en 1209 lors de la croisade contre les Albigeois. Sa cathédrale actuelle vit alors le jour au sommet du promontoire dominant la ville. S’étant révoltée en 1851 contre le coup d’État du prince-président Louis Napoléon Bonaparte, 70 manifestants périrent sous les tirs de l’armée tandis que les survivants furent déportés en Guyane ou en Algérie. C’est pourtant bien au XIXe siècle que la ville – autoproclamée capitale mondiale du vin – connaît son apogée – sa population y ayant quintuplé – et se transforme dans un esprit haussmannien. L’effondrement du marché viticole y provoque en 1907 la révolte des vignerons qui frise l’insurrection lorsqu’un régiment d’Agde fait sédition et rejoint les révoltés. Clemenceau parvint difficilement à désamorcer la crise.

© camillegharbi

Reconversion laborieuse

Conçue dans un style néo-roman en 1846 et achevée onze ans plus tard, la prison de Béziers ne fut vraiment opérationnelle qu’à partir de 1867 et agrandie jusqu’en 1880. Prévue pour 48 détenus, cette maison d’arrêt de sous-préfecture en hébergea près de… 300 dont des femmes ainsi qu’une guillotine utilisée à neuf reprises entre 1939 et 1949. Elle ferma définitivement six décennies plus tard à l’ouverture du nouveau centre pénitentiaire du Gasquinoy sur la commune. Plusieurs scènes du film Omar m’a tuer y furent tournées par Roschdy Zem en 2010.

Vraiment exceptionnel, son site est en plein secteur sauvegardé – le deuxième de l’Hexagone de par sa superficie[1] – mais la morphologie et la distribution de l’ancienne prison complexifient sa reconversion. Sept niveaux uniquement accessibles depuis le quatrième, trois étages de vingt cellules dont douze autour de l’atrium central, peu de grands espaces, murs épais aux ouvertures exiguës, vétusté de l’ensemble… Si la situation et le panorama attirent les grands opérateurs hôteliers, tous renoncent à y « ouvrir » un quatre ou cinq étoiles au grand désespoir de la municipalité dont les projets d’aménagement de l’Acropole – autour de l’ancien palais épiscopal bientôt transformé en grand musée de Béziers – et sa liaison avec les Écluses de Fonseranes intègrent une nouvelle destination pour sa prison.

© camillegharbi

Travail, famille, patri… moine

Finalement, l’architecte montpelliérain Philippe Bonon entrevoit après avoir visité les lieux la possibilité d’une reconversion hôtelière plus modeste en trois étoiles. Avec son fils Max restaurateur et ses amis Maxim et Tatiana Halimi – diplômés de l’école hôtelière de Lausanne, leur père Michel Halimi et l’acteur Christophe Lambert, il fonde Mando Hospitality pour mener à bien cet ambitieux projet. Deux autres hôtels et huit cafés et/ou restaurants ont suivi depuis à Montpellier, Marseille, Paris, Beaune et Grabels.

L’étroite collaboration avec la Ville, l’ABF et les pompiers a permis de surmonter les nombreuses contraintes réglementaires en suggérant des mesures compensatoires techniquement et économiquement réalisables. Si l’accueil des hôtes s’opère depuis la cour donnant sur la place des Albigeois où se situe le parvis de la cathédrale, un second accès a pu être créé trois étages plus bas pour desservir le bar-restaurant depuis l’esplanade aménagée à l’entrée des jardins du Palais épiscopal où aboutit désormais un ascenseur public.

© camillegharbi

Il était demandé au maître d’œuvre de conserver certaines caractéristiques du précédent état pénitentiaire : si les passerelles et coursives de l’atrium ont bien été restaurées à l’identique et la largeur des portes des cellules conservées bien qu’étroites, la création de deux chambres à partir de trois cellules – celle intermédiaire étant partagée en deux salles d’eau – fut autorisée avec percement des murs et le généreux agrandissement des fenestrons éclairant la partie couchage. Le concepteur confia à Fanny Bonon l’appropriation graphique des parois et de leurs histoires (graffitis, traces de pigments…) sous forme de réjouissantes récréations murales dans cet univers plutôt monacal. Occupant les deux ailes parallèles à la place des Albigeois, de plus amples habitations – de 18 à 66,5 m2 – complètent la cinquantaine de clés. Un ascenseur s’y est substitué à l’ancien monte-charge tandis que plusieurs escaliers supplémentaires ont été nécessaires à la sécurisation de l’édifice.

Dans les soubassements davantage piranésiens, des salles de réunion et de (petit) séminaire ont investi les cours rayonnantes du niveau le plus bas (décavé de près d’un mètre) où se trouvaient une vingtaine de cachots désormais inutilisés. Les épais murs de cet ancien demi-camembert ont servi de fondations à la structure métallique du restaurant panoramique semi-circulaire dont la terrasse détrône l’ancien tour de ronde. Des céramiques de Claude Bonon animent les contreforts du bar installé sous une des parties lambrissées de cette incroyable vigie vitrée tout du long. Tapis classiques, banquettes, chaises bois très fifties ou métal plus seventies, suspensions y décomplexent l’ambiance des repas.

© camillegharbi

Surplombant un tronçon du tour de ronde, l’ancienne cour des femmes accueille dorénavant un bassin de nage et son solarium face au grand paysage Narbonnais.

Malgré la pandémie de Covid, l’opération a été menée en un peu plus de quatre ans dont six mois de curage (400 m3 de gravats évacués) et quatorze de chantier réalisés par une vingtaine d’entreprises en corps d’état séparés.

 

Une vraie destination de carte postale !

 

Fiche technique:

Superficie : 3 000 m2 SDP
Budget KT : 4 500 000 €
Maître d’ouvrage : Mando Hospitality
Architecte : A+Architecture

[1] 235 ha lors de sa création en 1992 portés à 288 ha en 2022 / 35 monuments historiques inscrits ou classés

Texte : Lionel Blaisse
Photos : Camille Gharbi

— retrouvez l’article dans Archistorm 127 daté juillet – août 2024