PATRIMOINE

LA VILLE ET SES JARDINS : CHRONIQUE D’UN DIALOGUE INTIME (XIXe SIÈCLE)

Le jardin participe-t-il à la fabrication de la ville ? Est-il le moteur du développement, économique et urbain, de nouveaux quartiers ? La réponse paraît aller de soi si l’on évoque la ville actuelle : le jardin accompagne aujourd’hui l’évolution urbaine comme peut-être il ne l’avait jamais fait auparavant. Rares sont, en effet, les projets d’aménagement dont l’attrait n’est augmenté par un espace de verdure qui, s’il est bien un lieu de délectation et de respiration, constitue aussi un enjeu foncier.

La relation ville/jardin n’est pourtant pas univoque : le jardin fait vendre, certes, mais il occupe un espace d’autant plus cher qu’il s’agit d’une ville dense, pour prendre ici l’exemple de Paris. Quelles que soient les modalités et conditions de sa création, il entretient de ce fait avec la ville, et plus précisément avec l’espace construit, un rapport à la fois intime et conflictuel. En cela, il est un excellent baromètre de l’évolution urbaine de la capitale, depuis le milieu du XIXe siècle notamment. Le doublement de l’espace parisien provoqué par l’annexion des communes limitrophes, en 1860, est en l’occurrence une étape cruciale dans l’histoire des jardins parisiens. Jadis privé ou attaché à une institution religieuse, le jardin entre dans le domaine public et joue un rôle structurant dans le paysage urbain. Seul le jardin des Tuileries, redessiné par André Le Nôtre à partir de 1664, avait jusqu’alors pris part à la physionomie de la ville : en réunissant le palais au jardin, en retraçant les allées, en transformant les murs en terrasses de façon à ménager des vues, enfin, en ouvrant le jardin sur l’horizon, le jardinier s’était fait également urbaniste, et les Tuileries, de jardin délectable, étaient devenues l’instrument d’une véritable « conquête de l’étendue[1] ». Comme Versailles s’organisait le long des axes qui menaient au château, Paris avait pour vocation d’étendre son développement jusqu’aux terrasses de Saint-Germain. Le jardin n’apparaît plus alors comme un enclos ; il s’empare du territoire pour le tracer et l’ordonner.

Colonnade du parc Monceau, anonyme, photographie, XIXe-XXe siècle, musée Carnavalet, Histoire de Paris, PH82782, CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet

Le système des « espaces verdoyants » de l’époque haussmannienne prolonge cette pensée en faisant du végétal un instrument d’aménagement à toutes les échelles de la ville. Il ne s’agit plus tant, à cette époque, d’ouvrir Paris sur le territoire que de l’unifier en assimilant des territoires nouveaux à la capitale, c’est-à-dire en les équipant : le système des « espaces verdoyants » s’inscrit dans une approche globale de la ville et de ses réseaux. La création du parc Monceau, à la place du jardin anglo-chinois créé par Carmontelle de 1773 à 1779, illustre notamment une nouvelle manière de concevoir le jardin et son insertion dans la ville. Acquis par l’État en 1852, exproprié par le préfet Haussmann en 1860, le domaine de la « folie Monceau » est amputé de 60 % de sa superficie pour la construction d’un ensemble d’hôtels particuliers ; il est dans le même temps transformé par Jean-Charles Adolphe Alphand, qui conserve une partie des éléments d’origine (le petit pont, la naumachie), tout en y appliquant le vocabulaire propre au jardin du Second Empire. Deux phénomènes se croisent ici : la réduction, certes, des jardins au profit d’une rentabilisation maximale du sol, mais aussi l’ouverture au public d’anciennes propriétés privées, un type d’opération que l’on retrouve, à une échelle plus modeste, avec l’ouverture de l’actuel square Hector-Berlioz, place Adolphe-Max (9e).

[1] Jean Castex, « Grands jardins du XVIIe siècle. Du jardin délectable à la conquête de l’étendue », in Les Parcs et jardins dans l’urbanisme parisien, XIXe et XXsiècles ; coll. Paris et son patrimoine (dir. Simon Texier), Paris, Action artistique de la Ville de Paris, 2001, p. 32-45.

Texte : Simon Texier
Visuel à la une : Jardin des Tuileries © Judith Ekedi Jangwa

Retrouvez l’intégralité de l’article dans Archistorm daté Juillet-Aout 2020