PORTRAIT D’AGENCE

JIM CLEMES ASSOCIATES
LUXEMBOURG, PARIS

On devine nouvelle l’agence aux lignes épurées, au parement de lames de bois ajourées, d’une volumétrie simple R+1, R+2, R+3 à l’emprise généreuse, dans ce bâtiment sur rue doublé en profondeur, auquel on accède par un cheminement paysagé. Pas de stuc sur la façade, mais à l’entrée un bandeau vitré reliant les deux entités.

C’est ici ? Pourtant, en marchant jusqu’au 120 de la rue de Luxembourg à Esch-sur-Alzette, après avoir « googlisé » l’adresse de l’agence Jim Clemes Associates au Luxembourg, on s’attend à trouver une devanture historique ornée, début XXe siècle, exhibant l’enseigne anachronique gravée à l’ancienne dans la pierre « Architecture et Design ». À droite, toujours sur Google : une simple façade gris foncé, le bas tagué, un bandeau « bois vitré » correspondant aux combles. Ce concentré de registres est supposé être l’agence Jim Clemes Associates. Première énigme.

Car rien de cela. L’agence à la volumétrie rigoureusement contemporaine fait bien face à la friche d’un ancien site de l’industrie sidérurgique luxembourgeoise d’Esch-sur-Alzette, dont la haute cheminée de briques remplit déjà sa nouvelle fonction de signal historique. Le quartier est en mutation.

La nouvelle agence à Esch-sur-Alzette, au Luxembourg © Julien Swol

Après avoir franchi le seuil de cette généreuse volumétrie de l’agence nouvelle se pose d’emblée la deuxième énigme. La notoriété de Jim Clemes est grande dans ce milieu international de l’architecture, certes. Mais ces locaux sont si vastes ! Répondent-ils au seul besoin de surface de l’agence ? Quel effectif ? Soixante-dix personnes ! Que pourraient-ils abriter d’autre ? Un vaste accueil, des œuvres d’artistes, des visages très affables dès l’entrée… tous les ingrédients de la grande agence. Mais tout de même, quel volume !

Dans la salle de réunion, conçue avec efficacité — grande table, vaste écran, toute la technologie permettant de converser en plusieurs langues à travers le monde entier —, les associés s’installent et racontent. En 2014, l’ancienne agence a été la proie d’un incendie. Jim Clemes était établi depuis trois décennies dans l’ancienne boucherie familiale, affûtant son outil après avoir changé l’enseigne. Et puis, en pleine nuit, à trois heures du matin de ce fameux 9 décembre 2014, tout a brûlé.

Au lendemain du choc, il faut se réinventer, vite. Fort heureusement, le serveur est épargné. Sise à proximité, une maison de contremaître d’ArcelorMittal abrite immédiatement les équipes d’architectes. Puis est édifié dans son parc un pavillon, annexe provisoire et occasion d’explorer le sujet de la construction éphémère en bois aux lignes épurées. Ce pavillon aura été utilisé jusqu’en 2020 : la plateforme entièrement transportable et recyclable part cette année vivre une seconde vie.

Le bandeau vitré de l’accueil © Julien Swol

Pimpante, la vraie, la nouvelle agence, encore peu investie en raison du télétravail induit par la crise sanitaire, est déjà bien occupée. Les très grands et doubles écrans des ordinateurs où se déploient les projets, les dessertes blanches qui accueillent les plans dépliés, discutés, griffonnés, retravaillés inlassablement. Le béton nu — des murs périphériques, des poteaux, du plafond —, beau et lisse, structure l’intérieur au sein duquel viennent s’immiscer les volumes du mobilier, les textures : le fameux sol en caoutchouc à pastilles noir, pérenne, le tissu boutonné gris des chaises confortables, le bois, les échantillons de la matériauthèque… 1 200 m2 pour 70 personnes, qui ne demandent qu’à se remplir, qu’à fourmiller une fois la crise sanitaire dépassée.

La nouvelle agence résonne comme un acte de résilience, à l’image de Jim Clemes, son fondateur.

Jim, luxembourgeois, a créé sa structure en 1984 dans sa ville natale après avoir été diplômé de l’École spéciale d’architecture de Paris, avoir obtenu un Bachelor Degree à la Miami University d’Oxford, dans l’Ohio, et s’être enrichi d’une expérience au Service des sites et monuments nationaux. Le lancement de sa propre structure s’opère dans un climat de pleine dépression, dû au déclin de l’industrie du fer dans le bassin minier. Jim Clemes y voit l’occasion d’une redéfinition. Son enthousiasme lui permet de concevoir des projets novateurs au cœur des sites industriels devenus obsolètes, apportant l’espoir d’une vie nouvelle, d’urbanité et d’écologie. L’année 2013 ancre l’agence dans une dimension européenne avec l’ouverture d’une antenne à Trèves, en Allemagne. Suit Paris en 2017, avec, en sus, l’intégration de quatre associés.

Aujourd’hui, ils sont six associés à la tête de l’agence : Jim Clemes, Ingbert Schilz, depuis 2011 (architecte BDA et architecte d’intérieur, université des Arts appliqués de Rhénanie-Palatinat, Trèves), Gaby Krump (architecte RWTH, Aix-la-Chapelle), Lynn Ansay (architecte d’intérieur, École nationale supérieure des arts visuels de La Cambre, Bruxelles), Caroline Thill et Mathieu Nicol, architectes (École nationale supérieure d’architecture de Paris-Val de Seine).

Le renouvellement des générations est assuré, l’adaptation aux évolutions du métier effectuée dans un esprit de complémentarité, d’enrichissement des outils et des compétences. La hiérarchie n’est pas ressentie. La créativité est basée sur l’échange. Pour preuve, les projets menés par l’agence parisienne : « L’architecture intérieure du siège de Novartis à Rueil-Malmaison, le groupe scolaire d’Osny aux façades bois déployées, situés en région parisienne, etc. sont autant de projets générateurs de liens transfrontaliers forts, infusant des savoir-faire de part et d’autre, enrichissant la réflexion et les pratiques, permettant de garder l’esprit ouvert sur ce qui bouillonne par ailleurs », souligne Frédérique Renaudie, à la tête de l’antenne française. (…)

Texte Anne-Charlotte Depondt
Visuel à la une Jim Clemes, Ingbert Schilz, Gaby Krump, Lynn Ansay, Caroline Thill et Mathieu Nicol © Linda Blatzek