On trouve les premiers signes du tracé de l’avenue Montaigne à la fin du 17è siècle. Il ne s’agissait alors que d’un simple chemin bordé de jardins potagers et de cabanes en bois. Un siècle plus tard, la voie prend de l’allure et se retrouve bordée d’une double rangé d’ormes, sur décision du marquis de Marigny, alors surintendant des Bâtiments du Roi -sous le règne de Louis XV – chargé d’urbaniser les abords des Champs-Elysées. Pour autant, l’artère est encore un lieu aux fréquentations parfois douteuses quand le soir venu on y accourt pour guincher ou s’enivrer dans les guinguettes notamment décrites par l’écrivain Eugène Sue dans les Mystères de Paris. Cependant, à peine deux décennies plus tard, celle qui a entre-temps été renommée Avenue Montaigne et qui relie le Rond-Point des Champs Elysées au pont de l’Alma, s’est largement embellie. Elle s’illustre notamment lors de la 1ère exposition universelle de 1855 dont elle définit l’un des côtés du périmètre d’action et accueille l’édification de plusieurs palais d’expositions. Cet élan amorce la construction de demeures bourgeoises tandis que les Champs Elysées voisins sont devenus une destination à la mode de la vie parisienne. Jusqu’à la fin du 19è siècle, l’avenue Montaigne est principalement à vocation résidentielle mais au tournant du siècle, alors qu’elle se retrouve à nouveau dans l’immédiate proximité de l’Exposition Universelle, celle très fameuse de 1900, son symbole de pouvoir ne va cesser de s’accroitre. Compagnies industrielles et financières y voient une localisation de prestige propice à y déployer sièges sociaux et lieux de représentations. Puis, des ateliers de couture commencent à s’y installer mais c’est réellement à partir de l’après-guerre que l’Avenue Montaigne commence à afficher cette image de repère du luxe et de la mode.

Le numéro 54 de l’avenue Montaigne trouve quant à lui ses origines au début du 20è siècle. L’adresse a abrité un atelier de carrosserie et a été entièrement refaçonnée en 1912 pour accueillir le constructeur automobile Panhard & Levassor. Cette concession qui s’affiche alors élégamment sur l’avenue comprend, sur l’arrière, un atelier de réparation et, côté rue, un espace de vente présentant les luxueux modèles de la marque. Dressé sur trois niveaux, le bâtiment dispose sur la rue de deux accès de service pour rentrer et sortir les véhicules et au centre, une large entrée principale entièrement vitrée et encadrée par un grand portail à l’antique en pierre de taille. L’entablement qui le surmonte affiche le nom du constructeur gravé sur le linteau ornementé de lauriers. Les jeux de symétrie sont à ce point respectés que tout est fait pour donner le sentiment à la clientèle de pénétrer dans un temple de l’automobile. A l’intérieur, une grande halle sous verrière, soutenue par une charpente métallique, occupe alors la cour intérieure sur toute sa longueur. L’atelier est de fait entièrement baigné d’une belle lumière naturelle qui offre aux employés un cadre de travail optimal.

Dans les années 1960, le site va connaître des évolutions significatives qui marquent la fin de l’activité automobile. Tandis que l’ensemble est cédé à la société Phillips, l’immeuble sur rue est rehaussé pour atteindre sept étages. En cœur d’îlot, la halle, un temps transformée en parking, est finalement détruite pour laisser place à un bâtiment bas (R+1) agrémenté de trois niveaux de sous-sols permettant le stationnement de véhicules. Si des bureaux occupent les étages supérieurs du bâtiment principal, les espaces du rez-de-chaussée suivent la mutation que connait l’avenue et accueillent des griffes de mode reconnues à l’internationale.

L’avenue Montaigne est désormais célébrée comme l’une des artères principales du triangle d’or parisien, en même temps qu’elle est devenue l’un des repères incontournables pour l’industrie de la mode et du luxe ainsi que ses aficionados. De nombreuses maisons y ont égrainé les plus flamboyants de leurs points de vente qui rivalisent d’audace en matière de mise en scène. Si le style haussmannien caractérise l’architecture du quartier, il ne formate pas non plus l’avenue dont la soixantaine de numéros est rythmée par une multitude de « curiosités » architecturales. Le portique néoclassique qui continue d’orner la façade du 54 participe clairement de cette diversité en même temps qu’elle affirme désormais le caractère patrimonial de l’adresse.

Redéployer l’existant

En 2014, le groupe international Olayan se porte acquéreur du 54 avenue Montaigne et souhaite y mener un travail de réhabilitation architecturale visant à faire rejaillir tout l’éclat de cette adresse. Surtout, l’objectif premier du nouveau propriétaire est de valider le potentiel de redéploiement du site pour en amplifier les surfaces d’exploitation. Le mot d’ordre est ainsi clair : Gagner des surfaces commerciales au sein de l’édifice existant pour faire du 54 Montaigne un commerce majeur de l’avenue Montaigne. C’est la société Chelsfield, gestionnaires d’actifs immobiliers alors en charge du portfolio parisien de Olayan, qui est chargé de mener à bien cette mission de recomposition architecturale. Au terme d’une consultation mettant en concurrence plusieurs agences d’architecture devant répondre à ce cahier des charges précis, la proposition de FRESH architectures se distingue à la fois par ses solutions d’optimisation des surfaces et une démarche conceptuelle visant à s’inscrire dans une continuité avec l’existant. « Notre approche a consisté à retrouver l’esprit du lieu tel qu’il était conçu originellement, c’est à dire à tirer parti de toute la superficie du site, y compris dans les niveaux en sous-sol, tout en réhabilitant des principes d’usage qui ont fait leur preuve autrefois, à l’image par exemple de la halle vitrée sur l’arrière du bâtiment qui ramenait la lumière du jour dans l’édifice » explique Julien Rousseau, architecte associé au sein de l’agence FRESH architectures.

Aussi, la suppression du bâtiment en cœur d’îlot, ainsi que la destruction du niveau en R-1 (parking), vont permettre de dégager un vaste volume déployé sur toute la parcelle située à l’arrière du bâtiment principale et qui s’élève de manière monumentale depuis le R-2 jusqu’au plafond du rez-de-chaussée. Ne formant plus qu’un lieu unique qui s’appréhende dès le sas d’entrée, ce nouvel espace séquencé par des demi-niveaux et un large atrium est désormais recouvert d’une nouvelle enveloppe en partie transparente qui laisse pénétrer la lumière naturelle.

Cette transformation permet ainsi d’augmenter de manière substantielle les espaces commerciaux du site (1200 m2), tout en conservant un niveau de parking en R-3. Cet accroissement des surfaces exploitables désormais portés à 2000 m2 est par ailleurs renforcé par une refonte des étages supérieurs (R+6 et R+7) qui consiste à remplacer la toiture en zinc à double pente au profit de volumes en décroché venant générer une série de toits-terrasses praticables et végétalisés. De même, la nouvelle structure située en cœur d’îlot est conçue de manière, là encore, à rendre accessible et praticable son toit-terrasse de 400 m2 depuis le premier étage du bâtiment principal. Au final, le projet se retrouve pourvu d’importantes surfaces extérieures, dont un jardin arboré en bout de parcelle, qui offrent à l’adresse la possibilité de nouvelles circulations et modalités d’usages, plutôt inhabituelles dans les commerces parisiens.

Un écrin de porcelaine

Les dimensions de l’édifice, sa situation, l’articulation de ses espaces et la liberté architecturale autorisée par le contexte présageait tout pour faire de l’adresse le « Landmark » d’un grand nom de la mode. Restait à réinterpréter la façade pour replacer l’adresse à la hauteur de ces enjeux. « Créer une nouvelle façade avenue Montaigne représente un vrai travail d’équilibriste. Car cet élément, véritable marqueur de l’adresse, doit pouvoir être libre du preneur, en l’occurrence une marque qui va devoir se l’approprier » souligne Julien Rousseau. Qui plus est un pari intéressant dans un contexte, celui du luxe et de la mode, où se sont généralement les marques qui imposent la signature visuelle à l’écrin qui les accueille.

« Le traitement extérieur a donc été pensé comme celui d’un objet précieux qui attire les regards, et dont l’étoffe simple mais élégante viendrait onduler dans le tissu urbain ». Une allégorie conceptuelle qui n’est pas sans faire référence à l’univers de la mode et du luxe qui conditionne l’avenue. L’idée originale d’une maille en porcelaine s’est assez vite imposée. Le choix inattendu de ce matériau a en fait apporté autant de réponses satisfaisantes aux contraintes imposées par le projet : Un caractère intemporel, une capacité de réflection très singulière, une quasi non-altérité dans le temps, un entretien simplifié, bien sûr l’expression d’un savoir-faire d’excellence à la française et enfin l’ambition d’innover.

La façade existante s’est ainsi retrouvée habillée d’une multitude de picots en porcelaine qui forment une trame à la texture surprenante et à l’impact visuel marquant. L’objet de 25 cm de long multiplié par millier, plus exactement 35000 pour les deux façades, et agencé en rang serré forme ainsi un épais manteau qui fait dialoguer la matérialité et les époques, la sobriété contemporaine et l’ornement classique, la réflection scintillante et la minéralité mate, la composition fibreuse et pixelisée des picots et la surface unie de la pierre…

Capable de prendre la lumière comme aucun autre, ce revêtement fait vibrer la surface du bâtiment et lui donne vie par des nuances changeantes tout au long de la journée. Il renforce sa visibilité et, associé à la force iconique du portique, lui confère une identité intemporelle parmi la grande diversité architecturale de l’avenue.

De son intention à sa réalisation, cette nouvelle « peau » a évidemment fait l’objet de multiples recherches et expérimentations visant à valider cette mise en œuvre pour le moins inédite. La fabrication du fameux élément en porcelaine a ainsi été confié à la manufacture Bernardaud dont le savoir-faire « made in France » et l’expertise du matériau n’est plus à démontrer. Le bureau d’ingénierie Bollinger & Grohman, missionné pour les questions structurelles du bâtiment a quant à lui solutionné les modalités de fixation mais aussi apporté toutes les réponses techniques liées aux contingences qu’imposent l’usage d’un tel matériau en extérieur, mais plus encore dans l’espace public. Enfin, la mise en œuvre finale du dispositif a été réalisée par la société Pradeau Morin, filiale d’Eiffage Construction, spécialisée dans la rénovation et la conservation du patrimoine parisien, ainsi qu’au Concepteur Catalan de façade, Bellapart. (…)

Extrait de l’entretien avec Jonathan Shelton, Head of Real Estate Europe, Olayan Group

Quelles ont été les motivations de l’acquisition de cet immeuble situé au 54 avenue Montaigne ?

En 2014, The Olayan Group a acquis un portfolio de neuf immeubles premium dans le 8e arrondissement, dont le 54 Montaigne.  Nous avons instantanément su que ce portfolio, et le 54 Montaigne en particulier, disposaient d’un énorme potentiel.  Il s’agissait d’un immeuble en multi-locations, doté d’espaces de boutiques et bureaux et dont l’architecture relativement fonctionnelle faisait valoir certaines influences classiques.

Nous y avons vu un grand potentiel de transformation. Son emplacement stratégique sur l’une des avenues parisiennes les plus internationalement réputées pour le shopping de luxe nous a incités à confier à l’équipe la tâche de créer un projet architectural unique et reconnaissable. Le 54 Montaigne marque le renouveau des magasins phares de luxe à Paris. Ce projet illustre parfaitement notre foi dans le potentiel de l’immobilier commercial de luxe et notre stratégie à long terme consistant à investir et à restructurer des actifs de grande qualité et exceptionnellement bien situés à travers le monde – et en particulier à Paris, qui est bien sûr un marché commercial clé pour le luxe.

Que représente l’avenue Montaigne pour vous ?

L’avenue Montaigne représente un marché immobilier exceptionnellement haut de gamme dans une zone qui est l’un des moteurs économiques de la capitale. C’est l’un des meilleurs emplacements au monde, qui abrite certaines des marques de luxe les plus renommées au niveau mondial.

TOG est le gardien de ces magnifiques bâtiments chargés d’histoire, et nous nous sommes passionnés à l’idée d’investir dans la restauration de ces actifs tout en montant un partenariat avec des locataires de qualité à qui nous pourrions offrir un standard fidèle à celui de l’Avenue Montaigne.

Extrait de l’entretien avec Giovanna Dapelo, Architecte associée, Rousseau Dapelo

Comment s’est articulée la gestion du projet entre enveloppe extérieure et agencement intérieur ?

Nous avons eu l’avantage d’être les architectes à la fois en charge de l’enveloppe du bâtiment, sous l’étiquette Fresh, et des aménagements intérieurs, sous l’étiquette Rousseau Dapelo. Nous avons, au printemps 2017, pu présenter le projet architectural à Dolce & Gabbana, qui séduit par le concept du bâtiment et notre attention aux matières, au dessin… nous a fait confiance pour gérer le projet d’agencement intérieur. Cette opportunité est tombée exactement au moment où Dolce&Gabbana avait pris la décision de confier à des architectes indépendants, à fortiori implantés dans la ville de création de la boutique, le soin de réinterpréter l’imaginaire visuel de la marque.

Les phases de construction et d’aménagements ont bien sûr été distinctes, mais nous avons été à même de développer des réflexions communes, sur l’image que devait véhiculer le lieu, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, l’expérience offerte à la clientèle… Il s’agit donc d’une histoire globale initiée à partir du concept de la façade qui visait d’ailleurs à réinterpréter un tissu de haute couture.

De quelle manière la collaboration avec Dolce & Gabbanna s’est organisée?

Nous avons tout d’abord effectué un voyage en Sicile pour nous imprégner de l’ADN de Dolce&Gabbana et de cet univers baroque que la marque parvient avec beaucoup de talent à faire basculer dans la modernité.

En outre, Domenico Dolce tenait à ce qu’un hommage soit rendu à la culture du pays qui accueille le projet. De fait, nous retrouvons des repères très français comme l’utilisation de la pierre de Bourgogne, le caractère majestueux de l’escalier à la versaillaise, la double hauteur sous verrière… qui vient dialoguer avec des éléments clairement italiens comme ce lustre monumental de Murano qui accueille le visiteur dans le sas d’entrée et certains détails qui sont propres à l’artisanat italien.

Chacune des décisions quant au choix des matériaux, les dessins du mobilier intégré…  ont été prises à Milan lors de longues cessions de création avec Domenico Dolce et ses équipes autour des maquettes des espaces, d’échantillons de matériaux, d’esquisses, de collages visuels… De même, lors de chaque workshop, nous devions nourrir le projet de nouvelles idées afin d’aller jusqu’au bout des concepts.

Fiche technique :

Maitrise d’ouvrage : CHELSFILED pour le groupe OLAYAN
Maitre d’oeuvre : Fresh Architectures
Adress : 54 Avenue Montaigne 75008 Paris
Programme : Restructuration lourde d’un immeuble mixte en commerce
AMO : Savills
Economisye : AE75
BET : BOLLINGER + GROHMANN (structure) ; ALTO INGÉNIERIE (Fluides, thermique, environnement)
Entreprise : Pradeau Morin
Façadier : Bellapart
Picots de porcelaine : Maison Bernardaud
Surface : 2 100 m²
Nombre de niveaux : Parking / rez-de-jardin / rez-de-chaussée + 6 étages (dont R+1 accès à la terrasse) / Rooftop
Livraison : 2021

Texte : Olivier Reneau
Photos : David Foessel

— retrouvez la réalisation sur le 54 Montaigne par Fresh Architectures dans Archistorm 114 daté mai – juin 2022