Le quartier historique de l’ancien village d’Auteuil

Bordé par la Seine à l’est et par le Bois de Boulogne à l’ouest, le quartier d’Auteuil-Sud s’étend de la place de la Porte de Saint-Cloud jusqu’au pont Mirabeau. Façonnée par les rues de l’ancien village d’Auteuil, autrefois commune limitrophe de la capitale, la morphologie du quartier actuel évolue lorsqu’il devient faubourg de la capitale par un décret promulgué à la fin de l’année 1859. Jusqu’à cette date, les carrières locales, exploitées aux XVIIe et XVIIIe siècles, fournissaient les pierres de calcaire de construction aux maisons du secteur, et notamment aux nombreux hôtels particuliers participant à la renommée du quartier. Tradition poursuivie par Hector Guimard qui conçoit à Auteuil pas moins de 25 édifices, et de nombreux hôtels particuliers dont seule une partie est à ce jour conservée.

Le pont du Point-du-Jour longeait autrefois le boulevard et franchissait, à l’endroit où se dresse aujourd’hui la station Exelmans, la rue Michel-Ange. Ce pont, construit entre 1863 et 1865, prolongeait le viaduc du même nom et permettait la circulation des trains de la Petite Ceinture qui empruntaient les rails installés sur le niveau supérieur. L’ouvrage s’est vu détruit en 1959, au moment du réaménagement du boulevard.

À l’angle du boulevard Exelmans et de la rue Michel-Ange

Au coeur de ce quartier historique, à l’angle du carrefour formé par le boulevard Exelmans et la rue Michel-Ange, s’élève un nouvel immeuble d’habitation, inauguré en 2023. Le bâtiment, d’une surface de plancher de 3 710 m² pour les logements, et de 240 m² pour les commerces, prend place au sein d’une parcelle contigüe de 565 m². Auparavant s’y trouvait un édifice, bas de seulement deux étages, abritant un restaurant. Au sud, l’édifice construit en 1912 selon le dessin de l’architecte Lucien Demenais s’élève sur six étages. Du côté du boulevard, un immeuble de dix étages, conçu par Pierre Puccinelli et construit en 1972, dessine une volumétrie plastique animée par la disposition géométrique et orthogonale des éléments en façade. À ce carrefour, l’ancien édifice formait un espace résiduel rompant la continuité visuelle des deux axes. Sur cette parcelle, le nouvel immeuble haut de dix étages rejoint le gabarit des constructions mitoyennes et permet de rétablir une relation de continuité.

Pour ce projet de restructuration, un concours a été lancé en 2017 et remporté par Stefan Architecture (Aurélien Stefan et Bernard Durand). L’agence TRAA, parmi d’autres participants à la réalisation du bâtiment, assure l’exécution des travaux. Pierre Georgel, paysagiste de l’atelier Comptoir des projets, imagine pour cet immeuble résidentiel l’installation végétale visible dans le patio intérieur, qu’il nomme « piano végétal » en raison de sa forme, prolongeant par quelques marches plantées la perspective du hall vers une zone extérieure propice au calme. Enfin, l’aménagement du hall d’entrée et des paliers d’étages se voit confié à Victoire Blocman et Sybille Holmberg, créatrices de l’agence Views Architecture Intérieure.

Après l’obtention du permis de construire en septembre 2018, les travaux débutent durant l’hiver 2018 puis le gros oeuvre est achevé au cours de l’été 2022. En s’inscrivant dans la continuité des alignements haussmanniens du côté de la rue Michel-Ange, et de l’édifice conçu par Pierre Puccinelli du côté du boulevard Exelmans, le 69 rue Michel-Ange affiche une façade tout en courbes, qui dialogue avec la forme de l’édifice lui faisant face sur le boulevard. L’immeuble haut de dix étages abrite 37 appartements d’accession ainsi que 25 logements sociaux. Le rez-de-chaussée s’ouvre sur les rues par un restaurant largement vitré.

© Juan Jerez

Ingénierie de la structure attenante au métro

La structure de cet édifice construit à proximité de la station de métro Exelmans a fait l’objet d’une ingénierie particulière. Au niveau des fondations et des sous-sols, les parois se trouvent en contact avec les tunnels du métro et les passages d’assainissement. Aussi, une isolation très performante par l’installation d’un dispositif de plots antivibratiles entre la superstructure et la structure permet de contrer les vibrations, nullement perçues par les occupants dans les étages. Pour soutenir sur près de 12 m les immeubles mitoyens et la voûte du métro, le chantier a nécessité la mise en place, sur les trois niveaux de sous-sols, de parois berlinoises inversées en limite de la voûte du métro, puis de murs périmétriques d’infrastructure.

L’enveloppe conjugue tradition de la forme et modernité dans le choix des matériaux

Le parti architectural s’inscrit autour de la continuité des façades se développant le long des deux voies de circulation. Sa physionomie arrondie tempère la massivité d’un immeuble d’angle haut de dix étages. Au rez-de-chaussée, le soubassement vitré, scandé de piliers placés en retrait par rapport au reste de l’enveloppe, forme l’assise du bâtiment. Aux étages, les courbes successives variées et marquées par des lignes se trouvent entrecoupées par des saillies ou des ouvertures placées de façon aléatoire. Le volume dynamique de la façade asymétrique naît d’un système lui aussi aléatoire d’ouvertures, soulignant de surcroît la sinuosité d’angle du bâtiment. Cet élément central sert d’articulation et dessine une transition douce entre les deux typologies de logements.

Habillées de panneaux de résine, les parois revêtent une texture particulière à l’esthétique mate et soyeuse proche de l’aspect de la pierre calcaire claire répandue dans l’architecture du quartier. Ces panneaux usinés se composent de Krion de Porcelanosa, une résine de synthèse moulée qui permet de créer des pièces épousant les courbes de l’édifice.

Le revêtement est séparé de l’enveloppe intérieure par une couche isolante qui permet une libre circulation de l’air. Les panneaux de résine sont fixés à l’enveloppe grâce à une structure porteuse composée de rails. Les fixations ensuite comblées deviennent invisibles. Les jeux horizontaux, seuls visibles, dessinent des bandes marquant chaque niveau et soulignant les parties vitrées. Ces choix de coloris, de matières et de fixations apportent unité et légèreté à la façade. De plus, grâce aux choix des matériaux, des techniques d’isolation extérieure mises en place ou encore de l’usage du chauffage à gaz collectif, l’opération atteint un niveau « RT 2012 – 20 % » sur le plan des performances énergétiques.

Dans le dessin et la répartition des ouvertures, la lumière naturelle occupe une place prépondérante, pénétrant dans les appartements à travers les larges baies toute hauteur, parfois cintrées, suivant les ondulations du plan de l’édifice. Les nombreuses grandes baies et les garde-corps vitrés installés sur les terrasses instaurent un dialogue entre l’intérieur et l’extérieur en dégageant la vue sur les rues et le quartier alentour. Les verres bombés et moulés, créés en partenariat avec l’entreprise Saint-Gobain, épousent les lignes des menuiseries incurvées.

Coupe transversale

Prestige et mixité de l’immeuble d’habitation

L’entrée vers les logements sociaux se fait via le boulevard Exelmans, alors qu’une entrée dédiée au 69 rue Michel-Ange mène au hall d’accueil distribuant les appartements ainsi qu’un patio végétalisé. Le hall d’entrée se situe au niveau de la rue Michel-Ange, tandis que l’accès au parking s’effectue depuis le boulevard Exelmans.

Dès le sas, une perspective visuelle s’ouvre vers le patio. Une fois passée la porte vitrée, se dévoile un hall aux matières naturelles et aux teintes beiges et bronze. Ce dialogue de tonalités, reconduit sur l’ensemble des parties communes, dessine un ensemble chaleureux. Le patio intérieur accessible aux résidents se décline en marches végétalisées où il est possible de s’installer. Une sculpture en marbre blanc de Carrare a été commandée dans le cadre de la charte « 1 immeuble, 1 œuvre » signée par ERISMA afin de soutenir la création contemporaine. Cette charte ministérielle créée en 2015 a pour objectif d’allier édifices privés et création artistique afin de favoriser la diffusion des arts plastiques auprès d’un large public. L’immeuble est le premier du quartier à intégrer ce dispositif.

Les deux typologies de logements sont répartis selon une séparation horizontale, sont distribuées au sein d’étages dédiés. Les deux premiers niveaux du bâtiment abritent les logements sociaux, et les étages supérieurs, les logements en accession. Déployés du troisième au dixième étage, ces appartements profitent d’une perspective dégagée vers le quartier environnant ou sur le cœur d’îlot. Les loggias préservent l’intimité des appartements alors que les retraits en courbes successives libèrent l’espace des terrasses filantes installées en étagement aux niveaux supérieurs. Les éléments techniques concentrés dans le noyau du bâtiment n’émergent pas de la toiture et demeurent invisibles. Au dixième et dernier étage, l’unique habitation est couverte d’une structure métallique apparente et courbe, coiffée d’une couverture de toiture végétalisée.Cet appartement privilégié est entièrement ceinturé par une terrasse et jouit d’une piscine extérieure.

En octobre 2021, le jury du concours des Pyramides d’Argent, organisé chaque année par la Fédération des Promoteurs Immobiliers d’Île-de-France, a récompensé ce projet dans la catégorie Pyramide des Premières réalisations, en raison de sa conformité aux attentes haut de gamme du marché local couplée aux exigences de mixité sociale au sein d’un ensemble moderne aux formes élégantes.

Extraits d’interview

Aurélien Stefan, architecte, STEFAN ARCHITECURE

Quels sont les éléments qui vous ont inspirés dans le dessin de cet édifice ?

Lors des phases de concours, nous essayons systématiquement de proposer un projet fondé sur un concept inspiré du site, du contexte environnemental, qui nous dicte les intentions volumétriques.

L’édifice se trouve au carrefour du boulevard Exelmans et de la rue Michel-Ange, dans un angle très visible entre deux bâtiments présentant des hauteurs et styles différents : à l’est, un bâtiment de dix étages construit durant les années 1970, et au sud, un bâtiment de six étages de type haussmannien. Nous avons imaginé un édifice où les courbes aléatoires épousent l’angle et continuent sur l’épannelage vers la rue Michel-Ange.

En s’intégrant au sein de cette dent creuse d’angle, la silhouette proposée marque par sa fluidité et allège visuellement la masse d’un immeuble haut de dix étages.

 

Texte : Cléa Calderoni
Visuel à la une : Photo © Juan Jerez

— retrouvez l’intégralité de l’article Exelmans / Michel-Ange, Paris dans Archistorm 123 daté novembre – décembre 2023 !