« Quand on dessine une salle de théâtre, la scénographie commence sur le trottoir parce que c’est là que débute la soirée »
Jean Vilar
Un théâtre de son temps
« La nouvelle Comédie de Genève est plus qu’un théâtre » : cette définition des architectes Laurent Gravier et Sara Martín Cámara constitue la synthèse parfaite du bâtiment qu’ils ont dessiné pour accueillir la célèbre institution genevoise. Incroyable Fabrique pour la scène contemporaine, le théâtre rassemble, en effet, dans un même lieu, des salles de spectacles, de répétition ainsi que des ateliers accueillant tous les métiers nécessaires à la fabrication d’un spectacle. La magie du théâtre s’en trouve amplifiée car le lieu offre de prolonger les moments de la rencontre entre un public et les acteurs lors des représentations, par des événements plus quotidiens montrant un autre revers du décor.
35 ans de réflexion
L’inauguration des nouveaux lieux, en août 2021, marquait l’aboutissement de 35 années de réflexion autour de la réhabilitation de l’édifice d’origine. Fédérant des professionnels du monde du théâtre et du spectacle, l’Association pour la Nouvelle Comédie a joué un rôle de premier plan dans cette épopée en portant auprès de la Ville de Genève l’idée d’une construction nouvelle. Celle-ci réunirait, sous un même toit, des salles de spectacles et des ateliers consacrés à la fabrication de costumes et de décors. En 2009, la Ville lança un concours d’architecture avec un programme reprenant cette idée.
S’amarrer aux Eaux-Vives
International et ouvert, le concours représentait l’opportunité pour les jeunes talents de s’identifier dans le paysage des grands projets culturels mondiaux. Les architectes Laurent Gravier et Sara Martín Cámara le remportent avec un projet baptisé « Skyline ».
Le terrain d’accueil du projet, en limite du centre-ville, à quelques encablures du Lac Léman, se trouve dans le quartier populaire des Eaux-Vives, en pleine restructuration. À terme, il sera composé d’équipements : commerces, bureaux, logements, et la Comédie y est envisagée comme l’élément majeur. La transformation urbaine de cette portion de territoire de la rive gauche est liée à la construction du Léman Express, le nouveau réseau ferroviaire transfrontalier reliant la France et la Suisse.
Extrait de l’entretien avec Denis Maillefer et Natacha Koutchoumov, codirecteur et codirectrice de la Comédie de Genève
Lors d’une visite de la Comédie, vous avez évoqué l’évolution des pratiques artistiques : pourriez-vous développer votre propos et le mettre en perspective avec le nouveau bâtiment abritant le théâtre ?
Certains artistes se tournent, pour des raisons esthétiques et écologiques, vers une forme de minimalisme, les conduisant parfois à présenter des spectacles hors des théâtres. Ce fait n’est pas nouveau, il a toujours existé, toutefois nous observons une tendance bien réelle à vouloir s’affranchir des cadres existants, à ouvrir le théâtre, dans tous les sens du terme, et à se tourner vers des formes les plus légères et mobiles possibles. D’autres artistes rêvent à l’inverse d’une débauche de moyens techniques innovants ou optent pour une profusion presque baroque dans les décors et les costumes. Il nous incombe d’être à l’écoute de ces choix artistiques, d’autant plus que ce que nous proposons est à même de susciter l’intérêt de ces créateurs et créatrices. Nous ne pouvons pas prévoir les esthétiques théâtrales des vingt prochaines années, personne ne le peut, mais à nous de ne pas rater les trains, d’être attentifs et attentives à ce qui advient, afin de pouvoir réagir et proposer des lieux modulables, adaptés aux envies et aux besoins des artistes.
Extrait de l’entretien avec Laurent Gravier et Sara Martin Cámara, architectes fondateurs de FRES architectes.
Quelle était la spécificité du programme et quelle est sa traduction formelle ?
La spécificité du programme de la Nouvelle Comédie est de rassembler dans un même lieu les espaces de représentation d’un théâtre – les salles de spectacles et les salles de répétition – et tous les métiers nécessaires à la fabrication d’une pièce de théâtre : menuisiers, serruriers, monteurs, peintres, sculpteurs, couturiers… Ces derniers disposent de grands ateliers pour la fabrication des représentations. La situation est unique car pas moins d’un tiers du bâtiment est consacré à la production des spectacles et pourtant nous sommes en plein centre-ville. La forme crénelée du bâtiment exprime cette multiplicité des activités et le choix s’est porté sur des matériaux bruts avec le verre, l’acier, le béton et le bois. Couramment utilisées dans la construction de bâtiments industriels, ces matières expriment l’idée d’un lieu productif, telle une usine à fabriquer des spectacles.
L’architecture même du théâtre montre que la Comédie est un lieu vivant tout au long de la journée : le hall d’entrée ouvert sur l’esplanade fonctionne comme une vitrine des activités intérieures. De plus, au cœur même du théâtre, nous avons créé plusieurs contacts visuels et spatiaux entre la partie publique et la partie privée. Le foyer, conçu comme un passage urbain accessible la journée, exprime la volonté d’ouverture du théâtre sur le quartier. Le principe des distributions internes du bâtiment place les circulations techniques en façades, également ouvertes vers la ville. Une relation visuelle forte est créée entre le café-restaurant, la cuisine et les ateliers de décors, qui ne sont plus cachés. Ces transparences mettent en valeur la création et la production de spectacles. La Comédie est un théâtre dans la ville, et une ville dans le théâtre.
Fiche technique :
Maîtrise d’ouvrage : Ville de Genève – Direction du Patrimoine Bâti (DPBA)
Maîtrise d’œuvre : FRES architectes – Laurent Gravier + Sara Martín Cámara
Surface : 16 060 m² (surface de plancher brute)
Coût global : 98 M CHF TTC (co-financement avec le Canton de Genève)
Entreprises et fournisseurs (liste non exhaustive) : Desax, Doortal, FLOS, Hevron, General de Metalisteria, Merotto Milani, Secante, Schindler…
Texte Sophie Trelcat
Photos Yves André
— retrouvez la réalisation sur la Nouvelle Comédia de Genève par Fres Architectes, dans Archistorm 114 daté mai – juin 2022