TRIBUNE LIBRE

PASCAL GONTIER

L’Habitat collectif est aujourd’hui à un tournant décisif de son histoire. Le modèle que l’on connait depuis la révolution industrielle semble être arrivé à son terme tandis qu’un nouveau modèle, en gestation depuis plusieurs décennies connait aujourd’hui les conditions favorables à son éclosion. Ce modèle en devenir constitue un terrain d’expérimentation particulièrement fertile pour l’architecture et une occasion de se réinventer, à l’heure où celle-ci traverse une crise identitaire forte.

Alors que la personnalisation du logement collectif était hier principalement l’apanage de rares opérations d’habitat coopératif, elle tend aujourd’hui à sortir de sa marginalité et, même si elle reste encore émergente, préfigure les futurs standards de l’habitat urbain. C’est une conséquence naturelle des évolutions en cours dans l’économie numérique, et plus largement dans la société; le monde du bâtiment ne faisant finalement que suivre, avec un peu de retard, un mouvement beaucoup plus général.

Cette personnalisation qui semble pouvoir gagner progressivement l’habitat collectif, est nécessaire pour combler le décalage qui existe entre une offre restée figée sur un modèle qui n’a que peu évolué depuis plusieurs décennies et une demande sociétale nouvelle. Elle répond à une attente forte, et de plus en plus consciente, alors que chacun a désormais la possibilité de concevoir la bibliothèque, la cuisine ou même le pavillon « de ses rêves », sur une plateforme numérique, et en quelques clics d’en obtenir de façon quasi instantanée des vues réalistes ainsi qu’un chiffrage précis. L’arrivée, dans le monde de l’immobilier, de nouveaux acteurs issus, pour certains d’entre eux, de l’économie numérique, comme l’essor du crowdbuilding ou le développement à grande échelle de la culture makers, constituent des accélérateurs d’une tendance de fond, fortement disruptive pour l’ensemble des métiers et des processus impliqués dans la fabrication de l’habitat collectif. C’est bien la logique de série, sur laquelle la révolution industrielle s’est fortement appuyée, et dont l’habitat collectif est l’un des produits les plus visibles, qui est aujourd’hui remise en question. La société civile ne veut plus se voir imposer un modèle pré-formaté, identique pour tout le monde, et par conséquent aveugle aux aspirations de chacun.

Si cette évolution vers un habitat collectif plus personnalisé suit son cours, elle pourra permettre de sortir de l’habitat répétitif, anonyme, ultra standardisé, et contraint par un véritable écheveau normatif, qui constitue le gros de la production de l’habitat collectif. L’habitant aura alors la possibilité de participer réellement à la création de son espace de vie, et l’architecte pourra concevoir des logements véritablement sur-mesure pour des personnes déjà identifiées. Cette forme typiquement urbaine d’habitat pourra alors bénéficier d’une qualité de personnalisation qui reste aujourd’hui essentiellement réservée à l’habitat individuel périurbain ou rural. De ce point de vue, le développement d’un habitat collectif personnalisé constitue une réponse écologique aux enjeux de la densité et un moyen efficace de lutter contre l’étalement urbain.

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Habitat collectif sur mesure à Floirac conçu selon la méthode BOB, promoteur Quartus, architecte Atelier Pascal Gontier.
© Jeudi Wang

Bien qu’encore cantonnée la plupart du temps aux seuls espaces intérieurs des logements, cette personnalisation a naturellement vocation à devenir beaucoup plus large et à s’étendre à l’ensemble du bâtiment. Elle pourrait ainsi concerner, la taille et le volume des logements proprement dits, qui pourraient aisément être déterminés par les acquéreurs eux-mêmes. Elle pourrait également s’étendre aux façades et aux prolongements extérieurs des logements. La liberté ainsi offerte aux habitants pourrait alors se développer dans un cadre architectural défini par l’architecte. Dans cette perspective, c’est non seulement le logement et sa relation avec l’extérieur qui sont en jeu, mais également son image depuis l’espace public. Chaque logement possède alors son identité propre qui lui permet de ne pas être perçu comme une simple fraction du bâtiment. Cette approche participative de la façade constitue une alternative aux différentes tentatives qui sont faites depuis des décennies pour créer, au moyen d’artifices architecturaux, une illusion de la diversité, et qui se sont révélées jusqu’à présent peu concluantes.

Permettre aux habitants d’avoir une certaine prise sur l’aspect extérieur de leur logement, c’est également instaurer une nouvelle forme de relation entre chacune des entités domestiques et l’ensemble du bâtiment. Repenser cet équilibre, c’est assurer en fonction de la spécificité de chaque contexte urbain, le juste équilibre entre l’expression individuelle et l’expression de la collectivité. En effet, si certaines situations urbaines se prêtent à une expression architecturale libre des identités individuelles, d’autres appellent au contraire une certaine forme de  retenue et de régularité.

Dans ce dispositif, l’architecte est invité à redéfinir son rôle, sa posture et ses outils. Plutôt que d’être contraint à proposer des œuvres fermées en réponse à des programmes abstraits sur lesquels il n’a pas prise, l’architecte a désormais la possibilité d’imaginer des œuvres ouvertes aux besoins, aux désirs et à la créativité des habitants. (…)

Texte : Pascal Gontier
Visuel à la une : « Cadavre exquis architectural » projet fictif exepérimental. Architecture primaire et boite à outils : Atelier Pascal Gontier © KDSL

Découvrez l’intégralité de la tribune de Pascal Gonthier au sein d’Archistorm #94