BLOCKBUSTER

L’ARCHITECTURE FIN DU MONDE

La fin du monde, juste une répétitive menace d’apocalypses divines ? Le XXe siècle, sur fond de guerre froide, offre l’hypothèse du grand feu nucléaire et de quoi enrichir le répertoire de ses causes possibles. Grand champion fin-du-mondiste, notre XXIe siècle en rajoute, élargissant comme jamais encore la palette des raisons de croire que nous vivons collectivement nos dernières heures. Catastrophes écologiques, pandémies et désordre sanitaire universel, cyberterrorisme incontrôlable, éruptions solaires dévastatrices et haute probabilité de percussion prochaine de notre Terre par un astéroïde croiseur, sérieuses menaces nucléaires nord-coréenne ou iranienne, en bloc. La fin du monde ? On y est, cette fois, ou on y vient.

De même qu’il existe une architecture Art nouveau ou byzantine, il existe une architecture Fin du monde. Notre époque anxiogène la rend riche et inventive. Ses formes, les plus variées qui soient, s’alignent sur la conception que l’on a de la fin du monde. À chacun sa partition, entre croyance dans le Doomsday, ce maudit « jour du mauvais sort » (« Tous aux abris ! »), anticipation sur le retour au primitif (« Tous nus dans la nature sauvage ! ») ou foi en la nécessité du repli sursitaire vertueux (« Tous à l’écovillage ! »).

Le Déluge (Dutuit 2), Dirck Van Star, 1544, Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris, GDUT8746, CC0 Paris Musées / Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais

S’isoler, se terrer, se cacher

Les raisons de croire imminente la fin du monde ne manquent jamais. Elles s’accentuent sitôt que l’humanité vit collectivement mal son statut d’humanité et cesse d’avoir confiance en elle-même et en ses pouvoirs. À en croire les « eschatologues », ce déficit de confiance en soi est récurrent : depuis l’Antiquité, près de 200 fins du monde n’ont pas manqué d’être annoncées comme imminentes. Ce décompte catastrophiste, ce rappel, obstiné, du potentiel anéantissement de l’espèce humaine, informe sur une disposition mentale partagée, d’ordre déceptif : l’homme n’a pas la maîtrise de tout.

Récit absolu d’une épouvante sans cesse reportée, la fin du monde reste à ce jour un fantasme : jusqu’à nouvel ordre, et toujours, nous sommes là. Reste que l’actualité, à ce fantasme, peut venir donner un certain crédit. La crise dite du Grand Confinement, au printemps 2020, aura ainsi réactualisé avec force le thème de la fin du monde. Virus mortel, la Covid-19, en plus d’obliger trois milliards de Terriens à se calfeutrer chez eux, génère alors de redoutables dommages. La résurgence de la mort de masse (300 000 morts après six mois de pandémie) devient dans ce cadre morbide une réalité tangible. Cette létalité hors normes et hors contrôle active le sentiment prévalent que notre humanité est friable et au plus haut point menacée. Question pendante, puisqu’il en est encore temps : comment se tirer d’affaire ? (…)

Texte : Paul Ardenne
Visuel à la une : L’Apocalypse (édition latine) : Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse (Bartsch 64), Albrecht Dürer, vers 1497, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, GDUT4110, CC0 Paris Musées / Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais

Retrouvez l’intégralité du Blockbuster dans le daté Juillet-Aout d’Architsorm