Construire consiste à inventer des mondes et celui-ci se façonne au xxie siècle sur un terrain marqué à la fois par une anxiété et une fascination face à l’urbain. Dans ce cadre, un certain nombre de projets récents et remarqués donnent forme aux valeurs de notre époque portées par un nouveau langage : l’architecture y place la structure en tout premier plan, et cette dernière lui apporte une singularité signifiante.

À Boissy-Saint-Léger, une commune de la banlieue proche de Paris, David Jouquand et Pierre Frinault, cofondateurs de l’agence REMINGTON STYLE architecture, viennent de réaliser une salle multisports. Celle-ci renouvelle totalement l’esthétique habituellement associée à ce type de programme, souvent clos sur lui-même. En effet, l’édifice immatériel, posé sur un socle de béton, déploie une façade entièrement vitrée sur l’espace public de la rue. Ce mur rideau, tramé sur la structure primaire du bâtiment faite d’une succession de fins potelets d’acier, dévoile derrière ses gigantesques vitrages (dimensions maximales 500 x 160) une nappe de toiture d’une grande plasticité. Constituée en bois d’épicéa, cette grille orthogonale et autoportante se déploie sur 27 mètres sans points porteurs pour franchir le terrain de pratique sportive. Dès le départ du projet, le souhait des architectes était de valoriser la structure porteuse mixte, faite de bois, d’acier et de béton. Le travail structurel est montré dans son ensemble, de la fine ossature en bois soutenant un auvent extérieur jusqu’à la fabrique des profilés métalliques reconstitués qui conservent les traces de soudure.

Dans un contexte d’entrée de ville où il n’y a pas d’accroches particulières, ce travail structurel comme esthétique permet de générer un univers singulier agissant sur son environnement. En effet, à travers le projet, un nouveau contexte est créé, l’histoire peut continuer. « L’architecture est l’art de la construction », revendique le duo pour lequel la structure et les matériaux revêtent une importance première. Sur fond d’économie, bien sûr, chaque projet interroge sans a priori la pertinence de la matière, dont le choix est déterminé par des objectifs bien précis. Ce projet emblématique, où la structure se pose comme une question majeure pour son identité, montre que cette dernière est à même d’assurer la transmission des valeurs de notre époque que sont l’écologie, l’économie de matière, la flexibilité et la malléabilité. Exit définitivement l’architecture privilégiant la peau où les structures disparaissaient sous un habillage dispendieux d’épaisses enveloppes thermiques ou sous les éléments de second œuvre.

Le gymnase de Remingtonstyle architecture dévoile son ossature devant et derrière sa façade vitré. © Remingtonstyle Architecture

De la structure avant toute chose

« La structure détermine la forme », déclaraient Stéphanie Bru et Alexandre Theriot dans une monographie qui leur était consacrée en 2017 et qui présentait une œuvre aujourd’hui largement reconnue sur la scène architecturale internationale. Dans le 20e arrondissement de Paris, le centre culturel et sportif Saint-Blaise, qui les a fait connaître sur la scène européenne, synthétise bien leur démarche. Construit dans les années 1970-1980, ce secteur de logements sociaux est l’un des plus denses d’Europe. Dans ce cadre composite, l’équipement adopte le dépouillement géométrique du parallélépipède que tempère une subtile incurvation de ses deux plus longues façades. Totalement transparent, l’édifice laisse visible l’empilement de quatre plateaux libres, chacun réservé à une fonction du programme. Au premier regard, la morphologie de la construction semble élémentaire. Toutefois, à l’approche, le volume de verre aux façades autonomes dévoile un raffinement inattendu de la structure. Le système constructif poteau-poutre est contreventé par de surprenantes poutres de béton dont les diagonales se rejoignent en formant, pour certaines, une pointe étrange dans les angles. Non loin de là, rue Pelleport, où les façades entièrement vitrées, protègent de manière indifférenciée des espaces de séjours, des chambres ou des salles de bains, les poteaux ne portent pas à l’intersection des poutres, mais juste à côté.

Cette primauté accordée à la structure trouve encore une autre forme expressive sur le campus universitaire de Saclay, où les architectes superposent des logements et des parkings dont la rampe d’accès est suspendue. La structure apparente de l’édifice est affirmée comme une structure à même d’accueillir toutes sortes de programmes une fois les parkings devenus inutiles à l’arrivée du métro en 2027.

L’ensemble de ces bizarreries et anomalies structurelles bousculent l’orthodoxie architectonique et étonnent le simple passant ou habitant. Si l’on retrouve dans chaque projet de Bruther ces plans libres, dont la forme est déconnectée de la fonction assignée par le programme, c’est bien la surprise, appuyée sur une parfaite maîtrise de l’assemblage des éléments architecturaux, qui donne leur singularité expressive à leurs bâtiments totalement ouverts à la malléabilité des usages.

Dans cette même recherche d’usages libres, les exemples ne manquent pas et le palmarès pourrait brillamment s’étoffer avec le travail des architectes Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, ou encore celui du studio Muoto. À Saclay, également sur le campus, ces derniers livraient en 2016 le « Lieu de vie », un restaurant universitaire et espace sportif fait d’une structure de béton aux plateaux libres, qui n’est pas sans évoquer la maison Dom-Ino, un manifeste de Le Corbusier datant de 1914. Faite de dalles et de pilotis, cette construction moderne avait pour objectif de montrer la beauté de la simplicité structurelle moderne.

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Texte : Sophie Trelcat
Visuel à la une : La résidence étudiante imaginée par l’agence Bruther est structurée de manière à accueillir des logements ou des parkings réversibles. © Maxime Delvaux

— retrouvez le Dossier sociétal De la structure avant toute chose Archistorm 117 daté novembre – décembre 2022