DOSSIER SOCIÉTAL

Sophie Trelcat

Dans son essai mythique New York délire, publié en 1978, l’architecte et théoricien Rem Koolhaas décrypte le développement de la ville de Manhattan, à New York, qu’il définit comme « la pierre de rosette du XXe siècle ». L’ouvrage, remarquablement porté par ailleurs par le discours graphique de l’artiste Madelon Vriesendorp,  retrace à postériori, la filiation existante entre le parc d’attraction en bord de mer, de la station de villégiature de Coney Island, et les gratte-ciels de de Manhattan. Les foires foraines, parc d’attractions et autres expositions internationales ont souvent été l’occasion d’innovations techniques qui furent ensuite exploitées à l’échelle de la ville et de l’architecture. New York Delire en est une des preuves probantes. En 1903, le promoteur Frédéric Thompson, ouvrait à Coney Island « Luna Park » un lieu réservé au divertissement, fait d’une skyline de 1 221 tours, minarets et dômes à propos duquel l’architecte néerlandais commentait : «  Thompson a créé la première ville de tours, dépourvue de toute fonction autre que celle de surexciter les imaginations et de chasser toute apparence de réalité terrestre ».

L’ère de la machine dont l’avènement de Manhattan peut se lire comme un des paradigmes métropolitains et qui apparaissait avec l’industrialisation du XIXe siècle semble toujours à l’œuvre. Voire davantage : avec le brouillage induit par les mondes virtuels et de la société du spectacle – une expérimentation collective semble transformer la ville en une usine de l’artificiel, où le naturel et le réel n’ont plus que de troubles frontières.

Expérimentations spatiales

Pour un concours sur la conception d’un nouveau Musée de l’architecture à Londres (2012), abrité dans l’ancienne centrale électrique mythique (notamment pour avoir figuré sur la couverture d’un disque des Pink Floyd) de Battersea au bord de la Tamise, l’Atelier Zündel Cristea, explosait les limites de l’architecture et débordait d’une imagination roborative : convaincus du pouvoir et de la nécessité des expositions, des spectacles et des musées, les architectes d’AZC souhaitaient grâce à ce cadre rendre l’art et la culture aussi populaires que possible. Le projet met en scène la Power Station, son échelle, sa situation exceptionnelle et son matériau unique, la brique. Ils installaient un petit train qui, tel un circuit grand huit, sillonnait autour et même à l’intérieur de la gigantesque bâtisse. Le parcours continu et exceptionnel invitait l’utilisateur à une expérience inédite de découverte tant des intérieurs que des extérieurs du bâtiment qui participait aussi de l’exposition de l’architecture. L’idée était de donner au visiteur le moyen de se déplacer sans effort, dans un vaste volume qui n’était pas initialement conçu pour lui. « Le parcours, rendu tangible par la construction du rail, devient un élément d’architecture du bonheur », selon les concepteurs d’AZC pour lesquels le projet encourage divertissement et jeu, des domaines peu considérés dans le monde traditionnel de l’art. Hélas le concours n’en sera resté qu’à la proposition d’idées. Un consortium d’importants promoteurs et architectes s’est vu confié ce territoire et l’usine est en voie d’être transformée en site protégé pour les cadres nomades transnationaux, sous le coup de crayon de l’architecte uruguayen, Rafael Vinoly.

Projet non réalisé du Musée de l’architecture à Londres par Atelier Zündel Cristea © Charles Wallon et Tanguy Aumont pour artstudio

Un môle culturel

Dans le même esprit mêlant culture et loisirs, à Chicago, s’est récemment terminé l’aménagement du Navy Pier célébrant en 2016, le centième anniversaire de la ville. Réalisé par James Corner Fiel Operations avec les new yorkais de l’agence nArchitects, le projet consiste en la transformation de la jetée d’un kilomètre de longueur aménagée sur les bords du lac Michigan au début du XXe siècle. Dans ce cadre, la municipalité avait lancé un ambitieux programme de réaménagement du site dont l’objectif est de faire basculer son versant commercial vers le domaine culturel. Par ailleurs, il s’agit de rendre le lieu, essentiellement touristique, appropriable par les habitants de la ville. L’idée de l’agence James Corner a été de s’appuyer profondément sur l’histoire du Navy Pier et de Chicago. La ville possède une collection de plus de cent œuvres d’art public, et le môle était un lieu de rassemblements publics, dont certains d’ordre artistiques, ainsi qu’un terminus de voyageurs par bateau, marqué par le passage de personnalités célèbres. Le réaménagement s’appuie sur la conception de cinq projets successifs reliés par une longue promenade publique, épine dorsale de l’opération. Au centre, l’aménagement de Pier Park, consiste en un paysage sculptural marqué par une végétation luxuriante, un sol de bois ondulant et il accueille une Grande roue Ferris qui a été réinventée. Offrant des vues uniques sur la baie, cette dernière devient une installation artistique lumineuse de très grande échelle, à même d’être l’image, visible de loin, de l’énergie et de la vitalité du nouveau Navy Pier. (…)

Aménagement urbain pour la palmeraie de Elche, en Espagne par Star architectes (NL)

Visuel à la une : Projet Gow Nippon Wheel au Japon par UN Studio architectes et Ove Arup ingénieurs

Retrouvez l’intégralité du dossier sociétal de Sophie Trelcat dans le numéro 96 du magazine Archistorm, daté mai – juin 2019 !