RÉALISATION

MUSÉE DE LA POSTE, PARIS PAR JUNG ARCHITECTURES

Il est des édifices dont la nécessaire modernisation conduit à une forme de réinvention. C’est le cas du Musée de La Poste, institution fondée en 1946, installée dans un hôtel particulier avant d’être dotée, en 1973, d’un immeuble entièrement dédié. Sa mise en conformité et, plus particulièrement, son accessibilité par tous les publics, fut l’occasion ces dernières années d’en repenser les missions, les espaces ainsi que la muséographie. D’en redécouvrir également l’histoire et l’architecture, atypiques l’une et l’autre. Au sein d’un quartier Montparnasse lui-même en profonde rénovation – la gare est réaménagée en 2019-2020, la tour le sera à l’horizon 2024 –, le bâtiment originel conçu par André Chatelin devait retrouver une visibilité, être plus accueillant tout en gardant son originalité première : renfermant une collection unique en France, il possède une façade dont le décor sculpté, œuvre de Pierre Juvin, est sans équivalent à Paris. Comme l’a justement noté Frédéric Jung, l’architecte chargé de sa restructuration, le bâtiment est bien le premier objet de la collection du musée, comme l’est le bâtiment du Centre Pompidou pour le Musée national d’art moderne. Extraits du livre récemment paru aux éditions Archibooks.

Un Musée de La Poste pour le xxie siècle

C’est la loi de 2002 sur l’accessibilité des lieux publics aux personnes à mobilité réduite qui rendra inévitable le projet de transformation du Musée de La Poste. Avec ses ascenseurs à capacité réduite et ses nombreux escaliers, le bâtiment ne répondait plus aux normes désormais exigées. Ayant un temps envisagé de déménager ou de simplement adapter le musée à la législation, la direction du musée a décidé de rester sur place et d’engager une rénovation profonde ; ceci afin de permettre un accès physique à tous, mais également d’ouvrir davantage les collections permanentes et les expositions temporaires à l’ensemble des publics.

Poste Immo, la filiale immobilière du groupe La Poste, est maître d’ouvrage de cette opération traitée comme un tout : études de conception, suivi de chantier du bâtiment et la muséographie. Poste Immo travaille en étroite collaboration avec les équipes du musée, qui ont été sollicitées et consultées durant tout le projet. Après les étapes préparatoires menées en 2014 (déménagement des collections, obtention du permis de construire, consultation des entreprises de travaux, organisation du chantier en lien avec la mairie du XVe arrondissement), l’année 2015 a marqué le véritable départ de la rénovation.

Le projet se développe selon trois axes : un axe architectural, qui implique la refonte complète du bâtiment et des espaces muséographiques, mais aussi l’ouverture du musée sur la rue et le quartier ; un axe développement responsable, qui vise la totale accessibilité à tous les publics ainsi que la certification énergétique « Haute Qualité Environnementale » ; un axe culturel, enfin, entend conforter la place du Musée de La Poste dans le paysage muséal français. À l’issue d’une consultation européenne ayant réuni une soixantaine de candidatures, c’est le cabinet parisien Jung Architectures qui a été retenu ; la dernière phase de la procédure l’opposait à trois autres importantes agences françaises : Marc Barani, Ibos & Vitart et l’Atelier 234. Composée de nombreux spécialistes en muséographie, scénographie et conservation préventive notamment, l’équipe dirigée par Frédéric Jung a séduit le jury par une réponse associant intimement projet architectural et choix muséographiques.

Le Totem est une galerie verticale et élément fédérateur du projet.

Le projet de Frédéric Jung : vers la lumière

L’idée directrice du projet est en l’occurrence de favoriser, par une nouvelle organisation et une nouvelle répartition des espaces, ainsi que par l’apport de la transparence au cœur du bâtiment, une vision globale et immédiate, depuis l’entrée, de toute l’offre muséale : ses collections, ses expositions, son auditorium, sa boutique… Ce projet s’inscrit dans la continuité de certains des travaux de Frédéric Jung, qui a développé une véritable expertise en matière de rénovation – la plus remarquée étant celle des anciens Magasins généraux de Pantin, récompensée par plusieurs prix. Attaché à une pratique de l’architecture respectueuse de l’existant, l’architecte évoque en premier lieu le bâtiment dont il hérite, plus particulièrement cette « façade emblématique de l’architecture des années 1970, qui peut être considérée à ce titre comme une pièce de la collection du Musée, puisque pensée spécifiquement pour le Musée de La Poste. » Force est de constater, toutefois, que le bâtiment s’est petit à petit révélé inadapté à son usage. Frédéric Jung établit alors le diagnostic suivant : « De façon synthétique plusieurs caractéristiques se sont avérées pénalisantes :

  • l’accessibilité aux personnes à mobilité réduite, limitée par le parti-pris architectural d’origine de la progression en spirale descendante par quart de niveau ;
  • la classification IGH trop contraignante pour un bâtiment de cette taille ;
  • la mauvaise visibilité du musée dans la ville ;
  • la faible compréhension des parcours internes, liée à une organisation cadenassée notamment par le noyau central, empêchait le développement naturel d’un musée contemporain. »

Tout en respectant les intentions du projet d’André Chatelin, le projet de Frédéric Jung redéfinit une organisation intérieure en remettant littéralement à plat le parcours muséographique. En contrepoint, il crée sur toute la hauteur de l’immeuble un vide généreux, dans lequel prennent place deux dispositifs clés du nouveau musée : le Totem, galerie verticale et élément fédérateur du projet, d’une part, et d’autre part les escalators, d’où le visiteur pourra apprécier les différents artefacts qui composent et animent ce Totem. Pour ce faire, il a fallu libérer le centre des plateaux de leurs noyaux techniques et ouvrir le bâtiment sur sa façade nord-ouest – qui offre ainsi de belles vues sur le paysage monumental parisien. Frédéric Jung évoque également la nécessité d’assumer un « bâtiment Janus », à deux visages. Il est vrai que la nouvelle façade nord, invisible depuis la rue, constitue l’une des plus lourdes interventions sur le bâtiment existant. Vidée de ses remplissages maçonnés, la structure d’André Chatelin est en quelque sorte réinterprétée, à l’aune d’une plastique et d’une matérialité à la fois contemporaines et contextuelles. Les nuances de gris des pièces en inox brut, acier galvanisé et zinc prépatiné font notamment écho aux teintes des toitures parisiennes, tandis que les bétons de la façade sud évoquent davantage la pierre du Paris haussmannien. Au brutalisme discret de Chatelin, Frédéric Jung associe une rationalité et une composition quasi musicale, dont l’une des sources pourrait être la rythmique ondulatoire des pans de verre du couvent de la Tourette à Éveux-sur-l’Arbresle, icône brutaliste s’il en est, à laquelle l’ingénieur et musicien Yannis Xenakis avait participé, aux côtés de Le Corbusier.

C’est également côté nord que le bâtiment fait l’objet d’une légère extension et d’un aménagement sous le jardin, où prennent place les espaces d’expositions temporaires. Ce niveau correspond en fait à celui de la rue, tandis qu’en sous-sol sont créés deux niveaux, l’un destiné aux réserves, l’autre aux locaux techniques. La façade principale, enfin, connaît avec le projet de Frédéric Jung une seconde vie. L’œuvre d’André Chatelin et Pierre Juvin est restaurée et retrouve ainsi sa tonalité pierre, tandis qu’au rez-de-chaussée le musée s’offre plus ouvertement au passant. Une forte volonté signalétique est par ailleurs exprimée au moyen de cinq kakémonos, dont la taille, la couleur et le graphisme ont pour fonction de dialoguer avec les panneaux de Juvin et d’en souligner la présence. (…)

Texte Simon Tixier
Photo Hervé Abbadie

Retrouvez l’intégralité de l’article sur le musée de la poste par Jung Architectures dans le daté septembre-octobre 2020 d’Archistorm