PATRIMOINE

DUBAÏ, OU L’HISTOIRE IMMÉDIATE DES VILLES

 

La prochaine Exposition universelle se tiendra à partir d’octobre 2020 à Dubaï. Des millions de visiteurs y constateront les efforts incessants de ses dirigeants pour en faire la ville du futur. Ce futur aura même son musée, bâtiment en forme de tore signé Killa Design. Comme beaucoup de villes neuves, Dubaï entretient donc avec le temps une relation complexe, qui ne doit pas faire oublier qu’elle a, aussi, un passé. La vitesse de son développement en fait un objet d’étude spécifique et milite pour une histoire immédiate, mettant en scène différents régimes d’historicité.

Sheikh Zayed Road, axe parallèle à la mer organisant le centre-ville © Drew Mckechnie.

Depuis son émergence fracassante sur la scène mondiale, à la fin du XXe siècle, Dubaï suscite un mélange de fascination et de rejet, assez analogue à celui que New York ou Los Angeles ont pu produire il y a quelques décennies. Plus insistante, cependant, est la remise en cause du statut même de ville, que ne mériterait pas tout à fait cet ancien port de pêche du golfe Arabo-Persique, devenu grâce aux faramineux revenus pétroliers des Émirats arabes unis le lieu de toutes les extravagances. Ainsi la plupart des observateurs occidentaux ont jusqu’alors dénoncé le simulacre, le cynisme, l’enfer social ou l’absence d’histoire de Dubaï. Sur ce dernier point, c’est oublier le rôle ancestral de son port comme point de passage entre la péninsule arabique et l’Iran, qui en a fait une ville multiculturelle dès le XIXe siècle.

Le complexe hôtelier Madinat Jumeirah reprend, dans un esprit arabisant, le principe du village lacustre français de Port-Grimaud © Zosia Korcz.

Dubaï s’est développée au début du XIXe siècle sur la rive sud de la Dubaï Creek (ou Khor Dubaï), un bras de mer pénétrant sur 14 km dans les terres, qui demeure une artère vitale pour le commerce. L’urbanisation a gagné l’autre rive, le quartier de Deira, au XXe siècle. C’est à proximité de la Creek, plus particulièrement dans le quartier de Bastakiy’ya, que subsistent les éléments les plus typiques de l’identité de la ville : un tissu de maisons traditionnelles coiffées de tours destinées à la ventilation naturelle de l’habitation. Démolies en grand nombre dans les années 1970, elles ont deux décennies plus tard été rénovées, tandis que 55 d’entre elles étaient entièrement reconstruites pour accueillir galeries d’art et restaurants. Convaincues, notamment par le prince de Galles en visite en 1989, de l’intérêt d’une politique de préservation et des enjeux à la fois économiques et identitaires de ce patrimoine, les autorités ont fait de la tour à vent, pourtant d’origine perse, l’un des emblèmes de l’émirat — et du pays tout entier.

Sous domination britannique jusqu’à la création des Émirats arabes unis en 1971, Dubaï a fait l’objet d’un premier plan d’aménagement en 1959. Conçu par l’architecte John Harris, il préconisait un développement globalement limité aux abords de la Creek. Un nouvel axe, pourtant, s’est structuré, qui relie le cœur de la ville à son port, Jebel Ali. Cette route (Sheikh Zayed Road) conduit par ailleurs à Abou Dhabi, la capitale du pays. En 1995, un nouveau plan prévoit de contenir une urbanisation qui n’en poursuit pas moins sa course selon deux axes parallèles : la mer et Sheikh Zayed Road. Tandis que cette dernière devient l’une des voies les plus saturées au monde de tours et d’automobiles — elle est également longée par un métro aérien —, le front de mer est le support d’une série d’opérations d’aménagement destinées à attirer un tourisme de masse et de luxe, suivant plusieurs types d’organisation et de paysages. Le complexe de Madinat Jumeirah reprend, dans un esprit arabisant, le principe du village lacustre français de Port-Grimaud ; il jouxte le Burj Al Arab, hôtel de très grand luxe en forme de voile, haut de 300 m (Atkins, 1999), du haut duquel se lit aisément le tracé de la presqu’île artificielle de Palm Jumeirah, gigantesque ensemble d’immeubles et de villas offshore dominé par le colossal hôtel Atlantis. Contiguë à la zone industrielle, enfin, la marina propose une forêt de tours « les pieds dans l’eau ». (…)

Texte : Simon Texier
Visuel à la une :La ville de Dubaï © Zq Lee.

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