Entrer dans l’univers de Chloé Nègre, c’est un peu comme prendre son billet pour un chemin initiatique à travers les matières, les couleurs, les références stylistiques ou l’histoire des intérieurs, tout simplement. Un ensemble de codes sont revisités au gré de l’inspiration, au gré d’associations improbables et parfaitement réussies. C’est là qu’elle est très forte. C’est doux et explosif à la fois, un traditionnel presque routinier percuté par le geste contemporain. Ici, le terrazzo semble exploser sur les murs, là, une toile de lin minimaliste se frotte à une tête de lit capitonnée revisitée, et ailleurs, une chaise régionaliste côtoie une forme haricot. Dans la différence, dans l’éclectisme, dans les opposés, tous les éléments assemblés se parlent in fine, avec amabilité.

L’envie d’exercer l’architecture d’intérieure arrive tôt dans le parcours de Chloé Nègre, probablement le jour où ses parents se lancent dans la rénovation de leurs maisons, l’une à Orléans, l’autre en Corse. Elle accompagne sa mère sur ces chantiers, là où naît son désir. Toujours aussi déterminée qu’à l’obtention de son baccalauréat, elle commence par une année de prépa avant d’intégrer la fameuse école Camondo. « Finalement, mon parcours a été très linéaire », nous dit-elle. Elle sort de l’école avec le souhait d’être indépendante, tout en ayant conscience de la nécessité de continuer à apprendre le métier. C’est ainsi qu’elle entre au Printemps Haussmann pour y rester un an. « J’avais envie de postuler chez India  . À l’époque, elle avait livré le café Germain, rue de Buci, dont j’aimais l’esprit très créatif, l’ambiance colorée. Mais j’estimais qu’il me manquait quelque chose. C’est pour cette raison que je suis partie huit mois à Shanghai, au moment de l’exposition universelle. À mon arrivée, j’ai travaillé sur un projet de restaurant gastronomique dans une tour, pour une agence italienne implantée là-bas. »  « Escapade » bien vue, car, à son retour elle postule chez  où elle est embauchée pour finalement y rester 4 ans et demi, travaillant sur du résidentiel et sur le fameux hôtel 5 étoiles l’Apogée à Courchevel, projet en coproduction d’India Mahdavi et Joseph  d. Une expérience faite d’exigence et de l’exercice d’un travail collaboratif hors norme.

Appartement Courchevel,
© Karel Balas

Une belle opportunité a finalement raison de son poste chez India Mahdavi, et la fait décrocher de cet environnement professionnel exceptionnel. Elle hésite, beaucoup, mais elle s’en va. Chez elle avançait en pratiquant beaucoup l’art du dessin, quelque part protégée des réalités. Désormais, elle doit s’y confronter. Elle réalise ainsi les bureaux de l’agence de communication Al Dente ; un univers d’exigence pour ceux qui communiquent pour Versace, Boucheron, Vogue Hommes ou encore Carolina Herrera. Avec un client qui a de grandes envies, un budget serré, elle relève ce premier défi de l’indépendance. « Ce fut une super expérience », conclut-elle.

S’ensuit le projet d’appartement privé de Julie et Adrien Gloaguen, puis celui de l’hôtel Bienvenue dans le 9e arrondissement de Paris, projet lancé par Adrien Gloaguen, lui-même fondateur de Touriste et « hotel owner » de métier. Ce projet d’hôtel de 38 chambres est lancé dans un timing tendu et une enveloppe serrée : les meilleures conditions pour faire ses preuves ! Afin de satisfaire à ces exigences, le mode opératoire revient à dessiner par soi-même le mobilier, tout en trouvant les meilleurs artisans pour l’exécuter. Avoir moins d’intermédiaires permet de garantir les coûts et les délais tout en personnalisant dans ses moindres détails l’architecture d’intérieur, développée dans la simplicité et l’originalité. Ce projet permet alors d’accéder à la commande hors du cercle amical et de diversifier les programmes : hôtels, mais aussi retail et résidentiel deviennent les « terrains de jeux » de Chloé Nègre. En 2017, Delphine Courteille la contacte pour lui demander la réalisation de son salon de coiffure : murs rose pâle, fauteuils et poufs signés Pierre Paulin choisis dans des tonalités de vert, des consoles en laiton confectionnées pour le lieu, un terrazzo au sol et beaucoup de lumière du jour. « La console lumineuse devait éclairer les visages par-dessus, mais aussi par en dessous », précise Chloé.

Maison Mougin,
© Hervé Goluza

En 2019, Caroline Ilacqua, créatrice de la marque Teo Cabanel, et Chloé Nègre se rencontrent et signent le projet d’appartement hôtelier de Caroline à Courchevel. Un an plus tard, leur collaboration se poursuit avec le projet de la toute première boutique Teo Cabanel à Paris, située 50 rue d’Argout, en plein cœur du 2e arrondissement de Paris.

La boutique Teo Cabanel est pensée comme un lieu de rencontre, de partage et de découverte autour du parfum. Elle est le reflet des valeurs de la marque, qui s’engage à créer des parfums « respectueux de la nature et de ceux qui les portent ». Ce projet représente une belle occasion pour Chloé Nègre d’aiguiser son regard responsable et de concevoir autrement, par la mise en place de pratiques plus vertueuses. Le naturel est exploré avec l’utilisation de matières naturelles certifiées, pas ou peu transformées, avec l’absence de climatisation dans la boutique au profit d’une ventilation naturelle. L’électricité verte est fournie par Enercoop. L’upcycling est intégré grâce à la conservation d’équipements et d’éléments déjà existants au sein de la boutique originelle. Le mobilier et les objets décoratifs créés pour l’occasion sont facilement recyclables ou réutilisables. Une fabrication en France à 80 % et au Portugal pour les 20 % restants réserve la part belle au savoir-faire français. Le choix des partenaires se porte vers des valeurs partagées et un engagement pour la protection de l’environnement. Les transports sont regroupés afin de limiter l’empreinte carbone.

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Texte : Anne-Charlotte Depondt
Visuel à la une : Hôtel Bienvenue © Laurence Revol

— retrouvez la rubrique Architecture d’intérieur sur Chloé Nègre Archistorm 117 daté novembre – décembre 2022