Il est courant d’aborder les liens que tissent l’architecture et l’architecture d’intérieur, la structure et l’intériorité. Mais qu’en est-il de la scénographie et de l’architecture d’intérieur ? Un voyage dans l’univers de l’une des plus grandes représentantes de la scénographie, l’agence anglaise Casson Mann, présente à travers le monde grâce à de nombreux projets, est l’occasion d’interroger l’espace intérieur aux confins de l’imaginaire.

Casson Mann travaille actuellement, et beaucoup, en France. Nous lui devons les projets de la Cité du Vin à Bordeaux en équipe avec XTU (architecte et mandataire), de Lascaux IV en équipe avec Snøhetta (architecte et mandataire), de Pressoria en équipe avec l’Atelier Philéas (architecte et mandataire) ; à venir, les projets du musée de la Marine (renouvellement du parcours semi-permanent) ou bien le centre des relations franco-britanniques à Ouistreham, ou encore la Cité internationale de la gastronomie au Grand Hôtel-Dieu à Lyon et le renouvellement du parcours permanent du palais du Tau à Reims. Au-delà de nos frontières ont ouvert récemment 1 560 m2 de scénographie signée Casson Mann sur 2,7 hectares au château de Nottingham (ouverture juin 2021), les galeries Holocauste à l’Imperial War Museum à Londres (ouverture octobre 2021), le First Light Pavilion à Jodrell Bank, université de Manchester (ouvert depuis début juin 2022).

Cité du vin, Bordeaux
© Nick Guttridge

La création par Dinah Casson et Roger Mann de l’agence Casson Mann à Londres remonte à 1984. Aujourd’hui, l’agence londonienne est toujours gérée par Roger Mann, l’un des deux membres fondateurs. Entouré des quatre directeurs Gary Shelley, Craig Riley, Jon Williams et John Pickford, Roger Mann garde un regard artistique sur l’ensemble des projets. C’est en 2019 que l’agence installe une antenne à Paris, sous la supervision de Laure Cheung. Laure avait préalablement rejoint Casson Mann en 2012. Elle supervise désormais l’ensemble des opérations sur le territoire français. Diplômée d’un DSAA en architecture d’intérieur, elle exerce la scénographie depuis plus de 20 ans. Forte d’une grande expertise technique des modes constructifs, elle apporte son savoir-faire dans la gestion des projets et pilote les chantiers avec assiduité. L’agence est composée de 23 personnes au total, et la majorité des membres de l’équipe est diplômée en architecture d’intérieur ou en design. Les designers y sont formés à la médiation des contenus muséographiques.

« En tant que scénographe, il s’agit de trouver l’équilibre entre les contenus et les contenants afin de développer une expérience de visite en adéquation avec le programme. Précise Laure Cheung. Nous travaillons très souvent avec des architectes, des éclairagistes, des graphistes, des ingénieurs, mais aussi avec des métiers plus spécifiques comme des consultants en audiovisuel, des producteurs, des socleurs, des spécialistes en accessibilité ou en conservation préventive, des concepteurs d’arômes, de manipeurs (ils inventent des jeux et manipulations à action mécanique pour les musées et sites d’interprétation), des artistes, etc. », ajoute-t-elle.

Car la scénographie d’exposition est une discipline particulière et à part entière. Les scénographes sont garants de la direction artistique de l’ensemble et font appel à des spécialistes :

« Nous sommes concepteurs, leaders et chefs d’orchestre*. »

Pressoria à Aÿ en Champagne.
© BOEGLY + GRAZIA

Leur esprit anglo-saxon, en résonnance avec des sujets culturels français, leur permet d’être ambitieux en dépassant les codes classiques. Leur expertise en matière de nouvelles technologies appliquées aux contenus les rend incontournables, ainsi que leur regard précis et pointu sur la direction artistique des productions de médias. Ils challengent les programmes, proposent des discours solides. Or, « avant tout, la scénographie est au service du discours », insiste Laure Cheung. La narration est au cœur de leurs réalisations :

« Nous employons différents médias d’une manière complémentaire pour offrir une expérience inoubliable aux visiteurs. Il est drôle de constater que l’ensemble des projets que nous avons remportés en France sont des sujets très ancrés comme la gastronomie française, les vins, la préhistoire, la marine française, et même les sacrements des rois de France ! Dans le cadre des procédures de concours anonymes, le choix d’une agence britannique pour traiter de ces sujets très français montre à quel point il n’y a pas de frontière entre la France et l’Angleterre lorsqu’il s’agit de la culture.D’ailleurs, pour le musée de la Marine, lors de la journée presse, M. Vincent Campredon, son directeur, a plaisanté sur la bataille de Trafalgar. Nous sommes très fiers d’avoir été sélectionnés pour nos visions et notre créativité et non pas pour notre identité britannique*. »

Cette appétence pour l’imaginaire et la narration ne leur enlève en rien leur capacité à jouer avec les espaces. Car la scénographie est une discipline connexe à l’architecture d’intérieur. Elle réclame un savoir-faire à la fois de l’aménagement spatial, mais aussi d’une réflexion profonde et intellectuelle autour de la traduction des contenus en objet, dispositifs, parcours, ou expérience visiteur.

« Avant de dessiner, nous prenons le temps de comprendre le sujet ou les sujets abordés. Une recherche approfondie par notre équipe, en plus du programme scientifique qui nous est confié, nous permet de consolider nos discours scénographiques*. »

Nottingham castle
© Casson Mann

La scénographie d’exposition est centrée sur le propos scientifique, historique ou sociétal, mais aussi sur l’expérience de visite. Car grâce à quels médias, objets, dispositifs, ambiances et mises en scène les sujets seront-ils compris par les visiteurs ?

«Nous nous plaçons toujours du point de vue du visiteur pour imaginer le parcours, et dessiner des expériences qui soient mémorables, marquantes et stimulantes.

La prise en compte de l’environnement dans lequel nous nous inscrivons est une donnée importante. Selon le programme muséographique et l’ambition du projet, nous essayons toujours de prendre en compte les particularités des espaces intérieurs ou extérieurs dans notre conception. Le lieu peut être inspirant et amener à des créations plus ou moins importantes ou imposantes selon le propos*. »

(…)

*Propos de Laure Cheung recueillis par Anne-Charlotte Depondt en juin 2022.

Texte : Anne-Charlotte Depondt

— retrouvez l’article Architecture d’intérieur sur l’agence Casson Mann dans Archistorm 116 daté septembre – octobre 2022