Dans le dynamique quartier Étienne Marcel, l’agence de Silvio d’Ascia est une parenthèse de quiétude. Traversant, donnant sur les toits de Paris, cet écrin blanc aux poutres apparentes dégage une ambiance d’atelier d’artiste. Et cela n’est pas un hasard. Dans le bureau de l’architecte fondateur, les dessins et croquis de projets recouvrent les murs. On comprend que l’architecte d’origine italienne possède une fibre artistique. Une sensibilité qui lui permet de développer autrement ses divers projets au sein de son agence. Avec une véritable réflexion humaniste sur notre société et sur nos valeurs contemporaines.
L’agence naît en 2000 à la suite d’un concours important, celui du Palais des Congrès de Rome en 1999. « C’était un concours international d’idées ouvertes, donc anonyme. Cela m’a donné confiance pour continuer et me lancer à mon compte. » Originaire de Naples, Silvio d’Ascia se forme à l’architecture mais cultive une âme d’artiste qu’il nourrit depuis toujours. C’est pour suivre ce rêve d’adolescent qu’il s’envole pour Paris. « C’est la dimension artistique, intellectuelle, l’ouverture culturelle et les opportunités qui m’ont poussé à m’installer à Paris. À 15 ans, je voulais partir de Naples et faire l’artiste à Paris, mais j’ai finalement fait l’architecte », nous confie-t-il.
C’est une vision d’architecte singulière qu’il se forge. Depuis ses années d’étudiant en architecture, Silvio d’Ascia développe une réflexion et une analyse élargie de notre société, de nos besoins. « Il faut bien connaître la société dans laquelle on vit, comprendre ses enjeux sociétaux, ses valeurs. » Pour lui, l’architecture est une réponse à ses interrogations avant d’être une solution. Chaque projet a son identité, sa spécificité, son choix de matériaux. C’est le fil rouge qui relie ses travaux. Si certaines agences misent sur une approche formelle, Silvio d’Ascia Architecture appréhende ses réalisations avec une approche méthodologique identique. « Il n’y a pas un a priori esthétique ou linguistique que nous imposons. Nous accompagnons, pour mieux répondre aux problématiques, que ce soit pour du public ou du privé, et pour pousser les projets vers le haut », nous explique l’architecte.
Vers le numérique dans la ville
Il se tourne donc vers des programmes complexes, vers des projets essentiels à notre quotidien, mais sur lequel nous ne portons pas notre regard. C’est le cas pour le secteur du numérique. « J’ai commencé à travailler sur les data centers en 2003, en Chine », raconte Silvio d’Ascia. Bien que les centres de données fassent partie intégrante de notre vie, leur existence reste souvent abstraite, cachée, symbolisée par les « cloud » où nous stockons nos informations. Cependant, ces données sont bien concrètes et archivées dans des bâtiments physiques. Pour l’architecte, l’enjeu est de les introduire aux mieux dans nos villes. « Il manque une incarnation visible de la dimension numérique dans la ville. C’est une économie florissante qui reste pourtant opaque pour la société », explique-t-il. L’architecture doit jouer ainsi un rôle d’éclaireur, en mettant en valeur ces infrastructures. Le projet Shanghai Futures en Chine incarne cette vision. Situé en périphérie de Shanghai, ce pôle numérique de la Bourse de Shanghai regroupe divers bâtiments dédiés à la production, la recherche, la formation et les loisirs. C’est en s’inspirant de l’univers digital et informatique que l’agence a conçu le site. Comme les composants d’une carte mère, les bâtiments sont reliés entre eux par des cheminements piétonniers.
Les gares : une nouvelle mythologie
Les projets complexes sont au cœur du travail de Silvio d’Ascia et cela depuis sa formation en architecture. « Ma thèse de doctorat portait sur la transformation des gares en centres commerciaux ». Voyageant beaucoup dans toute l’Europe, il perçoit l’importance de ces nœuds urbains. « Jusqu’aux années 1990, les gares étaient vues comme des lieux de marginalité sociale. J’ai eu cette intuition qu’il fallait changer cette perception ». Au-delà d’une transformation, c’est une nouvelle centralité qu’il cherche à donner aux villes. Une vision déjà amorcée dans certaines villes nouvelles autour de Stockholm, à l’après-guerre. La gare devient le noyau pour créer de nouveaux quartiers, des lieux de rencontres et d’échanges.
La gare de Kénitra au Maroc est sans doute l’une des plus belles réalisations imaginées récemment par l’agence. Première ligne TGV du continent africain, la gare a été pensée comme un écrin capable de traduire une identité renouvelée de l’architecture traditionnelle marocaine, interprétant sur la façade un moucharabieh dilaté à l’échelle de la ville. Tout en béton de fibre, il est à la fois léger dans sa structure et dans sa forme.
Au-delà d’être esthétique, le dessin de moucharabieh a permis aussi de laisser circuler l’air, évitant l’application abondante d’air conditionné. Le bâtiment imaginé devient ainsi l’incarnation de cette nouvelle mythologie de la gare. Elle n’est plus simplement un lieu de transition ferroviaire, elle est un espace public de vie quotidienne, grâce à son organisation spatiale et fonctionnelle ainsi qu’à sa forte identité architecturale et urbaine.
L’architecture comme lien entre différentes époques
Intégrer l’architecture dans l’histoire de la ville est aussi un axe essentiel de l’agence de Silvio d’Ascia. « Originaire de Naples, j’ai toujours été fasciné par la cohabitation entre différentes couches historiques. En se promenant dans la ville, on découvre les vestiges gréco-romains, la ville baroque, les bâtiments fascistes, tout cela dans un même espace urbain », raconte l’architecte. Ces strates de l’histoire suscitent une réflexion approfondie sur les valeurs de notre époque. Comment intégrer notre contemporanéité aux côtés de notre passé ? Le projet ambitieux de la gare TGV Montesanto à Naples illustre cette démarche. Le concours visait à restructurer et étendre la gare historique de la fin du XIXe siècle sans la dénaturer. Dans sa philosophie de nouvelles urbanités, l’agence a mis en lumière le bâtiment d’origine tout en créant un véritable centre d’échanges. Un espace multifonctionnel a été imaginé, à la fois aéré et lumineux. La façade principale s’est agrandie d’une terrasse panoramique, les quais sont éclairés d’une grande couverture vitrée. Au-delà d’un espace accueillant, c’est un lieu culturel qu’a voulu construire l’agence. Sur les parois latérales des quais, les voyageurs peuvent découvrir des installations photographiques illustrant le parcours archéologique traversé par les trains arrivant à la gare. « Anciennement, les gares historiques présentaient les illustrations des destinations. Nous avons voulu reconstituer cela avec cet accrochage », raconte Silvio d’Ascia. Aujourd’hui, la gare de Naples sert de modèle pour de nombreux pays.
Chaque projet est unique, mais suit cette réflexion sur l’intégration de l’architecture dans la société actuelle et celle à venir. « Nous travaillons sur les temps longs, à la différence d’autres métiers. C’est pourquoi chaque projet nous tient à cœur », explique Silvio d’Ascia. Les projets doivent être ainsi innovants et durables. « Il faut éviter les effets de mode, car ils ne durent pas. Nos projets sont conçus pour être intemporels ». Les premiers croquis de l’extension de la Fondation Maeght datent d’il y a 20 ans. Car l’extension a mené à une véritable réflexion sur son intégration dans un bâtiment classé et iconique. « Il a fallu trouver le moyen de faire cohabiter des époques différentes », confie-t-il. Inspiré par les strates historiques de sa ville natale, c’est sous le bâtiment que l’architecte décide de faire l’extension, préservant entièrement la Fondation.
À long terme, l’agence Silvio d’Ascia travaille sur des projets comme la gare Pont de Bondy, en association avec BIG, prévue pour 2030. Bien qu’ancrée en France, l’agence s’ouvre davantage à l’étranger, notamment en Italie, pays du fondateur. En parallèle, l’architecte et son équipe planchent sur un projet à Vérone, « un beau projet de logements dans la ville de Roméo et Juliette, dans lequel nous rendons hommage à la protagoniste à travers les loggias et les balcons du bâtiment », dit-il en souriant. Dans sa quête de transformation de la vie urbaine, il explore aussi la revitalisation des villes moyennes pour les rendre attractives sur le plan sociétal, économique et touristique. À Auxerre, ils ont travaillé sur la relation entre la ville, son patrimoine industriel et la nature. Les berges de l’Yonne et ses anciennes friches industrielles sont réhabilitées avec ce regard humaniste et artistique qui caractérise l’agence.
Texte : Louise Conesa
Toutes les photographies sont de : © Juan Jerez
— Retrouvez l’intégralité de l’article dans archistorm 128 daté septembre – octobre 2024